Mardi 21 novembre 1972
Il mest arrivé de ne pas publier lÉthique de la psychanalyse 1. En ce temps-là, cétait une forme, chez moi, de la politesse : « après-vous, jvous-en-prie », « jvous-en-pire », « passez-donc-les-près-vous »
Avec le temps, jai pris lhabitude de mapercevoir quaprès tout je pouvais en dire un peu plus. Et puis, je me suis aperçu que ce qui constituait mon cheminement cétait quelque chose de lordre du « je n en veux rien savoir». Cest sans doute ce qui aussi, avec le temps, fait que encore je suis là, et que vous aussi vous êtes là, je men étonne toujours, encore !
Il y a quelque chose, depuis quelque temps, qui me favorise cest quil y a aussi chez vous, chez la grande masse de ceux qui sont là, un même, en apparence un même « je nen veux rien savoir ».
Seulement tout est là, est-ce le même ? le « je nen veux rien savoir » dun certain savoir qui vous est transmis par bribes. Est-ce bien de cela quil sagit ? Je ne crois pas.
Et même, cest bien parce que vous me supposez partir dailleurs dans ce « je nen veux rien savoir » que ce supposé vous lie à moi.
De sorte que sil est vrai que je dise quà votre égard je ne puis être ici quen position danalysant de mon « je nen veux rien savoir », dici que vous atteigniez le même, il y aura une paye,et cest bien ce qui fait que cest seulement que, quand le vôtre vous apparaît suffisant, vous pouvez, si vous êtes, inversement de mes analysants 2, vous pouvez normalement vous détacher de votre analyse.
Il ny a, contrairement à ce qui sémet, nulle impasse de ma position danalyste avec ce que je fais ici à votre égard.
Lannée dernière, jai intitulé ce que je croyais pouvoir vous dire « ou pire », puis « ça soupire », s apostrophe. Ça na rien à faire avec je ou tu : « je ne toupire pas », ni « tu ne moupires». Notre chemin, celui du discours analytique, ne progresse que de cette limite étroite, de ce tranchant du couteau qui fait quailleurs ça ne peut que soupirer. Cest ce discours qui me supporte, et pour le recommencer cette année, je vais dabord vous supposer au lit un lit de plein emploi, à deux.
Ici il faut que je mexcuse auprès de quelquun, qui ayant bien voulu s enquérir de ce quest mon discours, un juriste pour le situer, jai cru pouvoir pour lui faire sentir ce qui en est le fondement, cest à savoir que le langage ça nest pas lêtre parlant.
Je lui ai dit que je ne me trouvais pas déplacé davoir à parler dans une faculté de droit, celle où il est sensible, sensible par ce quon appelle lexistence des codes, du code civil, du code pénal et de bien dautres, que le langage ça se tient là, cest à part, et que lêtre parlant, ce quon appelle les hommes, il a affaire à ça tel que ça sest constitué au cours des âges.
Alors commencer par vous supposer au lit, bien sûr il faut quà son endroit je men excuse ! Je nen décollerai pas pourtant aujourdhui, et si je peux men excuser cest à lui rappeler quau fond de tous les droits, il y a ce dont je vais parler, à savoir la jouissance. Le droit ça parle de ça, le droit ça ne méconnaît pas même ce départ, ce bon droit coutumier dont se fonde lusage du concubinat, ce qui veut dire coucher ensemble.
Évidemment je vais partir dautre chose, de ce qui dans le droit reste voilé, à savoir ce quon en fait, sétreindre. Mais ça cest parce que je pars de la limite, dune limite dont en effet il faut partir pour être sérieux, ce que jai déjà commenté 3 : pouvoir établir la série, la série de ce qui sen approche.
Lusufruit 4 ça cest bien une notion de droit et qui réunit en un seul mot ce que déjà jai rappelé dans ce séminaire sur léthique dont je parlais tout à lheure, à savoir la différence quil y a de loutil 5, quil y a de lutile à la jouissance.
Lutile ça sert à quoi ? Cest ce qui na jamais été bien défini en raison dun respect, dun respect prodigieux que grâce au langage lêtre parlant a pour le moyen.
Lusufruit ça veut dire quon peut jouir de ses moyens mais quil ne faut pas les gaspiller ; quand on a reçu un héritage, on en a lusufruit, on peut en jouir à condition de ne pas trop en user. Cest bien là quest lessence du droit, cest de répartir, de distribuer, de rétribuer ce qu il en est de la jouissance.
Mais quest-ce que cest que la jouissance ? Cest là précisément ce qui, pour linstant, se réduit à nous dune instance négative. La jouissance cest ce qui ne sert à rien, seulement ça nen dit pas beaucoup plus long.
Ici je pointe la réserve quimplique ce champ du droit, du droit à la jouissance. Le droit ce nest pas le devoir. Rien ne force personne à jouir, sauf le surmoi. Le surmoi cest limpératif de la jouissance : jouis !
Cest le commandement qui part, doù ? cest bien là que se trouve le point tournant quinterroge le discours analytique.
Cest bien sur ce chemin que jai essayé dans un temps, le temps de l«après-vous » que jai laissé passer, pour montrer que si lanalyse nous permet davancer dans une certaine question, cest bien que nous ne pouvons nous en tenir à ce dont je suis parti assurément respectueusement : à ce dont je suis parti soit de lÉthique dAristote 6, pour montrer quel glissement sétait fait avec le temps.
Glissement qui nest pas progrès, glissement qui est contour, glissement qui, dune considération au sens propre du terme, dune considération de lêtre qui était celle dAristote, a fait venir au temps de lutilitarisme de Bentham 7 au temps de la Théorie des fictions 8, au temps de ce qui du langage a démontré la valeur doutil, la valeur dusage.
Ce qui nous laisse enfin revenir à interroger ce quil en est de cet être, de ce « Souverain Bien » posé là comme objet de contemplation, et doù on avait cru pouvoir édifier une éthique.
Je vous laisse donc sur ce lit à vos inspirations.
Je sors, et une fois de plus jécrirai sur la porte, dans la fin quà la sortie peut-être vous puissiez vous rendre compte des rêves que vous aurez sur ce lit poursuivis, la phrase suivante : la jouissance de l Autre,
de lAutre avec il me semble que depuis le temps ça doit suffire que je marrête là, je vous en ai assez rebattu les oreilles de ce grand A qui vient après, et que maintenant il traîne partout, ce grand A mis devant lAutre, plus ou moins opportunément dailleurs, ça simprime à tort et à travers, la jouissance de lAutre, du corps de lautre qui Le, lui aussi avec un grand L, qui Le symbolise nest pas le signe de lamour 9.Jécris ça, je nécris pas après : terminé, ni amen, ni ainsi soit-il.
<Elle> nest pas le signe, cest néanmoins la seule réponse. Le compliqué cest que la réponse elle est déjà donnée au niveau de lamour, et que la jouissance de ce fait reste une question, question en ceci que la réponse quelle peut constituer nest pas nécessaire dabord. Ce nest pas comme lamour.
Lamour, lui, fait signe et, comme je lai dit depuis longtemps, est toujours réciproque. Jai avancé ça très doucement en disant que les sentiments cest toujours réciproque, cétait pour que ça me revienne :
Et alors ? et alors et lamour ? et lamour il est toujours réciproque ?
Mais oui ! mais oui 10 !
Cest même pour ça quon a inventé linconscient, cest pour sapercevoir que le désir de lhomme cest le désir de lAutre, et que lamour cest une passion qui peut être lignorance de ce désir, mais qui ne lui laisse pas moins toute sa portée. Quand on y regarde de plus près on en voit les ravages.
Alors bien sûr ça explique que la jouissance du corps de lautre, elle, ne soit pas une réponse nécessaire. Ça va même plus loin, ce nest pas non plus une réponse suffisante, parce que lamour, lui, demande lamour, il ne cesse pas de le demander, il le demande, encore. Encore, cest le nom propre de cette faille doù dans lAutre part la demande damour.
Alors doù part, ça, qui est capable, certes, mais de façon non nécessaire, non suffisante, de répondre par la jouissance, jouissance du corps, du corps de lautre ?
Cest bien ce que lannée dernière, inspiré dune certaine façon par la chapelle de Sainte-Anne qui me portait sur le système, je me suis laissé aller à appeler l( a)mur 11. L(a)mur cest ce qui apparaît en signes bizarres sur le corps et qui vient dau-delà, du dehors, de cet endroit que nous avons cru comme ça pouvoir lorgner au microscope sous la forme du germen, dont je vous ferai remarquer quon ne peut dire que ce soit là la vie puisquaussi bien ça porte la mort, la mort du corps, que ça le reproduit, que ça le répète, que cest de là que vient len corps.
Il est faux de dire séparation du soma et du germen, puisque de porter ce germen le corps porte des traces. Il y a des traces sur l(a)mur. Lêtre du corps est sexué, certes, mais cest secondaire comme on dit. Et comme lexpérience le démontre, ce ne sont pas de ces traces que dépend la jouissance du corps en tant que lAutre il symbolise. Cest là ce quavance la plus simple considération des choses.
De quoi sagit-il donc dans lamour ? Comme la psychanalyse lavance, avec une audace dautant plus incroyable que toute son expérience va contre, que ce quelle démontre cest le contraire, lamour cest de faire Un. Cest vrai quon ne parle que de ça depuis longtemps, de lUn : la fusion, lÉros seraient tension vers lUn.
« Y a dlUn », cest de ça que jai supporté mon discours de lannée dernière, et certes pas pour confluer dans cette confusion originelle celle du désir qui ne nous conduit quà la visée de la faille où se démontre que lUn ne tient que de lessence du signifiant. Si jai interrogé Frege 12 au départ cest pour tenter de démontrer la béance quil y a de cet Un à quelque chose qui tient à lêtre, et derrière lêtre 13 à la jouissance.
Lamour , je peux quand même vous dire par un petit exemple, lexemple dune perruche qui était amoureuse de Picasso, ça se voyait à la façon dont elle lui mordillait le col de sa chemise et les battants de sa veste. Cette perruche était bien en effet amoureuse de ce qui est essentiel à lhomme, à savoir son accoutrement. Cette perruche était comme Descartes pour qui des hommes cétait des habits en proménade 14, si vous me permettez bien sûr cest pro, ça promet la ménade 15, cest-à-dire quand on les quitte.
Mais ce nest quun mythe, un mythe qui vient converger avec le lit de tout à lheure. Jouir dun corps quand il ny a plus dhabits cest quelque chose qui laisse intacte la question de ce qui fait lUn, cest-à-dire de lidentification. La perruche sidentifiait à Picasso habillé.
Il en est de même de tout ce qui est de lamour. Autrement dit, lhabit aime le moine parce que cest par là quils ne sont tous quUn. Autrement dit, ce quil y a sous lhabit et que nous appelons le corps ce nest peut-être en laffaire que ce reste que jappelle lobjet a. Ce qui fait tenir limage cest un reste. Et ce que lanalyse démontre cest que lamour dans son essence est narcissique, que le baratin sur lobjectal est quelque chose dont justement elle sait dénoncer la substance dans ce qui est reste dans le désir, à savoir sa cause, et ce qui le soutient de son insatisfaction, voire de son impossibilité.
Limpuissance de lamour, quoiquil soit réciproque, tient à cette ignorance dêtre le désir dêtre Un. Et ceci nous conduit à limpossible détablir la relation deux.
La relation deux, qui ?
Les deux sexes.
Assurément, ai-je dit, ce qui apparaît sur ces corps, sous ces formes énigmatiques que sont les caractères sexuels qui ne sont que secondaires, sans doute fait lêtre sexué. Mais lêtre c est la jouissance du corps comme tel, cest-à-dire comme a, mettez-le comme vous voudrez comme a sexué, puisque ce qui est dit jouissance sexuelle est dominé, marqué par limpossibilité détablir comme tel, nulle part dans lénonçable, ce seul Un qui nous intéresse, lUn de la relation : rapport sexuel.
Cest ce que le discours analytique démontre, en ceci justement que pour ce qui est dun de ces êtres comme sexué, lhomme en tant quil est pourvu de lorgane dit phallique, jai dit « dit », le sexe corporel, le sexe de la femme, jai dit de « la » femme, justement il ny en a pas, il ny a pas « la » femme, « la » femme nest pas toute, le sexe de la femme ne lui dit rien si ce nest par lintermédiaire de la jouissance du corps.
Ce que le discours analytique démontre cest, permettez-moi de le dire sous cette forme, que le phallus cest lobjection de conscience faite par un des deux êtres sexués au service à rendre à lAutre 16.
Et quon ne me parle pas des caractères sexuels secondaires de la femme parce que, jusquà nouvel ordre, ce sont ceux de la mère qui priment chez elle. Rien ne distingue comme être sexué la femme sinon justement le sexe. Que tout tourne autour de la jouissance phallique cest très précisément ce dont l expérience analytique témoigne, et témoigne en ceci que la femme se définit dune position que jai pointée du pas toute à lendroit de la jouissance phallique.
Je vais un peu plus loin : la jouissance phallique est lobstacle par quoi l homme narrive pas dirai-je à jouir du corps de la femme, précisément parce que ce dont il jouit c est de cette jouissance, celle de lorgane 17. Et cest pourquoi le surmoi, tel que je lai pointé tout à lheure du « jouis ! », est corrélat de la castration qui est le signe dont se pare laveu que la jouissance de lAutre, du corps de lautre 18, ne se promeut que de linfinitude, je vais dire laquelle : celle que supporte le paradoxe de Zénon, ni plus ni moins, lui-même 19.
Achille et la tortue, tel est le schème du jouir dun côté de lêtre sexué. Quand Achille a fait son pas, tiré son coup auprès de Briseis, telle la tortue elle aussi a avancé dun peu, ceci parce quelle nest pas toute, pas toute à lui. Il en reste. Et il faut quAchille fasse le second pas, et comme vous savez, ainsi de suite.
Cest même comme ça que de nos jours, mais de nos jours seulement, on est arrivé à définir le nombre, le vrai, ou pour mieux dire, le réel 20. Parce que ce que Zénon navait pas vu, cest que la tortue non plus nest préservée de cette fatalité dAchille, cest que comme son pas à elle est de plus en plus petit, il narrivera non plus jamais à la limite. Et cest en ça que se définit un nombre quel quil soit sil est réel. Un nombre a une limite, et c est dans cette mesure quil est infini. Achille, cest bien clair, ne peut que dépasser la tortue, il ne peut pas la rejoindre, mais il ne la rejoint que dans linfinitude.
Seulement, en voilà de dit pour ce qui est de la jouissance, en tant quelle est sexuelle. La jouissance est marquée dun côté par ce trou qui ne lassure que dautre voie que de la jouissance phallique. Est-ce que de lAutre 21 côté, quelque chose ne peut satteindre qui nous dirait comment ce qui jusquici nest que faille, béance dans la jouissance, serait réalisé ?
Cest ce qui, chose singulière, peut être suggéré par des aperçus très étranges. Étrange cest un mot qui peut se décomposer : lêtre ange ; cest bien quelque chose contre quoi nous met en garde lalternative dêtre aussi bête que la perruche de tout à lheure. Néanmoins, regardons de près ce que nous inspire lidée que dans la jouissance, dans la jouissance des corps, la jouissance sexuelle ait ce privilège de pouvoir être interrogée comme étant spécifiée, au moins, par une impasse.
Cest dans cet espace, espace de la jouissance, prendre quelque chose de borné, fermé, cest un lieu, et en parler cest une topologie 22. Ici nous guide ce que, dans quelque chose que vous verrez paraître en pointe de mon discours de lannée dernière, je crois démontrer la stricte équivalence de topologie et de structure 23, ce qui distingue lanonymat de ce dont on parle comme jouissance, à savoir ce quordonne le droit, une géométrie, justement, lhétérogénéité du lieu, cest quil y a un lieu de lAutre.
De ce lieu de lAutre, dun sexe comme Autre, comme Autre absolu, que nous permet davancer le plus récent développement de cette topologie ? Javancerai ici le terme de compacité 24. Rien de plus compact quune faille, sil est bien clair que quelque part, il est donné que lintersection de tout ce qui sy ferme étant admise comme existante en un nombre fini densembles, il en résulte, cest une hypothèse, que lintersection existe en un nombre infini. Ceci est la définition même de la compacité 25. Et cette intersection dont je parle cest celle que jai avancée tout à lheure comme étant ce qui couvre, ce qui fait lobstacle au rapport sexuel supposé. À savoir ce dont jénonce que lavancée du discours analytique tient précisément en ceci, que ce quil démontre cest que son discours ne se soutenant que de lénoncé qu«il ny a pas », quil est impossible de poser le rapport sexuel, cest de par là quil détermine ce quil en est réellement aussi du statut de tous les autres discours.
Tel est, dénommé, le point qui couvre limpossibilité du rapport sexuel comme tel. La jouissance en tant que sexuelle est phallique, cest-à-dire quelle ne se rapporte pas à l Autre comme tel.
Suivons là le complément de cette hypothèse de compacité. Une formule nous est donnée par la topologie que jai qualifiée de la plus récente, à savoir dune logique construite précisément sur linterrogation du nombre et de ce vers quoi il conduit, dune restauration dun lieu qui nest pas celui dun espace homogène.
Le complément de cette hypothèse de compacité est celui-ci : dans le même espace borné, fermé, supposé institué, léquivalent de ce que tout à lheure jai avancé de l intersection passant du fini à linfini est celui-ci, cest quà supposer ce même espace borné, fermé, recouvert densembles ouverts, cest-à-dire de ce qui se définit comme excluant sa limite, de ce qui se définit comme plus grand quun point, plus petit quun autre, mais en aucun cas égal ni au point de départ ni au point darrivée, pour vous limager rapidement 26, le même espace donc étant supposé recouvert despaces ouverts, il est équivalent, ça se démontre, de dire que lensemble de ces espaces ouverts soffre toujours à un sous-recouvrement despaces ouverts, eux tous constituant une finitude, à savoir que la suite des dits éléments constitue une suite finie 27.
Vous pouvez remarquer que je nai pas dit quils sont comptables 28, et pourtant cest ce que le terme fini implique. Pour être comptables, il faut quon y trouve un ordre, et nous devons marquer un temps avant de supposer que cet ordre soit trouvable. Mais ce que veut dire en tout cas la finitude démontrable des espaces ouverts, capables de recouvrir cet espace borné, fermé en loccasion de la jouissance sexuelle, ce qui implique en tout cas cest que les dits espaces, et puisquil sagit de lAutre côté mettons-les au féminin, peuvent être pris un par un ou bien encore une par une.
Or, cest cela qui se produit dans cet espace de la jouissance sexuelle qui de ce fait savère compact. Ces femmes pas toutes, telles quelles sisolent dans leur être sexué, lequel donc ne passe pas par le corps mais par ce qui résulte dune exigence dans la parole, dune exigence logique, et ce très précisément en ceci que la logique, la cohérence inscrite dans le fait qu ex-siste le langage, quil soit hors de ces corps qui en sont agités, lAutre, lAutre avec un grand A, maintenant qui sincarne, si l on peut dire, comme être sexué, exige cet « une par une ».
Et cest bien là quil est étrange, quil est fascinant, c est le cas de le dire Autre fascination, Autre fascinum cette exigence de lUn, comme déjà étrangement le Parménide pouvait nous le faire prévoir, cest de lAutre quelle sort. Là où est lêtre cest lexigence de linfinitude.
Je commenterai, jy reviendrai, sur ce quil en est de ce lieu de lAutre. Mais dès maintenant pour faire image, et parce quaprès tout je peux bien supposer que quelque chose dans ce que javance puisse vous lasser, je vais vous lillustrer.
On sait assez combien les analystes se sont amusés autour de ce Don Juan dont ils ont tout fait, y compris ce qui est un comble, un homosexuel ! Est-ce quà le centrer sur ce que je viens de vous imager, de cet espace de la jouissance sexuelle à être recouvert de lAutre 29 côté par des ensembles ouverts et aboutissant à cette finitude jai bien marqué que je nai pas dit que cétait le nombre et pourtant bien sûr que ça se passe, finalement on les compte. Ce qui est lessentiel dans le mythe féminin de Don Juan cest bien ça, cest quil les a une par une, et cest cela quest lAutre sexe, le sexe masculin pour ce quil en est des femmes.
Cest bien en cela que limage de Don Juan est capitale, cest dans ce qui sindique de ceci quaprès tout il peut en faire une liste, et quà partir <des> noms on peut les compter. Sil y en a mille e tre cest bien quon peut les prendre une par une, et cest là lessentiel.
Vous le voyez, il y a là tout autre chose que lUn de la fusion universelle. Si la femme nétait pas pas toute, si dans son corps ce n était pas pas toute quelle est comme être sexué, rien de tout cela ne tiendrait.
Quest-ce à dire, que jaie pu pour imager des faits qui sont des faits de discours, ce discours dont nous sollicitons dans lanalyse la sortie, au nom de quoi ? du lâchage de tout ce quil en est dautres discours, lapparition de quelque chose où le sujet se manifeste dans sa béance, dans ce qui cause son désir.
Sil ny avait pas ça je ne pourrais faire le joint, la couture, la jonction avec quelque chose qui nous vient bien tellement dailleurs : une topologie dont pourtant nous ne pouvons dire qu elle ne relève pas du même ressort, à savoir dun autre discours, dun discours combien plus pur, combien plus manifeste dans le fait quil nest genèse que de discours, et que cela converge avec une expérience à ce point que cela nous permette de larticuler. Est-ce quil ny a pas là quelque chose de fait aussi pour nous faire revenir, et justifier dans le même temps, ce qui dans ce que javance se supporte, se soupire de ne jamais recourir à aucune substance, de ne jamais se référer à aucun être, dêtre en rupture de ce fait avec quoi que ce soit qui sénonce comme philosophie. Est-ce que cela nest pas justifié, je le suggère, cest plus tard que je lavancerai plus loin, je le suggère en ceci que tout ce qui sest articulé de lêtre, tout ce qui le fait se refuser au prédicat de dire « lhomme est » par exemple sans dire quoi, que lindication par là nous est donnée que tout ce qui est de lêtre est étroitement relié précisément à cette section du prédicat et indique que rien en somme ne peut être dit sinon par ces détours en impasse, par ces démonstrations dimpossibilité logique par où aucun prédicat ne suffit, et que ce qui est de lêtre, dun être qui se poserait comme absolu nest jamais que la fracture, la cassure, linterruption de la formule « être sexué » en tant que lêtre sexué est intéressé dans la jouissance.
Notes
1 Pourtant Jacques Lacan, Léthique de la psychanalyse, livre VII, Paris, Seuil, 1986.
2 Autre lecture possible : « [ ] que vous pouvez, si vous êtes, inversement, de mes analysants » où Lacan, après avoir parlé de sa position danalysant, hic et nunc, à légard de ceux qui sont là, parlerait de la position inverse où se trouvent certains des membres de son auditoire qui sont en position dêtre ses analysants.
3 Dans toutes les séances du 22 février 67 au 14 juin 67 du séminaire « La logique du fantasme », Lacan a utilisé une série (en loccurrence la série infinie dite de Fibonacci) pour tenter de donner, tout comme il va le faire ici, « la topologie de ce quil en est concernant la jouissance » (30 mai 67).
4 Usufruit : emprunté du latin juridique ususfructus, mot fait de deux mots juxtaposés, signifiant « droit dusage et jouissance dun bien dont on n est pas propriétaire », in O. Bloch et W. Von Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, Vendôme, P.U.F, 1975, p. 660.
5 Outil : au XVI° siècle souvent util par croisement avec ladjectif utile, in O. Bloch et W. Von Wartburg, op. cit ., p. 452.
6 Aristote, Éthique à Nicomaque , Paris, Vrin, 1990.
7 Lacan cite Bentham le 29 mai 1950 dans une communication pour la XIII° conférence des psychanalystes de langue française, reprise in Écrits : « Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie », pp. 125-149. Lacan fait également référence deux fois à Bentham au cours de son séminaire Léthique de la psychanalyse , Paris, Seuil, 1986, le 18 novembre 1959 et le 11 mai 1960. Cf. Michael A. Soubbotnik, « Le tissu de la fiction : approche de Bentham» in Revue du Littoral n° 36, Paris, E.P.E.L., octobre 1992, pp. 65-81. Cf. annexe.
8 J. Bentham, De lontologie et autres textes sur les fictions , Paris, texte anglais établi par Philip Schofield, traduction et commentaire par Jean-Pierre Cléro et Christian Laval, Paris, Seuil, Coll. Points, 1997.
9 Il ny a aucun témoignage de lécriture de cette phrase, pas plus sur la porte quau tableau. Nous la considérons toutefois comme un écrit et la transcrivons en italiques. Lacan revient constamment à cette phrase, dans cette séance ainsi que dans les suivantes. Nous avons pris le parti décrire régulièrement jouissance de lAutre avec un grand A puisque Lacan est très explicite sur ce point, et jouissance du corps de lautre avec un petit a puisquil sagit cette fois de lautre qui Le symbolise, précisément ce grand Autre.
10 Lacan a prononcé avec insistance : « Mais zoui, mais zoui ».
11 Dans la séance du 6 janvier 1972 des Entretiens de Sainte-Anne intitulés : « Le savoir du psychanalyste », Lacan parle aux murs : « puisque je croyais parler à lAmphithéâtre Magnan et que je parle à la Chapelle. Quelle histoire ! Vous avez entendu ? Vous avez entendu ? Je parle A LA CHAPELLE ! cest la réponse, je parle à la Chapelle, cest-à-dire AUX MURS ! » Plus loin, il utilise le néologisme (a)mur que nous reprenons donc. « Lamour, le bien que veut la mère pour son fils, l« (a)mur », il suffit de mettre entre parenthèses le a pour retrouver ce que nous touchons du doigt tous les jours, cest que même entre la mère et le fils, le rapport que la mère a avec la castration, ça compte pour un bout ! »
12 La première référence à Frege serait dans la séance du 20 mars 1957 du séminaire « La relation dobjet et les structures freudiennes » (inédit). On retrouve cette référence à Frege dans la séance du 28 février 1962 du séminaire « Lidentification » (inédit), référence qui se limite à une seule phrase : « Aussi bien, vous naurez pas de peine vous le trouverez à la lecture de Frege, encore que Frege ne sengage pas dans cette voie faute dune théorie suffisante du signifiant à trouver dans le texte de Frege, que les meilleurs analystes mathématiciens de la fonction de lunité, nommément Jevons et Schröder, ont mis laccent de la même façon que je le fais sur la fonction du trait unaire ». Les premiers développements importants donnés à la lecture de Frege apparaissent en janvier 65 dans le séminaire « Problèmes cruciaux de la psychanalyse» où Lacan dit explicitement (20 janvier 1965) les réserver « à la partie fermée de ce cours, qui prendra nom séminaire ». Cest dans les séances fermées du 27 janvier 65 et du 24 février 65 que respectivement Yves Duroux puis Jacques-Alain Miller centrent leurs interventions sur Frege.
13 Nous nous sommes référés pour la majuscule de l« Un » et la minuscule de l « être» au compte-rendu de « ou pire », Jacques Lacan, Scilicet 5, Paris, Seuil, le champ freudien, 1975 (écrit antérieurement à « LÉtourdit » daprès Joël Dor, Bibliographie des travaux de Jacques Lacan, Inter Éditions, 1983, p. 77). On trouve « Être » en majuscule in Jacques Lacan, « LÉtourdit », Scilicet 4, Paris, Seuil, le champ freudien, 1973.
14 Terme inventé par Lacan dont la référence se trouve dans : Descartes, Méditations métaphysiques, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1953, p. 281 : « .. si par hasard je ne regardais dune fenêtre des hommes qui passent dans la rue, à la vue desquels je ne manque pas de dire que je vois des hommes, tout de même que je dis que je vois de la cire, et cependant que vois-je de cette fenêtre sinon des chapeaux et des manteaux ».
15 Ménade : figure de la mythologie grecque, compagne de Dionysos généralement consacrée aux mystères de ce dieu. Nymphe champêtre, nourrice, puis accompagnatrice de Dionysos. On représentait les ménades à sa suite, échevelées, nues ou vêtues de voiles légers dissimulant à peine leur nudité, poussant des hurlements. Elles dépecèrent Orphée dans leurs rites sanguinaires. Quant aux femmes adonnées au culte, elles employaient des stupéfiants et entraient dans une extase sacrée qui les faisaient devenir la proie de Dionysos. Larousse, 1963, tome 7, p. 247 et P. Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque, Vendôme, P.U.F, 1951, p. 288.
16 Il nous semble quà cet endroit, on pourrait aussi écrire autre, compte tenu de la présentation un peu phénoménologique que fait Lacan.
17 De nombreux auditeurs ont noté : orgasme.
18 Pour la justification de petit a à corps de lautre, cf . note 16.
19 Aristote nous rapporte ainsi le second argument de Zénon contre le mouvement : « Il consiste à dire que le plus lent à la course ne peut pas être rattrapé par le plus rapide, étant donné que le poursuivant doit nécessairement atteindre le point doù le poursuivi est parti » Physique, VI, ix, 239 14.
20 Pour les nombres réels, cf. note 28.
21 Pour la justification de A dans Autre, que lon retrouve pp. 11 et 12, cf. note 29.
22 Si le terme « topologie» indique un secteur des mathématiques, lexpression « une topologie », utilisée ici par Lacan, est communément synonyme de « structure topologique ». cf. article en fin de séance.
23 Jacques Lacan, « LÉtourdit », Scilicet 4, Paris, Seuil, le champ freudien, 1973.
24 Cf. annexe II en fin de séance.
25 Avec cette définition de la compacité en termes de finis, où lhypothèse porte sur une famille finie et la conclusion sur une famille infinie, Lacan tente de donner une topologie de la jouissance côté phallique dans des termes assez similaires à ceux utilisés dans le séminaire « La logique du fantasme » avec la série de Fibonacci. Dans les deux cas limpossibilité du rapport sexuel cest limpossible dun point de butée que linfini ne peut offrir : ici, sous la forme dune conclusion qui porte sur linfini, dans « La logique du fantasme », avec la série de Fibonacci, sous la forme de lincommensurabilité de « a » à 1.
26 Cette définition est non seulement une façon « dimager rapidement », mais les notions de « plus grand quun point » et « plus petit quun autre » ne tiennent pas sans se référer à une droite orientée, ce qui nest pas indiqué ici.
27 Lacan donne ici une définition de la compacité en termes douverts qui nest pas stricto sensu le complément de, ou complémentaire à, la première en termes de fermés, mais qui est très exactement sa contraposée, cf. article en fin de séance.
28 Lacan utilise ici le terme de comptable là où, plus usuellement en mathématiques, on utiliserait celui de dénombrable. Il ne faut pas, ici, entendre que lon ne peut pas compter ou dénombrer les éléments dune suite finie. Les éléments dune suite finie sont en effet comptables ou dénombrables, tout comme ceux dune suite infinie si elle est constituée d éléments discrets. Le premier des exemples est la suite infinie et discrète que constituent les entiers naturels N (- -1, 0, 1, 2, 3 ) que lon peut compter ou dénombrer. On parle alors dinfini dénombrable. D une façon générale on qualifie de dénombrable tout infini dont on peut faire correspondre chacun des éléments à un nombre de la suite des entiers naturels (on dit alors quil est équipotent à N). Mais ce que lon ne peut pas compter ou dénombrer, ce sont les éléments dun ensemble infini et continu tel celui des nombres réels R représenté par tous les points dun segment de droite. Nimporte quel intervalle de la droite numérique réelle R contient une infinité de points. On parle alors dinfini non dénombrable. Lacan ne veut donc pas dire que les éléments dune suite finie ne seraient pas comptables ou dénombrables. Il souligne simplement en creux cette caractéristique importante dune suite dêtre ou non dénombrable suivant quelle est ou non équipotente à N (suite infinie) ou à une de ses parties (suite finie).
29 Autre avec un grand A à « Autre côté » pour bien marquer que cest du côté de la jouissance de lAutre, considérée comme un espace compact où se déploient des recouvrements ouverts à linfini dont on peut, précisément parce que cet espace est compact, extraire un sous-recouvrement fini (donc extraire du» une par une» de linfini). La jouissance de lAutre côté est ici opposée (cf. p.10) à la jouissance phallique, elle aussi considérée comme un espace compact mais où se déploie cette fois une sous-famille finie despaces fermés dont lintersection est non vide, ce qui permet, toujours parce que lespace est compact, de conclure que toutes les familles y compris donc les familles infinies ont elles-mêmes une intersection non vide (donc tirer une conclusion sur de linfini là où lhypothèse porte sur du fini). Cette question est développée dans larticle en fin de séance.