Mardi 19 décembre1972
Il paraît difficile de ne pas parler bêtement du langage. Cest pourtant Jakobson, puisque tu es là, vous me permettrez de le tutoyer puisque nous avons vécu déjà un certain nombre de choses ensemble, cest pourtant Jakobson ce que tu réussis à faire. Une fois de plus dans ces entretiens que Jakobson nous a donnés, jai pu ladmirer assez pour lui en faire maintenant lhommage.
Il faut pourtant nourrir la bêtise. Non pas parce que tous ceux quon nourrit soient bêtes, si je puis dire dun terme sur quoi cette année nous aurons à revenir essentiellement, cest-à-dire parce quil soutient leur forme, mais plutôt parce quil est démontré que se nourrir fait partie de la bêtise.
Dois-je réévoquer devant cette salle, où lon est en somme au restaurant et où lon croit dailleurs on simagine quon se nourrit parce quon nest pas au restaurant universitaire, mais cette dimension imaginative cest justement en ça quon se nourrit. Ce que jévoque cest ce que je vous fais confiance pour vous souvenir de ce quenseigne le discours analytique : cette vieille liaison avec la nourrice, mère en plus comme par hasard, avec derrière cette histoire infernale du désir de la mère et de tout ce qui sen suit. Cest bien ça dont il sagit dans la nourriture, cest bien quelque sorte de bêtise, mais que le même discours assoit si je puis dire dans son droit.
Un jour je me suis aperçu quil était difficile, je reprends le même mot de la première phrase, de ne pas entrer dans la linguistique à partir du moment où linconscient était découvert. Doù j ai fait quelque chose, qui me paraît à vrai dire la seule objection que je puisse formuler à ce que vous avez pu entendre lun de ces jours de la bouche de Jakobson, cest à savoir que tout ce qui est du langage relèverait de la linguistique, cest-à-dire en dernier terme du linguiste, non que je ne le lui, très aisément, accorde quand il sagit de la poésie à propos de laquelle il a avancé cet argument 44. Mais si on prend tout ce qui sen suit du langage, et nommément de ce qui en résulte : dans cette fondation du sujet, si renouvelé, si subverti que cest bien là le statut dont sassure tout ce qui de la bouche de Freud sest affirmé comme linconscient, alors il me faudra forger quelque autre mot pour laisser à Jakobson son domaine réservé et, si vous le voulez jappellerai ça la linguisterie. Je donne dans la linguisterie, ce qui me laisse quelque part aux linguistes, non sans expliquer tant de fois que des linguistes je ne subisse, je néprouve, et après tout allègrement de la part de tant de linguistes, plus dune remontrance. Certes pas de Jakobson, mais cest parce quil ma à la bonne, autrement dit il maime, cest la façon dont jexprime ça dans lintimité. Mais si vous attendez ce que je pourrais dire de lamour, ceci ne fera en somme que confirmer cette certaine disjonction, que par bonheur ce matin, jai trouvé ça ce matin, exactement à huit heures et demie, en commençant à prendre des notes, cest toujours lheure où je le fais pour ce que jai enfin à vous dire, ce n est pas que je ny pense depuis longtemps, mais cela ne se rédige quà la fin. Jai trouvé ça : linguisterie.
Ça comporte des effets, nommément, au niveau pas du dit, parce quaprès tout il y a des dits qui sont communs aux deux champs, cest bien là-dessus que je prends référence, cest de là que je peux dire que linconscient est structuré comme un langage. Mais il est suffisamment clair quen ayant posé ce dire
comme jen ai depuis avancé dautres enfin ce nest déjà pas mal quun certain nombre en reste à celui-là, il est important ce dire après tout nest pas du champ de la linguistique, cest une porte ouverte sur ceci que vous verrez commenté dans ce qui va apparaître développé dans le prochain numéro de mon bien connu apériodique avec pour titre « LÉtourdit », d-i-t 45.
Jy reprends, jy pars de la phrase que jai lannée dernière, à plusieurs reprises, écrite au tableau sans jamais lui donner de développement parce que jai trouvé que javais mieux à faire, cest-à-dire à entendre quelquun qui après avoir bien voulu prendre la parole ici, nommément ce Récanati que vous avez entendu une fois de plus la dernière fois, grâce à quoi je peux relever la légitimité du titre de séminaire, grâce à lui donc, je nai pas donné suite à ceci que : « le dire est justement ce qui reste oublié derrière ce qui est dit dans ce quon entend 46».
Cest pourtant aux conséquences du dit que se juge le dire.
Mais ce quon en fait du dire reste ouvert. On peut faire des tas de choses avec les meubles à partir du moment, par exemple, où on a essuyé un siège ou un bombardement.
Il y a un texte de Rimbaud dont jai fait état je pense lannée dernière. Je nai pas été rechercher. Je nai pas été rechercher où il se trouve textuellement, et puis cest parce que jétais pressé ce matin. Cest ce matin que jy ai repensé, je crois quand même que cest lannée dernière, cest ce texte qui sappelle « À une raison 47 » qui se scande de cette réplique qui en termine chaque verset : « un nouvel amour ».
Et puisque je suis censé la dernière fois avoir parlé de lamour, pourquoi ne pas le reprendre à ce niveau. Pour ceux qui savent, qui ont déjà là-dessus un petit peu entendu quelque chose, je le reprendrai au niveau de ce texte, et toujours sur ce point de marquer la distance de la linguistique à la linguisterie. Lamour cest, chez Rimbaud dans ce texte, le signe pointé comme tel de ce quon change de raison, cest bien pourquoi cest à cette raison quil sadresse, « À une raison ». On a changé de discours.
Je pense que quand même, quoiquil y en ait qui sen aillent dans les couloirs en demandant qu on leur explique ce que cest que les quatre discours 48,
je pense que comme ça, au collectif je peux me référer à ceci que jen ai articulé quatre et que je nai pas besoin de vous en refaire la liste. Je veux vous faire remarquer que ces quatre discours ne sont à prendre en aucun cas comme une suite démergences historiques. Quil y en ait eu un qui soit venu depuis plus longtemps que les autres n est pas là ce qui importe.
En disant que lamour cest le signe de ce quon change de discours, je dis proprement ceci, que le dernier à prendre ce déploiement qui ma permis de les faire quatre, ils nexistent quatre que sur le fondement de ce discours psychanalytique que jarticule de quatre places et sur chacune de la prise de quelque effet de signifiant stipulé comme tel. Ce discours psychanalytique il y en a toujours quelque émergence à chaque passage dun discours à un autre. Ça vaut la peine d être retenu, non pas pour faire de lhistoire, puisquil sagit de ça en aucun cas. Mais pour si on se trouve par exemple placé dans une condition historique, si lon repère, si lon savance, mais c est libre quon considère que la fondation de luniversité au temps de Charlemagne 49 cétait le passage dun discours du Maître à lorée d un autre discours. Simplement à retenir quà appliquer ces catégories, qui ne sont elles-mêmes structurées que de lexistence qui est un terme qui na rien de terminal du discours psychanalytique, il faudrait seulement dresser loreille à la mise à lépreuve de cette vérité quil y a émergence du discours analytique à chaque passage de ce que le discours analytique permet de pointer comme franchissement dun discours à un autre.
La dernière fois jai dit que la jouissance de lAutre, je vous passe la suite, vous pouvez la reprendre, nest pas le signe de lamour. Et ici même je dis que lamour est un signe. Lamour tient-il dans le fait que ce qui apparaît ce nest rien dautre, ce nest rien de plus que le signe. Cest ici que la logique de Port-Royal, lautre jour évoquée, viendrait nous prêter aide. Le signe, avance-t-elle cette logique, et lon sémerveille toujours de ces dires qui prennent un poids quelquefois bien longtemps après, le signe cest ce qui ne se définit que de la disjonction de deux substances qui nauraient aucune partie commune, cest ce que de nos jours nous appelons intersection. Ceci va nous conduire à des réponses, tout à lheure.
Ce qui nest pas le signe de lamour, je le reprends donc de la dernière fois ce que jai énoncé de la jouissance de lAutre, ce que je viens de rappeler à linstant, en commentant, le corps qui Le symbolise. La jouissance de lAutre, avec le grand A que jai souligné en cette occasion, cest proprement celle de lAutre sexe, et je commentais, du corps qui Le symbolise.
Changement de discours, assurément cest là quil est étonnant que ce que jarticule à partir du discours psychanalytique, eh bien, ça bouge, ça noue, ça se traverse 50 personne naccuse le coup !
Jai beau dire que cette notion de discours elle est à prendre comme lien social, comme tel fondé sur le langage, et différenciant ses fonctions à propos de cet usage du langage, et semble donc comme tel nêtre pas sans rapport avec ce qui dans la linguistique se spécifie comme grammaire rien ne semble sen modifier cet usage instituant nul ne soulève, du moins à ce qui apparaît.
Peut-être ça pose la question de savoir ce quil en est de la notion dinformation.
Est-ce quà prendre le langage dans la linguisterie la notion qui semble promue comme appareil aisé, propice à faire fonctionner le langage dans la linguistique dune façon pas bête, celle qui impliquait codes et messages, transmission, sujet, donc et aussi bien espace, distance
Est-ce que malgré le succès foudroyant de cette fonction dinformation, succès tel quon peut dire que la science tout entière vient à sen infiltrer Nous en sommes au niveau de linformation moléculaire, du gène et des enroulements des nucléoprotéines autour des tiges dADN, elles-mêmes enroulées l une autour de lautre, et tout ça est lié par des liens hormonaux, ce sont messages qui senvoient, senregistrent
Quest-ce à dire, puisquaussi bien le succès de cette formule prend sa source incontestable dans une linguistique qui nest pas seulement immanente mais bel et bien formulée. Bref la notion qui va à sétendre jusquau fondement même de la pensée scientifique, à sarticuler comme néguentropique
Est-ce quil y a là quelque chose qui ne peut pas nous faire poser question ? si cest bien ce que de ma linguisterie je recueille et légitimement quand je me sers de la fonction du signifiant.
Quest-ce que le signifiant ?
Le signifiant, tel quel, hérite dune tradition linguistique qui, il importe de le remarquer nest pas spécifiquement saussurienne 51, elle remonte bien plus haut, ce nest pas moi qui lai découvert 52, jusquaux Stoïciens où elle se reflète chez St-Augustin 53. Elle est à structurer en termes topologiques, quen ce qui concerne le langage, le signifiant est dabord quil a effet de signifié, qu il importe de ne pas élider quentre les deux il s écrit comme une barre, quil y a quelque chose de barre à franchir.
Il est clair que cette façon de topologiser ce quil en est du langage est illustrée, certes, sous la forme la plus admirable par la phonologie, au sens où elle incarne du phonème ce quil en est du signifiant, mais que le signifiant daucune façon ne peut se limiter à ce support phonématique.
Quest-ce quun signifiant ?
Il faut déjà que je marrête à poser la question sous cette forme : « un », mis avant le terme, est en usage darticle indéterminé, cest-à-dire que déjà il suppose que le signifiant peut être collectivisé, quon peut en faire une collection, cest-à-dire en parler comme de quelque chose qui se totalise. Puisque le linguiste sûrement aurait de la peine, me semble-t-il à expliquer, parce quil na pas de prédicat pour la fonder cette collection, pour la fonder sur un « le », comme Jakobson la fait remarquer très nommément hier. Ce nest pas le mot qui peut le fonder ce signifiant, le mot na dautre point où se faire collection que le dictionnaire où il peut être rangé.
Pour vous faire sentir que le signifiant dans loccasion, comme très proprement de sa réflexion sémantique Jakobson le faisait remarquer, pour vous le faire sentir, je ne parlerai pas de la fameuse phrase qui pourtant est bien là aussi lunité signifiante, et quà loccasion on essaiera dans ses représentants typiques de collecter comme il se fait à loccasion pour une même langue, je parlerai plutôt du proverbe auquel je ne veux pas dire quun certain petit article de Paulhan qui mest tombé récemment sous la main ne mait pas fait mintéresser. Dautant plus vivement que Paulhan semble avoir remarqué que cette sorte de dialogue tellement ambigu qui est celui quil se fait de létranger avec une certaine aire de compétence linguistique comme on dit, sest aperçu en dautres termes quavec ses Malgaches le proverbe avait un poids qui lui a semblé jouer un rôle tout à fait spécifique 54. Quil lait découvert à cette occasion ne mempêchera pas de ne pas aller plus loin mais de faire remarquer que dans les marges de la fonction proverbiale il y a des choses à la limite qui vont montrer comme cette signifiance est quelque chose qui séventaille, si vous me permettez ce terme, du proverbe à la locution.
Ce que je vais vous demander, ou vous chercherez dans le dictionnaire lexpression « à tire-larigot 55». Faites-le, vous men direz des nouvelles !
Et puis dans linterprétation, la construction, la fabulation on va jusquà inventer un monsieur, juste pour loccasion, qui se ferait appeler Larigot, cest à force de lui tirer la jambe aussi quon aurait fini par créer « à tire-larigot». Quest-ce que ça veut dire « à tire-larigot » ?
Il y en a bien dautres locutions aussi extravagantes qui ne veulent dire rien d autre que ça : la submersion du désir, cest le sens de « à tire-larigot », par quoi ? par le tonneau percé de quoi ? mais de la signifiance elle-même. « À tire-larigot », un bock de signifiance.
Alors quest-ce que, quest-ce que cest que cette signifiance ?
Au niveau où nous sommes cest ce qui a effet de signifier 56. Mais noublions pas quau départ si lon sest attaché et tellement à lélément signifiant, au phonème, cétait pour bien marquer que cette distance, quon a à tort qualifiée de fondement de larbitraire, cest comme sexprime probablement contre son cur Saussure. Il avait à faire, comme ça arrive, à des imbéciles, il pensait bien autre chose, bien plus près du texte du Cratyle 57 quand on voit ce quil a dans ses tiroirs des histoires danagrammes 58.
Ce qui passe pour de larbitraire cest que les effets de signifié, eux, sont bien plus difficiles à soupeser, cest vrai quils nont lair davoir rien à faire avec ce qui les cause.
Mais sils nont rien à faire avec ce qui les cause cest parce quon sattend à ce que ce qui les cause ait un certain rapport avec du réel.
Je parle avec du réel sérieux. Ce quon appelle du réel sérieux, il faut bien sûr en mettre un coup pour lapprocher. Pour sapercevoir que le sérieux ça ne peut être que le sériel il faut un peu avoir suivi mes séminaires.
En attendant ce quon veut dire par là cest que les références, les choses à quoi ça sert ce signifié en approcher, eh bien justement elles restent approximatives, elles restent macroscopiques par exemple. Ce n est pourtant pas ça qui est important, ce nest pas que ce soit imaginaire parce quaprès tout ça suffirait déjà très bien si le signifiant permettait de pointer limage quil nous faut pour être heureux. Seulement ce nest pas le cas, cest dans cette approche que signifier a pour propriété sauf introduction du sériel, du sérieux, mais cela ne sobtient quaprès un très long temps dextraction du langage de ce quelque chose qui y est pris, et dont nous, au point où jen suis de mon exposé, nous navons quune idée lointaine, ne serait-ce quà propos de ce « un » indéterminé et de ce leurre dont nous ne savons pas, à propos du signifiant, comment le faire fonctionner pour quil le collectivise.
A la vérité il faut renverser : au lieu du signifiant quon interroge, interroger le signifiant « un » mais nous nen sommes pas encore là.
Au niveau de la distinction signifiant-signifié qui caractérise le signifier, quant à ce qui est là pourtant comme tiers indispensable, à savoir le référent, cest proprement que le signifié le rate, cest que le collimateur ne fonctionne pas. Le comble du comble cest quon arrive quand même à sen servir en passant par dautres trucs !
En attendant, en attendant pour caractériser la fonction du signifiant, pour le collectiviser dune façon qui ressemble à une prédication, nous avons quelque chose qui est ce dont je suis parti aujourdhui, puisque Récanati, toujours de la logique de Port-Royal, vous a parlé des adjectifs substantivés : de la rondeur quon extrait du rond, pourquoi pas de la justice du juste et de la prudence de quelques autres formes substantives. Cest bien tout de même ce qui va nous permettre davancer notre bêtise pour trancher, que peut-être bien nest-elle pas comme on le croit une catégorie sémantique, mais un mode de collectiviser le signifiant, pourquoi pas, pourquoi pas, le signifiant cest bête !
Il me semble que cest de nature à engendrer un sourire, un sourire bête naturellement, mais un sourire bête comme chacun sait, il ny a quà aller dans les cathédrales, un sourire bête cest un sourire dange. Cest même là vous le savez la seule justification, vous le savez, de la semonce pascalienne 59, cest sa seule justification. Si lange a un sourire si bête cest parce qu il nage dans le signifiant suprême, se retrouver un peu au sec ça lui ferait du bien, peut-être quil ne sourirait plus.
Ce nest pas que je ne croie pas aux anges, chacun le sait, jy crois inextraillablement et même inexteilhardement. Cest simplement que je ne crois pas, par contre, quil apporte le moindre message, et cest sur ce point-là au niveau du signifiant nest-ce pas, en quoi il est vraiment signifiant justement.
Alors il sagirait quand même de savoir où ça nous mène et de nous poser la question de savoir pourquoi nous mettons tant daccent sur cette fonction du signifiant, il sagirait de la fonder, parce que quand même cest le fondement du symbolique, nous le maintenons, quelles que soient ses dimensions qui ne nous permettent dévoquer que le discours analytique
Jaurais pu aborder les choses dune autre façon, jaurais pu vous dire comment on fait pour venir me demander une analyse, par exemple. Je ne voudrais pas toucher à cette fraîcheur, il y en a qui se reconnaîtraient, Dieu sait ce quils penseraient, ce quils simagineraient de ce que je pense. Peut-être quils croiraient que je les crois bêtes, ce qui est vraiment la dernière idée qui pourrait me venir dans un tel cas, il nest pas du tout question de la bêtise de tel ou tel.
La question est de ce que le discours analytique introduit un adjectif substantivé : la bêtise, en tant quelle est une dimension, en exercice, du signifiant.
Là, il faut y regarder plus près. Car après tout dès quon substantise cest pour supposer une substance, et les substances, mon Dieu, de nos jours nous nen navons pas à la pelle. Nous avons la substance pensante et la substance étendue. Il conviendrait peut-être dinterroger à partir de là où peut bien se caser la dimension substantielle, qui justement à quelque distance qu elle soit de nous et jusquà maintenant ne nous faisant que signe, quel peut donc bien être ce à quoi nous pourrions accrocher cette substance en exercice, cette dimension quil faudrait écrire : dit-mension, d-i-t-trait dunion-mention 60, à quoi la fonction du langage est dabord ce qui veille, avant tout usage meilleur et plus rigoureux.
Dabord, la substance pensante on peut quand même dire que nous lavons sensiblement modifiée. Depuis ce « je pense » qui se supposant lui-même en déduit lexistence, nous avons eu un pas à faire, et ce pas est très proprement celui de linconscient.
Si jen suis aujourdhui à traîner dans lornière, linconscient comme structuré par un langage, eh bien tout de même quon le sache cest que ça change totalement la fonction du sujet comme existant. Le sujet nest pas celui qui pense, le sujet est proprement celui que nous engageons à quoi ? Non pas, comme nous le lui disons comme ça pour le charmer, à tout dire
Je sais quil est tard et que je ne veux pas fatiguer celui dont je me considère en loccasion comme lhôte, à savoir Jakobson. Je sais que je narriverai pas aujourdhui à dépasser un certain champ.
Néanmoins, si je parle du « pas tout », celui qui tracasse beaucoup de monde, si je lai mis au premier plan pour être la visée de cette année de mon discours, cest bien là loccasion de lappliquer : on ne peut pas tout dire, mais quon puisse dire des bêtises, tout est là. Cest avec ça que nous allons faire lanalyse et que nous entrons dans le nouveau sujet qui est celui de linconscient.
Cest justement dans la mesure où il veut bien ne plus penser le bonhomme quon en saura peut-être un petit peu plus long et quon tirera quelques conséquences des dits, des dits justement dont on ne peut pas se dédire, cest ça qui est la règle du jeu. De là surgit un dire qui ne va pas toujours jusquà pouvoir ex-sister au dit, à cause justement de ce qui vient au dit comme conséquence et que cest là lépreuve où un certain réel dans lanalyse de quiconque, si bête soit-il, peut être atteint.
Statut du dire : il faut que je laisse tout ça de côté pour aujourdhui.
Mais quand même je peux bien vous dire que ce quil va y avoir cette année de plus emmerdant cest quil va bien tout de même falloir soumettre à cette épreuve un certain nombre de dires de la tradition philosophique.
Ce que je regrette beaucoup cest que Parménide 61 je parle de Parménide, de Parménide, de ce que nous en avons encore de ses dires, enfin de ce que la tradition philosophique en extrait, de ce doù part par exemple mon maître Kojève cest la pure position de lêtre. Heureusement ! heureusement que Parménide a écrit, a écrit en réalité des poèmes. Il sy confirme justement ce en quoi il me semble que, le témoignage du linguiste ici fait prime, justement à employer ces appareils, ces appareils qui ressemblent beaucoup à ce que je vais juste à la fin pouvoir pointer, à savoir larticulation mathématique : lalternance après la succession, lencadrement après lalternance. Enfin cest bien parce quil était poète que Parménide dit en somme ce quil a à nous dire de la façon la moins bête.
Mais autrement que lêtre soit et que le non-être ne soit pas, je ne sais pas ce que ça vous dit à vous, mais moi je trouve ça bête.
Il ne faut pas croire que ça mamuse de le dire, cest fatigant parce que quand même nous aurons cette année besoin de lêtre, de quelque chose que Dieu merci jai déjà avancé : le signifiant « un », pour lequel je vous ai lannée dernière, suffisamment me semble-t-il, frayé la voie à dire : « ya dlUn ». Cest de là que ça part le sérieux, si bête que ça en ait lair, ça aussi.
Nous aurons donc tout de même quelques références à prendre, à prendre et à prendre au minimum de la tradition philosophique.
Ce qui nous intéresse cest où nous en sommes et où nous en sommes avec la substance pensante et à son complément la fameuse substance étendue dont on ne se débarrasse pas non plus si aisément, puisque cest là lespace moderne. Substance de pur espace si je puis dire, ce pur espace comme on dit, ça on peut le dire comme on dit pur esprit, et on ne peut pas dire que ce soit prometteur.
Ce pur espace se fonde sur la notion de parties à condition dy ajouter ceci que toutes à toutes sont externes : partes, extra partes cest à ça que nous avons à faire. On est arrivé même avec ça à sen tirer, cest-à-dire à en extraire quelques petites choses mais il a fallu faire de sérieux pas.
Pour situer avant de vous quitter mon signifiant, je vous propose, je vous propose de soupeser ce qui, la dernière fois, sinscrit au début de ma première phrase qui comporte le jouir dun corps, dun corps qui, « lAutre, Le symbolise » et comporte peut-être quelque chose de nature à faire mettre au point une autre forme de substance : la substance jouissante.
Est-ce que ce nest pas là ce que suppose proprement et justement sous tout ce qui ici signifie lexpérience psychanalytique Substance du corps, à condition quelle se définisse seulement de ce qui se jouit. Seulement propriété du corps, vivant sans doute, mais nous ne savons pas ce que cest dêtre vivant, sinon seulement en ceci quun corps ça se jouit, et plus, nous tombons immédiatement sur ceci quil ne se jouit que de le corporiser de façon signifiante.
Ce qui veut dire quelque chose dautre que la pars extra partem de la substance étendue, comme le souligne admirablement cette sorte de kantien, disons-le cest un vieux bateau qui est quelque part dans mes Écrits 62, quon lit plus ou moins bien, cette sorte de kantien quétait Sade, à savoir qu on ne peut jouir que dune partie du corps de lautre, comme il lexprime très très bien, pour la simple raison quon na jamais vu un corps senrouler complètement, totalement jusqu à linclure et le phagocyter autour du corps de lautre. Cest même pour cela quon en est réduit simplement à une petite étreinte comme ça, un avant-bras ou nimporte quoi dautre. Ouille !
Et que jouir a cette propriété fondamentale que cest en somme le corps de lun qui jouit dune part du corps de lautre, mais cette part jouit aussi, ça agrée à lautre plus ou moins, mais cest un fait quil ne peut pas y rester indifférent. Et même quil arrive quil se produise quelque chose, qui dépasse ce que je viens de décrire, marqué de toute lambiguïté signifiante à savoir que le jouir du corps est un génitif dont, selon que vous le faites objectif ou subjectif, a cette note sadienne, sur laquelle jai mis juste une petite touche, ou au contraire extatique, subjestive, qui dit quen somme cest lautre qui jouit.
Bien sûr il ny a là quun niveau qui est bien localisé le plus élémentaire dans ce quil en est de la jouissance, de la jouissance au sens où la dernière fois jai promu quelle nétait pas un signe de lamour, cest ce qui sera à soutenir et bien sûr que cela nous mène, de là, du niveau de la jouissance phallique à ce que jappelle proprement la jouissance de lAutre, en tant quelle nest ici que symbolisée c est encore tout autre chose à savoir ce « pas tout » que jaurai à articuler. Mais dans cette seule articulation que veut dire quest le signifiant, le signifiant pour aujourdhui nest autre, et clore là-dessus, vu les motifs que jen ai Je dirai que le signifiant se situe au niveau de la substance jouissante comme étant bien différemment de tout ce que je vais évoquer, en résonance de la physique et pas par hasard de la physique aristotélicienne. La physique aristotélicienne qui seulement de ne pouvoir être sollicitée comme je vais le faire, nous montre à quel point justement elle était une physique illusoire.
Le signifiant cest la cause de la jouissance.
Sans le signifiant, comment même aborder cette partie du corps, comment san s le signifiant centrer ce quelque chose qui, de la jouissance est la cause matérielle. Cest à savoir que, si flou, si confus que ce soit cest une partie qui, du corps, est signifiée dans cet abord.
Et après avoir pris ainsi ce que jappellerai la cause matérielle, jirai tout droit, ceci sera plus tard repris, commenté, à la cause finale, finale dans tous les sens du terme, proprement en ceci quelle en est le terme. Le signifiant cest ce qui fait halte à la jouissance.
Après ceux qui senlacent, si vous me permettez, hélas ! et après ceux qui sont las 63, holà ! lautre pôle du signifiant, le coup darrêt est là aussi à lorigine que peut lêtre le vocatif du commandement.
Et lefficience, lefficience dont Aristote nous fait la troisième forme de la cause, nest rien enfin que ce projet dont se limite la jouissance. Toutes sortes de choses, sans doute qui paraissent dans le règne animal nous font parodie à ce chemin de la jouissance chez lêtre parlant. Justement cest chez eux que quelque chose se dessine, quils participent beaucoup plus de la fonction du message : labeille transportant le pollen de la fleur mâle à la fleur femelle, voilà qui ressemble beaucoup plus à ce quil en est de la communication.
Et létreinte, létreinte confuse doù la jouissance prend sa cause, sa cause dernière qui est formelle, est-ce que ce nest pas beaucoup plus quelque chose de lordre de la grammaire qui la commande ? Ce nest pas pour rien que « Pierre bat Paul » est au principe des premiers exemples de grammaire, ni que Pierre et Paul pourquoi ne pas le dire comme ça Pierre et Paul dans lexemple de la conjonction, à ceci près quil faut se demander après qui épaule lautre. Jai déjà joué là-dessus depuis longtemps. On peut même dire que le verbe se définit que de ceci, cest que dêtre un signifiant pas si bête, il faut écrire ça en un mot, passibête que les autres sans doute lui aussi qui fait le passage dun sujet, dun sujet justement à sa propre division dans la jouissance, et quil lest encore moins quil devient signe, quand cette division il la détermine en disjonction.
Jai joué un jour autour dun lapsus littéral, calami, quon appelle ça Jai fait toute une de mes conférences 64 de lannée dernière sur le lapsus orthographique que javais fait : « Tu ne sauras jamais combien je tai aimé » adressé à une femme, et terminé m-é. On ma fait remarquer depuis que, pris comme lapsus, cela voulait peut-être dire que jétais homosexuel. Mais ce que jai articulé lannée dernière cest que, quand on aime, il ne sagit pas de sexe.
Voilà sur quoi, si vous le voulez bien, jen resterai aujourdhui.
applaudissements
Anexe: "L'exérience du proverbe" - Jean Paulhan
Notes
44 R. Jakobson, Essais de linguistique générale, Paris, Minuit, 1973, pp. 209-248.
45« LÉtourdit », Scilicet 4, Paris, Seuil, Le champ freudien, 1973, pp. 5-52.
46« Quon dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui sentend » in « LÉtourdit », op. cit., p. 5.
47 A. Rimbaud, uvres Complètes, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1972, p. 130. « Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.
Un pas de toi cest la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.
Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne : le nouvel amour !
« Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps », te chantent ces enfants.» Élève nimporte où la substance de nos fortunes et de nos vux », on ten prie. Arrivée de toujours, qui ten iras partout ».
On peut remarquer quil ne sagit pas dun nouvel amour, mais de « le nouvel amour ». Il ne scande pas non plus chaque verset.48 Les voici, tels que dans la première séance de Lenvers de la psychanalyse du 26-11-69 :
49 Fondation de luniversité au temps de Charlemagne ! Lacan rabat luniversité sur l école : Charlemagne fonde, en 789, lécole médiévale où le clergé enseigne dabord la lecture et lécriture. La première université est fondée à Bologne en 1200.
50 On peut lire : « ça nous ça se traverse »
51 F. de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Bibliothèque scientifique Payot, 1972. Cf. annexe en fin de séance.
52 Cest manifestement à Jakobson présent ce jour-là que Lacan fait référence, celui-ci ayant à plusieurs reprisesironisé sur Saussure ne reconnaissant pas sa dette à légard des stoïciens. Cf. M. Viltard, « Parler aux murs. Remarques sur la matérialité du signe », in L UNEBEVUE, Paris, E.P.E.L., 1994.
53 Cf., entre autres, le séminaire Les écrits techniques de Freud du 23-6-54 où Lacan commente avec le R.P. Beirnaert» Disputatio de locutionis significatione» de St Augustin, qui constitue la première partie du De magistro.
54 J. Paulhan, « Lexpérience du proverbe », in Commerce, Paris, 1925. Cf. texte en fin de séance.
55 Lexpression « à tire-larigot » signifie : en grande quantité, énormément. Tirer appartient au vocabulaire bachique et signifie : faire sortir un liquide de son contenant, en loccurrence du vin de la bouteille. Larigot est un refrain populaire de chansons à boire (XV°s.), il est associé au verbe boire (XVI°s.), cest aussi une flûte. A partir de A. Rey, S. Chantreau, Dictionnaire des expressions et locutions, Paris, Le Robert, 1989.
56 Il est difficile de trancher sur lécriture signifier/signifié, sous forme de verbe ou de substantif. Dans ce passage, nous avons opté pour le verbe.
57 Platon, Cratyle, Paris, Garnier-Flammarion, 1967, pp. 391-473.
58 Jean Starobinski, Les mots sous les mots. Les anagrammes de Ferdinand de Saussure, Paris, Gallimard, 1971 .
59« Qui fait lange fait la bête».
60 Dans « LÉtourdit », op. cit., texte contemporain du séminaire, Lacan écrit dit-mension six fois et dit-mention une fois. Il nous semble impossible de trancher.
61 Parménide, Les Pré-Socratiques, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1988, pp. 231- 272.
62 Jacques Lacan,» Kant avec Sade» in Écrits, Paris, Seuil, le champ freudien, 1966, pp. 765-790.
63 Cette phrase pourrait être lue : Après ceux qui sen lassent, si vous me permettez, hélas ! et après ceux qui sont là, holà !
64 Jacques Lacan, ou pire, séance du 9-2-72.