Acheronta  - Revista de Psicoanálisis y Cultura
Entretien avec Marie-Claude Thomas
Realisé par N. Ferrari, E. Albornoz et M. Sauval
Texte établit par M. Sauval et corrigé par Marie-Claude Thomas

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Michel Sauval: La première question que je voudrais vous poser est la suivante : pourquoi portez-vous l'accent sur la question de la technique et pas sur la direction de la cure ?

Marie-Claude Thomas : Où avez-vous vu que je portais l'accent sur la technique ?

MS : Dans la présentation de votre séminaire de cette fin de semaine, vous partez de la question de savoir si on pouvait appliquer le dispositif psychanalytique, de plein droit, avec les enfants.

MCT : Ah bon ! Le dispositif. Ce n'est pas seulement technique, un dispositif ! C'est un discours, une disposition qui inclut la direction de la cure, qui inclut la théorie freudienne, qui inclut des contraintes et pas un point technique seulement.

MS : Mais vous partez de la « technique psychanalytique du jeu » que propose Melanie Klein

MCT : C'est l'argument du séminaire ?

MS : Exactement.

MCT : Bien. J'ai posé les choses de façon radicale : il n'y a pas de « psychanalyse d'enfant ». Il y a une pratique analytique, une expérience analytique avec des patients jeunes qui parfois ne parlent pas, ou très peu.
On ne dit pas « psychanalyse de femme » ou « psychanalyse d'adulte ». Ce serait ridicule.

Ce qui m'a intéressé chez Melanie Klein, c'est que tout de suite elle a posé qu'avec les enfants la pratique est la même qu'avec les adultes. Une phrase d'elle indique cette même position : « Un analyste d'enfants, s'il veut réussir dans son travail, doit avoir la même attitude de l'ICS qu'un analyste d'adultes. » C'était en 1927, quand il y a cette première controverse avec Anna Freud au cours de laquelle M. Klein pousse son hypothèse au bout.
Mais il y a un problème. De fait, le matériel qui vient dans une partie analytique, le matériel engagé, engagé comme avec un adulte, ce matériel est différent : c'est du jeu. Et c'est cette difficulté/différence que Melanie Klein a appelé « technique psychanalytique du jeu ». Voilà comment je prends cette question de « technique ».

Ce que je dis dans la présentation de mon séminaire, c'est que ça n'est pas une question de technique au sens devenu banal, c'est une question de mode d'entrée dans le langage. Ça va bien au-delà d'une technique. Dans un livre qui a été fait à partir d'un colloque en Angleterre en 1977 avec des kleiniens et des lacaniens, The Klein-Lacan Dialogues, quelqu'un présente sa pratique kleinienne avec des enfants, parle tout de suite des petits objets, des jouets.

Ce n'est pas ça. Je ne lis pas Melanie Klein comme ça, avec des objets, à propos du jeu. On ne donne pas à un adulte une boîte de mots en disant : « Parlez avec ça. » Un enfant qui joue en analyse, c'est différent, il s'agit d'une lecture différente d'un jeu habituel, de ce qu'on appelle jouer. Alors, comment Melanie Klein a-t-elle expliqué que l'enfant jouait dans un cure ? Eh bien, elle disait qu'il y avait tellement d'angoisse pour les enfants qu'ils ne pouvaient pas associer librement. C'est comme ça qu'elle a pensé son travail. Et elle considérait, c'est le principe basal, que le jeu est comme le rêve ou comme le fantasme. Point.

Je pars de là.
Donc, ce n'est pas du tout une technique, ou alors c'est une technique au sens du Witz, du mot d'esprit.

MS : Je reprends la question des différences. Il est peut-être ridicule de parler de psychanalyse de femmes et de psychanalyse d'hommes, mais ce qui fait différence entre l'adulte et l'enfant…

MCT : Non, justement. Je dis « psychanalyse de femme » parce qu'il y a eu beaucoup de travaux, de questions sur « la sexualité féminine ». Ce sont des veilles histoires qu'on traîne, un passé où l'on traitait les femmes comme les enfants. Voyez Dora ou la jeune homosexuelle : ce sont les pères qui les ont conduites chez Freud. C'est pour ça que je parlais de « psychanalyse de femme ». Et je ne veux pas opposer psychanalyse d'enfant à psychanalyse d'adulte, parce qu'alors on prend des faits de biologie, des faits dits naturels. On importe, dans le dispositif analytique, des données de la biologie, de la psychologie, de l'éducation, tels quels, sans prendre la mesure que ce ne sont justement pas des « données naturelles ».

Vous voyez, un dispositif c'est quelque chose de très construit, de très rigoureux, de très contraignant. Et pour moi, il s'agit de mettre en dehors du dispositif analytique, quand je reçois un enfant, tout ce qui n'est pas… comment dire ?… tout ce qui n'est pas proprement de l'ordre de l'analyse.
On croit qu'« enfant » ça vient naturellement, de tout temps, dans la psychanalyse. Oui et non. C'est une construction du dix-septième, du dix-huitième siècles qui est venue avec l'éducation, avec la mise en place du capitalisme, et à la fin du dix-neuvième avec la psychologie expérimentale, puis avec le behaviorisme et maintenant, en parallèle, avec la psychologie psychanalytique.
Et pourquoi prendrait-on ça comme ça, sans dire : « Mais qu'est-ce que c'est ça ? »

MS : Mais la division entre adulte et enfant n'implique pas seulement des questions extra-analytiques de psychologie ou d'éducation, mais aussi certains concepts analytiques, comme celui du fantasme.

MCT : Pour Melanie Klein il y a un fantasme qui s'organise de séance en séance à partir du jeu.

MS : Lacan arrive même à poser la question temporelle de la constitution du fantasme.

Eduardo Albornoz : Par exemple, pour le cas d'André Gide.

MCT : Oui. Pour Gide, Lacan pose plutôt la question du passage des fantasmes de la mère de Gide à son fils.

Norma Ferrari : O el ejemplo de « Pegan a un niño »

MCT: Mais ce n'est pas le fantasme d'un enfant ! Un enfant peut être réduit à être l'objet du fantasme des parents. Lacan repère justement que l'enfant peut être objet petit a d'un fantasme qui est un discours, qui n'appartient pas à quelqu'un. C'est un discours qui est porté par plusieurs bouches. Ce n'est pas une question d'individu. Voyez le montage, justement, entre Freud, Anna Freud, Lou Andreas Salomé et la Société de Vienne, à propos de « Un enfant est battu ».

MS : Mais cela fait différence avec les adultes : on ne fait pas des entretiens avec la famille des adultes.

MCT : Parce que dès que vous dites enfant vient parent, vient éducation, vient tout ce qui a construit « enfant ». Dans la pratique analytique « enfant », c'est le jeu, c'est ce matériel très étrange qui vient à la place des associations, et « infantile » ,si l'on se réfère à Lacan, c'est une parole irruptive, quel que soit l'âge…

EA : C'est un matériel qui vient avec des parents.

MCT : Le jeu ne vient pas avec des parents… Mais parlons des parents. Tout d'abord, le plus facile, il peut y avoir des analyses sans parents. Il peut y avoir un travail psychanalytique sans parents.

EA : Oui ?

MCT : Si ! Je vais parler, dimanche, d'un jeune garçon que j'ai reçu pendant plusieurs années, et dont je n'ai vu la mère qu'une fois.
Et parfois les parents viennent, oui.

MS : Mais, prenons le cas du petit Hans, la phobie comme cette construction à laquelle Freud apporte le mythe de l'Œdipe, avec quoi le petit Hans finit de produire sa phobie et de faire les transformations, toute la structuration de son Œdipe. Alors, pour les enfants, il s'agit de la construction du fantasme, et c'est avec les parents.

MCT : Dans le cas de Hans, oui, absolument.

MS : Mais c'est aussi la plupart des cas de consultation avec des enfants. Et dans n'importe quel service de psychopathologie d'enfants, on vous dira qu'on accompagne les phobies pour qu'ils finissent de faire leur métaphore paternelle.

MCT : Ça, c'est de l'éducation psychonormée ! (rire)

MS : Je me trompe, peut être, mais je crois que c'est comme ça qu'on pense ici la psychanalyse d'enfant.

MCT : En France aussi, parfois.

MS : Il faudrait alors répondre à cela.

MCT : Tout est cuit là. C'est joué. L'enfant est cuit. (rire)
Je pense au contraire qu'il faut organiser, non pas un programme de « maturation psychique », même si ce programme se fait avec des concepts, des modèles analytiques, mais organiser l'inaccessibilité de la jouissance et ça, c'est un pari, une aventure, une analyse et pas un programme de maturation.
On prend ce qui se présente. Je n'ai pas de modèles. Je ne sais pas, avant de travailler avec un enfant, si les parents vont accompagner sa phobie, et je ne sais pas s'il y a une phobie.

Ce que vous dites là, c'est très kleinien, parce que Melanie Klein a pensé la construction du monde, l'accès à la réalité, sur le mode contra-phobique. L'accès à la réalité, pour Melanie Klein, était psychogénétique, empiriste et sur un mode contra-phobique. C'est-à-dire qu'il y a, dans sa théorie de l'expérience analytique, un objet qui suscite beaucoup d'angoisse, qu'elle appelle le corps de la mère - j'imagine que vous savez ça - et que l'enfant, pour parer à cette angoisse, pour la fragmenter, investit un autre objet - donc, contra-phobique de cet objet premier d'où surgissait l'angoisse et l'empêchait d'associer, c'est pour cela qu'il joue -, il investit un objet qui, à nouveau, est source d'angoisse puisqu'il n'est pas sans une liaison avec le premier objet et rappelle le corps de la mère - das Ding dira Lacan dans son séminaire L'éthique de la psychanalyse en 1960 - et puis il investit un nouvel objet, et puis un autre objet nouveau, et ça constitue son monde.

Lacan a une démonstration extraordinaire qui démolit tout ça. Il dit, oui, ça peut être comme ça, mais fondamentalement, c'est le principe de réalité et le principe de plaisir qui organisent l'accès à la réalité. Pour Lacan, cela requiert ce qu'il appelle une « thèse dogmatique » qui est celle-ci que je vous dis en deux mots : la réalité est marquée d'emblée de la néantisation symbolique - il reprend la thèse freudienne de 1925 dans la Verneinung et confirme que la réalité advient sur la perte réitérée de Wahrnehmung, « prise de vrai », perception, alors prise dans un système de signes, système premier des signifiants ; on a là, pour Lacan, dans le fil de l'Esquisse, l'étape primitive d'apparition du signifiant, qui est un premier corps de signifiant - sur quoi portera la forclusion. Lacan développe cela dans le séminaire sur les psychoses en 1955-56. Ce quelque chose d'une néantisation symbolique de la réalité, fait que la réalité tient, n'est pas complètement mouvante - comme les tableaux de Dalí, ou bien dans les moments de deuil, voyez la fameuse Mme A. de M. Klein qui n'est sans doute qu'elle-même. Ça, c'est la thèse de Lacan, qu'il gardera.
C'est avec les principes de réalité et de plaisir, cette thèse de néantisation….

MS : Ce qui nous porte vers le nom du père

MCT : Après. Et ça, ça va devenir psychologique. Or quand on lit les derniers séminaires de Lacan, n'importe quel signifiant peut avoir cette fonction-là. C'est très important dans la pratique avec des enfants parce que justement la question du père est devenue une tarte à la crème.

MS : Justement : la métaphore paternelle.

MCT : Ce qu'il en est advenu. Mais pour Lacan, c'est quelque chose de très précis début 1958. C'est un épinglage. La métaphore paternelle est un épinglage entre l'ensemble du système signifiant et la signification du phallus par le sujet, entre errants. Et n'importe quel signifiant peut avoir cette fonction-là, cette lecture-là. Ça n'a pas forcément à voir avec le papa, au sens d'une application terme à terme. Donc, pas tout de suite…

MS : Bon, dans ce tout de suite il y a une question. Finalement, après, il y a les papas et les mamans.

MCT : Oui, il y a les papas et les mamans, comme il y a le chien…. Parfois un chien est un nœud, un signe plus important que les parents en tant que tels.

MS : Et la plupart des cas font un trajet plus au moins standard, au sens d'une phobie…. (rire)
Un parcours où cette phobie permet de faire ce processus d'épinglage.

MCT : Oui, si c'est une phobie. Mais ça peut être autre chose.
Ça, c'est un point de vue kleinien. Les symptômes sont étiquetés phobiques. Parce que, pour Melanie Klein, ce qui coince c'est justement cette difficulté à… c'est toute la question de l'identification qui est construite là-dessus, aussi. Pour échapper à l'objet d'angoisse, le sujet va investir un autre objet. Mais, dès qu'il a investi, avec identification - le neues Subjekt de Freud - l'angoisse ressurgit.

Pourquoi dire phobie ? Dit-on phobie parce que Melanie Klein a conçu l'investigation des enfants, la connaissance du monde sur ce mode-là et parce qu'on assimile animal totémique et incorporation du père ? Ce sont des coordonnées surchargées, si je puis dire…

MS : Beaucoup parlent de phobie parce que Lacan propose l'analyse du petit Hans.

MCT : Oui, d'accord, mais est-ce pour cela qu'il la propose ?

MS : Et on arrive même à poser que dans toute analyse on devrait trouver une phobie quelconque.

MCT : Oui, mais …

MS : L'idée que chacun a son animal phobique. Dans toute analyse, on trouvera la marque d'une phobie, parce que dans toute construction d'un sujet on passe par quelque chose comme ça.

MCT : Oui. D'accord…

MS : Et ça, c'est la métaphore paternelle, etc.

MCT : D'accord, c'est tout ce que Lacan dit de la fonction de blason dans la phobie, mais cette fonction peut être activée par autre chose qu'un animal… Si vous venez le week-end prochain, je vous montrerai que cette fonction de blason, ce n'est pas un animal, mais un héros de B.D., Goldorak.
Mais je pense que maintenant, politiquement - puisque nous parlions avant de la politique de la psychanalyse -, il y a à critiquer ce terme « phobie », parce que, justement, il fait partie de cet ensemble psychopathologique où psychanalyse et psychiatrie se mélangent, que nous sommes plusieurs à remettre en question.
Une conception psychosociale du sujet psychopathologise les sujets. Le sujet de l'inconscient n'est pas une conception psychosociale du sujet.

MS : On pourrait tracer peut-être une ligne politique. On parle avec vous, maintenant, et vous dites : « La phobie, non. »…

MCT : Politiquement…

MS : Politiquement. On parlait avec George-Henri Melenotte, et il nous disait : « La toxicomanie, non. »

MCT : Oui, oui (rire)

MS : On parlait avec Jean Allouch, et il nous disait : « La direction de la cure, non », aussi politiquement.

MCT : Ah, ça, ce n'est pas du même ordre et je n'y souscrirai pas sans quelques précisions. Que la cure soit dirigée, compulsée par la jouissance, l'au-delà du principe de plaisir, c'est indéniable. Mais que le bonhomme qui se dit psychanalyste veuille diriger la cure requiert, effectivement, des réserves… et quelques métamorphoses. Si « phobie » et « toxicomanie » sont pris dans une axiomatique psychiatrique, médicale, alors je répète qu'il ne s'agit pas de la même chose que dans l'expérience analytique et que pour éviter l'amalgame, évitons « phobie ».

MS : Bon, mais aussi il posait la critique à la question des « perversions ».

MCT : « Pernepsy ». Oui. Perversion, névrose et psychose à reprendre dans d'autres coordonnées que celles de la psychiatrie, de la morale et de la politique des pouvoirs.

MS : Alors, surgit une question qui est celle de la théorie.

MCT : La théorie, c'est toujours un point de pratique. Il n'y a pas la théorie comme ça. C'est toujours un point de pratique. Je trouve que c'est beaucoup plus nouveau, plus actif, subversif, de parler d'angoisse en tant qu'affect, que de phobie. Parce qu'avec phobie, tout de suite viennent toutes les idées convenues, c'est déjà un modèle, c'est standard - comme vous disiez - la route est tracée. Il n'y a pas d'invention. Pour l'angoisse, c'est autre chose…

Je prends le risque qu'une cure ne se fasse pas. Il y a un risque à chaque fois, c'est une aventure pour toute cure, quel que soit l'âge.

MS : C'est ce difficile équilibre que chaque cas soit un nouveau cas.

MCT : Absolument, absolument…

MS : Mais….

MCT : Pas « mais » (rire)
Pour moi, pas de « mais ».

MS : Alors il n'existe pas de phobies, ni d'hystéries…

MCT : Oui, bien sûr.

MS : On ne peut pas faire de la psychopathologie.

MCT : Voilà. Bien sûr, la psychopathologie, il y a des livres, il y a des études. Mais, dans la pratique, dans l'expérience, il n'est pas question de cela, c'est oublié. Cet oubli est un effet du transfert si le psychanalyste se déprend d'une place de pouvoir.

MS : Mais quand on fait le saut vers la théorie, il est difficile de ne pas retomber dans la psychopathologie.

MCT : En quoi rendre compte de la pratique ferait-il retomber dans la psychopathologie ou dans des vignettes cliniques ? Je pense qu'à un moment, le nôtre, où la psychanalyse est devenue d'une telle vulgarisation qu'elle est quasiment un appareil idéologique d'Etat, comme on disait, on peut trouver d'autres manières d'en rendre compte. Lisez Lacan, ce n'est pas nouveau, ce que je dis là. Ce n'est pas nouveau du tout : lire Lacan sans faire de lacanisme, lire M. Klein sans faire de kleinisme…

MS : On pourrait dire, d'une certaine façon, que cette idéologie d'Etat….

MCT : Là, j'exagère. En France, en tout cas, ce n'est pas encore un appareil idéologique d'Etat, bien que…

MS : Pourtant, Robert Castell a écrit son « psychanalysme » il y a bien longtemps.

MCT : Tout à fait. Je l'ai lu quand le livre est sorti et j'en tiens compte. On sent Castel plein de hargne salutaire contre le psychanalysme, certains effets de la psychanalyse, c'est pourquoi il compte : il y a une vérité dans ce qu'il dit.

EA : Que dit Castel ?

MS : Il dit que les psychanalystes sont les héritiers des psychiatres dans la fonction du contrôle social.

MCT : Et je suis très ferme sur ce point, parce que la psychanalyse est à une place très délicate par rapport à cela. La psychanalyse est très fragile par rapport au contrôle dans les institutions. Dans une institution, si un enfant parle de choses un petit peu louches….

MS : Il y a des questions légales….

MCT : Donc, je suis très ferme. Je pense que le savoir analytique est un savoir disjoint du reste, complètement disjoint, séparé. C'est la position de Lacan en 1970, dans L'envers de la psychanalyse : le savoir du psychanalyste doit rester disjoint du savoir de la science. Mais mettre ça en pratique, quotidiennement, est très difficile en ce moment : naviguer entre la psychiatrie qui domine les institutions et les figures respectables, normativantes des psys. Et puis, les psychanalystes aiment le pouvoir. C'est peut-être ce à quoi Jean Allouch faisait allusion pour la direction de la cure.

Les psychanalystes aiment le pouvoir et aiment dire ce qu'ils savent. Et c'est avoir du pouvoir sur quelqu'un que de dire ce que l'on sait de lui, dire ce que l'on sait d'un enfant aux autres de l'institution. Or c'est une contrainte du dispositif freudien que ce savoir-là soit disjoint. C'est ce qu'on appelle la discrétion.

MS : Je vais continuer à faire l'avocat du diable. (rires)
Un psychanalyste d'enfant vous dirait : « Mais très souvent il faut intervenir sur les parents… »

MCT : Non, non. Intervenir comment ? En tant que quoi, qui ? Expert ? Juge ? Educateur ?

MS : Comment produire certains changements dans certaines situations…

MCT : Avec l'enfant.

MS : Mais il y a des situations que l'enfant ne peut pas changer à lui tout seul.

MCT : Il y a des situations où une analyse est impossible : la psychanalyse n'est pas une panacée. Mais si c'est possible, alors faisons le pari de lui donner la capacité de se débrouiller avec sa famille. Il n'y a pas de famille idéale. C'est lui donner les moyens de se débrouiller avec cette famille-là. Ce sont ses parents.

Et les gays and lesbians studies vont nous apprendre beaucoup de choses là-dessus, j'espère. Parce que, c'est mon opinion, le S/M est dans la famille. C'est là que se joue le S/M, dans la névrose. Freud avait déjà repéré que ces pulsions qu'il nomme sadisme et masochisme sont des fondements pulsionnels. Vous voyez, on hygiénise, on asceptise d'un côté, ça revient d'un autre, on ne va pas supprimer ça, ce n'est pas possible, sinon on supprime l'érotique de la vie… Donc, un travail avec un enfant, c'est lui donner les moyens de se débrouiller avec ça, de faire avec, comme pour tout analysant.

MS : Mais, justement, il y a toujours des situations où surgit la question de savoir s'il y a les possibilités pour franchir cette limite. Il y a des situations qui sont suffisamment tragiques pour qu'il n'y ait pas de possibilités.

MCT : Bon, là il faut trancher : la psychanalyse est-elle ou non un remède social ? Tout n'est pas du ressort de l'analyse et tout le monde ne peut pas, ou ne veut pas, faire une analyse. C'est une entourloupe que de le laisser croire. Il y a d'autres moyens d'intervention. La scolarisation est obligatoire en France, une analyse, non.

MS : Une analyse n'est pas obligatoire. Mais c'est obligatoire d'aller au cabinet psychopédagogique quand il y a les problèmes.

MCT : Psychopédagogique, pas psychanalytique.

EA : Mais les demandes sont des parents.

MCT : Les parents ont envie que leurs enfants aillent bien. Mais si l'enfant ne demande pas - et en tant qu'analyste, on sent très vite si un enfant est d'accord ou non pour faire un travail, très vite, on sent s'il se pique au jeu et s'il continue - mais s'il ne veut pas, qu'est-ce qu'on peut faire ? Réellement, qu'est ce qu'on peut faire ? Rigoureusement, on peut proposer aux parents de continuer avec eux. Ça oui. On ne peut forcer personne à faire une analyse, c'est une condition de son effectuation. Je crois que c'est un des seuls endroits de liberté : il y a une différence entre prescrire une analyse à quelqu'un et quelqu'un qui se sent lui-même dans la nécessité de faire une analyse.

Et quand il y a une possibilité de faire une analyse, alors il n'y a pas à hésiter car c'est efficace quand elle est faite dans un dispositif rigoureux.

MS : On touche un point-limite peut-être : la question de l'autisme. Il veut ou il ne veut pas faire d'analyse ? Il se pique ou il ne se pique pas au jeu ?

MCT : Certains se piquent au jeu.
C'est ma question en ce moment.

MS : Pourquoi en ce moment ?

MCT : Parce que si les difficultés dans ma pratique avec les enfants sont à peu près organisées, maintenant je bute sur ce qu'on appelle l'autisme : je trouve que c'est une énigme très compliquée. J'ai commencé un travail que j'ai appelé « l'invention de l'autisme ». Pas très original comme intitulé, mais c'est prendre les choses à la Foucault, les travaux de M. Foucault sont très précieux. L'autisme est un phénomène qui s'est construit à partir de 1935 aux Etats-Unis avec Kanner. Mais pas seulement avec Kanner, avec le structuralisme américain - Sapir, Bloomfield - c'est-à-dire avec une conception du langage très particulière ; avec Watson aussi, le behaviorisme et la pédopsychiatrie. Kanner est le premier à avoir écrit un manuel de psychiatrie de l'enfant, en 1935. Et je pense - c'est mon hypothèse maintenant - que la psychiatrie de l'enfant, le behaviorisme, la linguistique structuraliste américaine - qui est comportementaliste aussi - plus la psychologie animale, c'est-à-dire des expériences et expérimentations sur du matériel qui ne parle pas, ont construit cette figure nouvelle qui s'appelle autisme, de nombreux documents télévisuels que chacun reçoit dans son salon…

Toute une psychologie est pensée maintenant à partir des vivants qui ne parlent pas. Il y a là un phénomène humain très étrange, avec ces coordonnées-là, quand une famille humaine produit un enfant qui ne parle pas. Extraordinaire ! Par ailleurs, il y a de nombreuses associations concernant l'autisme.

C'est très nouveau que les parents soient partie prenante dans un phénomène anormal. Les parents sont très actifs par rapport aux années 50, 60, 70, par rapport à la psychose de l'enfant ; ça, c'est nouveau. Il n'y avait pas ce phénomène. Les parents se regroupent, écrivent des témoignages, interviennent, font des congrès. L'autisme n'est pas caché, plutôt exhibé.

MS : Cela fait peut-être partie de ce standard idéologique de la santé. Il y a des mouvements comme ça aussi pour l'alcoolisme, l'anorexie, etc.

MCT : Oui. Mais surtout, les parents sont mis, se mettent en place d'observateurs de leur enfant, et rapportent faits et gestes aux psys…

MS : Tout un appareil idéologique de la santé en charge des personnes : il faut participer, il faut faire.

MCT : C'est pour ça que je dis que l'autisme est un discours à plusieurs : l'enfant, les parents, les associations, les psys, la psychanalyse, la science médicale.
Ce qui pose la question de la naissance de la parole.

Une de mes hypothèses est que là, une sorte de défi a été lancé, un peu comme les sorcières défiaient l'Eglise, ou comme les hystériques défiaient l'anatomie. Il y a là un défi qui est lancé concernant ce qui fait tout de même la particularité humaine, à savoir le langage et la parole, comme résistance.

MS : C'est une hypothèse qui circule, peut-être pas comme vous le dites, mais comme l'idée que l'enfant autiste ne veut pas parler.

MCT : Je ne pense pas que ce soit l'enfant en tant qu'individu, c'est un discours, c'est l'enfant plus d'autres.

MS : Bon, mais ceux qui posent cette idée pensent à un refus plus radical.

MCT : Au négativisme ?

MS : Pas simplement une négation, un refus beaucoup plus net, plus du côté de la psychose.

MCT : Il y a un point de résistance, sûrement, mais ce n'est pas l'enfant qui ne veut pas parler. Ce n'est pas ça. C'est un discours qui résiste aux maîtres psys, à la scientifisation… C'est un point de résistance qui rend opaque la question de l'advenue de la parole. Ce point ne doit-il pas rester opaque ? Ne devons-nous pas, en tant qu'analyste, organiser l'inaccessibilité de ce qui rend la parole possible - et vous voyez que ce n'est pas pour autant méconnaître ce qui la rend possible. C'est un mouvement à la fois vers et contre ce que fait la science : il y a un défi ! Eh bien, faut-il le relever ? Ça n'est pas sûr du tout… Comment le phénomène de l'autisme est-il apparu ?

MS : Et comment abordez-vous ce discours ?

MCT : J'ai donc commencé à lire les linguistes américains et leurs élèves, qui sont des référents pour la méthode TEACCH (Treatment and Education of Autistic and related Communication handicapped Children). Egalement la thèse d'Asperger. C'était un psychiatre viennois qui, la même année que Kanner, en 1943 - remarquez que 1943 est aussi la date du livre de Gesell, Le jeune enfant dans la civilisation moderne, qui est un travail sur « la croissance de l'enfant dans la culture moderne » où « croissance » et « idéologie démocratique » ont plus d'un point commun… Donc Asperger a fait une thèse intitulée Les psychopathes autistiques pendant l'enfance avec les observations de quatre cas d'adolescents dits autistes. Actuellement, ce qu'on appelle le « syndrome d'Asperger » se définit comme High functioning autism.

Le terme d'autisme vient de Bleuler. Je pense qu'il faut reprendre les choses à partir de l'opposition entre Bleuler et Freud, entre autisme et autoérotisme, parce qu'il y a quelque chose de l'eros qui disparaît - c'est un peu brouillon ce que je vous dis, mais il faut remonter au moins jusque-là, lire la correspondance entre Freud et Bleuler. Je crois qu'il y a une logique de Bleuler à Watson, au comportementalisme, à la méthode « Teacch », au conditionnement. Il y a un fil.

Le livre de Watson, Behaviorism, est paru en 1925. Freud l'a dénoncé immédiatement. Que ce soit contemporain de Die Verneinung n'est pas sans intérêt non plus…

Il y a également Bowlby, un « analyste » qui a attrapé la psychanalyse anglo-saxonne dans le behaviorisme. Quand on prend certains textes, très précisément la discussion entre Bowlby, Anna Freud et Melanie Klein à propos du deuil - c'est paru dans Littoral, il y a les traductions dans un numéro spécial sur le deuil - on voit très bien comment Bowlby déplace les concepts et comment sa méthode est la méthode S-R (Stimulus-Réponse), pour fabriquer sa conception du deuil qui n'a plus rien à voir avec ce que Freud avait commencé en 1917. Par exemple, il fait une enquête : si un enfant est séparé de sa mère à tel âge, quelle est sa réponse par rapport aux adultes, à des enfants d'un autre âge, à des animaux, etc. ? Et il le fait avec des concepts analytiques.

MS : C'est ce que beaucoup font très souvent ici aussi (rires)

NF : Que font les cognitivistes en France?

MCT: Très précisément, je ne peux vous répondre. Je ne sais pas précisément. Je n'ai guère le temps de les lire, hormis un livre sur l'autisme paru aux PUF, de M. Rutter et E. Schopler, L'autisme , et un autre qui s'intitule pompeusement La philosophie de l'esprit qui est la mise en place, la légitimisation - très savamment, à partir de l'intentionnalité - de la paranoïa ordinaire, de la méconnaissance. C'est étonnant…

MS : Si l'autisme pose des problèmes, c'est par la question pratique. Et c'est pour cela que fonctionne cette « réponse » collective, l'intervention des appareils, dans la mesure où il n'y a pas par quel bout tirer.

MCT : On ne sait pas, en effet…

MS : Il y a une exigence plus grande de prendre en charge, et c'est aussi pour cela que l'Etat intervient.

MCT : Mais il y a plus que ça.

MS : Certains pensent qu'avec l'autisme, il faut chercher le jeu. Mais ce n'est pas toujours facile, ça.

MCT : Le geste, c'est d'ouvrir une possibilité au jeu. C'est ça. Quand un enfant joue, un pas est fait. Il en reste beaucoup à faire. Mais ça, c'est déjà un pas.

EA : Comment pensez-vous l'interprétation ? Prendre la technique du jeu de Melanie Klein implique aussi une modalité d'interprétation. Avez-vous une critique à cette modalité ?

MCT : Oui. Le jeu est déjà une préparation à une interprétation.

EA : L'interprétation kleinienne était absolument explicite et même intrusive, comme dans le cas de Dick

MCT : Mais Melanie Klein avait aussi une finesse d'interprétation…

MS : Dans quel sens finesse ? Parce que dans certains cas c'est d'une brutalité…

MCT : Comme dit Lacan, c'est une brutalité, mais elle avait un réglage freudien.
Elle interprétait quand elle repérait qu'il y avait des répétitions, quand quelque chose insistait, quand ça avait l'air d'un lapsus, d'une formation de l'inconscient. Ce n'est pas toujours une traduction simultanée, Mrs. Klein. Voyez son article de 1927, « Colloque sur l'analyse des enfants » et celui de 1931, « Contribution à la théorie de l'inhibition intellectuelle ».

MS : Je crois que c'est un point important ce que vous signalez.

MCT : Elle ne traduit pas de façon simultanée le jeu. Elle interprète à des moments très précis et avec la structure œdipienne.
Bon, Lacan a bousculé tout cela, mais cela ne signifie pas qu'il jette l'Œdipe. Bien au-delà de ses références à M. Klein, environ 1960, qui est le moment où il cesse d'y faire référence, il y a cette position qu'une partie analytique se fait dans le cadre de l'Œdipe. On ne joue pas à l'Œdipe avec un enfant, on ne joue pas à papa et maman avec un enfant, mais le cadre du jeu, c'est l'Œdipe ; entendons-nous, l'Œdipe n'est pas la fable familialiste qui a été la cible - à juste titre - de Deleuze et Guattari.

Et il y a un point de contact, au moins un, entre le cadre, et le matériel qui vient. Par exemple, dans le cas Dick, quand Melanie Klein dit : « Petit train, grand train, gare », etc. C'est le point. Mais c'est un point extraordinaire, puisque ça met le cadre en place et, pour Dick, il y a alors un dedans, un dehors et un entre-deux, le noir qui est un lieu extraordinanire, d'où surgira l'appel… Voilà comment Lacan situe les effets de l'interprétation de Melanie Klein.

Bien, il y a un point qui est un épinglage du cadre œdipien, qui est celui de la psychanalyse ; ça reste, bien sûr. Mais il ne s'agit pas de dire par exemple à une petite fille : « Tu attends un enfant de ton père. » C'est stupide. C'est un exemple que Lacan donne d'une modalité interprétative d'un analyste qui veut expliquer à une petite fille qu'elle aime son père et qu'elle voudrait un enfant de son père ; pour aller plus vite, il lui explique son inconscient ! Résultat : tous les matins, la petite fille se réveillait en pleurant parce qu'elle ne voyait pas le petit frère « promis »… ça la mettait en colère et au désespoir. Lacan raconte ce fragment de cure dans son séminaire La relation d'objet et les structures freudiennes.

Donc, une interprétation, c'est l'enfant qui la fait. L'analyste permet l'interprétation, mais c'est l'enfant qui la fait, l'interprétation. Il la prépare en jouant. Les petits patients de Melanie Klein faisaient des mots d'esprit extraordinaires.

Je ne sais pas si vous connaissez le cas de John, un cas d'inhibition. Il y a des Witz, des unebévues, c'est l'enfant qui interprète.

Alors, Melanie Klein, elle explicitait ça. Je pense qu'on peut en rester à ce que dit l'enfant et le ponctuer : « C'est ça. » Et ça continue. On n'a pas à faire un catéchisme psychanalytique. C'est une des différences entre M. Klein et Lacan. Je crois que c'est ça, une politique : de ne pas faire un catéchisme psychanalytique qui vienne remplacer la religion officielle plus ou moins branlante.

MS : Dans le cas de l'interprétation dans la psychanalyse d'enfant, je crois que la méthode de la traduction simultanée est la forme de ce catéchisme. Il est très courant de lire des travaux où les dessins des enfants sont interprétés comme une traduction. Ce n'est pas une intervention par rapport à la répétition, sinon une constante traduction - qu'on le dise ou pas à l'enfant, mais c'est pensé comme ça, très souvent.

MCT : Tout à fait.
Ce qui compte, c'est le trait qui sera répété. Et on n'interprète pas ça. On n'interprète pas le trait unaire. La marque, elle est là, il faut la construire. C'est le point de résistance du sujet. C'est le point où il y aura la frontière entre la jouissance et la symbolisation. On ne va pas toucher à ça. On est là, au contraire, pour que ça advienne.

Un enfant psychotique c'est un enfant qui est dans la jouissance, pourrait-on dire. Donc, c'est ce point-là qu'il faut construire.

Je crois qu'il y a une psychanalyse qui est à contresens, une psychanalyse psychologique qui est à contresens de ce que Lacan, me semble-t-il, a avancé.

Dimanche matin, je montrerais avec un cas que j'ai rendu public - il fallait que je parle avec du matériel, qui n'est pas toute la cure, qui est composé de fragments d'une cure - comment un enfant, pendant un an, a fait le même dessin. Un an, trois fois par semaine, des séances de cinq minutes.
Et un jour, quelque chose est apparu ; après, c'était autre chose. Et jamais je n'ai commenté ce dessin. C'était un jeu qu'il faisait, et à chaque séance, je lui disais : « Rappelle-moi comment on y joue » ; enfin, les règles, parce que c'était un jeu. Ce jour-là, une règle particulière a fusé et c'est à ce moment-là que le cadre œdipien, le cadre de l'analyse et le matériel de cet enfant se sont croisés, se sont noués. Ensuite, il a continué à dessiner sans que j'interprète les dessins. Simplement des ponctuations…

MS : Dans ce cas-là, pourrait-on dire que la valeur de l'analyse fut la place et le temps où faire cette répétition ? C'est la présence du dispositif, la possibilité de répéter ce dessin dans une « autre » place.

MCT : Oui. Vous avez raison. Il ne faisait pas chez lui ce dessin, il le faisait dans l'institution, puisque c'est un jeu. Je peux vous expliquer le jeu ?

MS : Bien sûr.

MCT : C'est un jeu d'enfants. Vous avez un papier ?

MS : Voilà.

MCT : Ça s'appelle « le jeu des batailles ». Il y a deux camps, il y a des canons dans chaque camp.

Ça, c'est un canon, et avec le stylo - je ne saurais plus le faire - il fallait passer dans le champ de l'autre, essayer de toucher un canon. Voilà, pendant un an, il y a eu ça.

Et c'est un jeu que les enfants font. Il y a une manière de faire glisser le stylo - je ne sais plus, c'était en 82.

Alors, pendant 3 ou 4 minutes, c'était ça.

Et ce jour-là, il m'a dit : « Touches pas la mer de feu », c'est-à-dire que si le tir du canon aboutissait dans la zone médiane des lignes ondulantes, la « mer », alors le canon-lanceur explosait.

Au bout d'un an !

Et c'est là que j'ai dit : « Ah, c'est ce qui se passe avec ta mère ? ! »

Et à partir de ce jour-là, il n'a plus joué à ce jeu - encore un peu, mais ce n'était plus ça - et il a fait un dessin extraordinaire qui était une sorte de caverne, un avion avec une fumée noir, tout noir autour, un soleil rouge.

Une sorte de paysage vu d'une ouverture, d'une grotte. C'est-à-dire qu'il y avait un cadre. Nous pouvions continuer autrement, parce qu'à partir de cette séance, cet enfant avait un point de vue.

NF : Le cadre y est.

MCT : Sans commentaire de ma part, sauf une énergique approbation et un soulagement à la fin du dessin.

MS : Cette analyse a continué après ?

MCT : Oui. Ce garçon, au début du travail - avant le jeu des batailles - cassait tout, se bagarrait, était violent avec sa mère, c'est à peu près tout ce que je savais de lui. Il parlait peu. Et je le gardais deux minutes. Un jour, il est venu en disant et en se désignant : « Goldorak. »
Il avait dit d'autres mots avant qui m'avaient fait penser qu'il ferait un travail. Et quand il a dit « Goldorak », j'ai répliqué : « Oui, c'est ça Goldorak. » Voilà un blason, on pourrait dire comme ça.

MS : Goldorak ?

MCT : Ah, c'est un personnage de jeux pour enfant.

NF : Puissant ?

MCT : Oui. Et en disant Goldorak, il n'était plus Goldorak. Avant, il était Goldorak. Mais en le disant, il ne l'était plus. C'est après ça qu'il a joué au jeu des batailles.
L'analyste n'a pas besoin de dire beaucoup. Et ce Goldorak, c'était un blason, un signe, une marque qui effaçait cet être fou qu'il avait été…

MS : Votre thèse sur les références à Klein dans l'enseignement de Lacan, est-elle éditée ?

MCT : Elle est reproduite en un format de livre aux Presses Universitaire de Lille par un atelier de reproduction de thèses. C'est texto ma thèse. Je ne voulais pas en faire un livre.

MS : Quelle est la différence ?

MCT : Il arrive que certaines thèses universitaires soient déguisées par une réécriture.
Je n'ai pas voulu. C'est une thèse. J'ai joué le jeu de la thèse universitaire et, de plus, j'avance une thèse, concernant la « Play-technique » comme étant ce qui fait office de métaphore… la « technique psychanalytique du jeu », comme je l'ai précisé tout à l'heure, est l'officine, le laboratoire de la métaphore.

MS : Quelles sont les idées principales de cette thèse ? Quelles sont les principales conclusions que vous faites de ces références kleiniennes dans Lacan ?

MCT : C'est une partie de la thèse, oui et j'en déduis que Lacan a lu Melanie Klein très sérieusement.
Vous savez que Melanie Klein avait proposé à Lacan de traduire La psychanalyse des enfants ?
Vous connaissez cette histoire entre Melanie Klein et Lacan ?

NF : Non

MCT : Henri Ey organisait pour 1950 un congrès mondial de psychiatrie, et souhaitait la présence de Melanie Klein, parce qu'elle représentait un côté progressiste de la psychanalyse, au contraire d'Anna Freud et des Viennois. Comme M. Klein refusait, justement parce qu'il y avait Anna Freud, Henri Ey a alors demandé à Lacan de s'occuper de Melanie Klein pour la décider à venir, ce qu'il a fait.
Il y avait une sympathie entre Melanie Klein et Lacan. Je crois qu'il avait une même folie de la psychanalyse, une même conviction. Il y avait quelque chose où ils étaient en accord.
Donc, en 1950, Melanie Klein donne à Lacan son livre, La psychanalyse des enfants, version allemande, qu'elle avait publié en 1932, en lui demandant de le traduire en français.

Lacan a commencé, puis il en a donné une partie à un autre analyste. Lacan aurait égaré les papiers et le projet en est resté là…

Plus tard, c'est le docteur Boulanger, psychiatre au Canada, et sa femme, qui ont traduit la version anglaise d'Alix Strachey en français. Lorsque la traduction est parue en France, au premier trimestre 1959, immédiatement Lacan en a parlé à son séminaire, Le désir et son interprétation. C'est-à-dire qu'il n'avait jamais laissé, en fait, ce livre. Ce qui me fait dire que Lacan était attentif à Melanie Klein. Il avait déjà commenté le cas Dick, la question de la symbolisation, avait inventé le mathème du schéma optique. Pour comprendre le cas Dick qu'une élève avait présenté à son séminaire, à la séance d'après, le 24 février 1954, il dit : « J'ai inventé pour vous un succédané, une suite du stade du miroir », et c'était la matrice du schéma optique, avec lequel il donne la raison de l'appel de Dick.

En même temps, dès 53, il avait marqué une différence entre lui et Melanie Klein, avec sa thèse sur la réalité dans le séminaire Les psychoses et les structures freudiennes.

MS : Que pensez-vous qu'il prend de Melanie Klein ? Dernièrement, il y a un certain revival de la question de l'imaginaire, et Melanie Klein est proposée comme celle qui s'occupe de cela, et Lacan du symbolique.

MCT : Oui, c'est l'opinion qui a couru et qui court encore !… Mais c'est faux. Ce genre de partage est suspect. Peut-être Lacan le dit-il lui-même une ou deux fois. Mais à côté de tout le travail de construction très fin qu'il a fait avec Melanie Klein, c'est peu. En revanche, on voit qu'à partir - entre autres - de la lecture du cas Dick, c'est-à-dire pour être précis l'article de 1930, « Importance de la formation du symbole dans le développement du Moi », se mettent en place le Symbolique, l'Imaginaire et le Réel de la conférence de juillet 1953.

Ce sont des élèves de Lacan qui ont dit Melanie Klein/Imaginaire, parce que Lacan a souligné son imaginarisation du symbolique.
Mais je trouve que c'est agiter un petit grelot qui cache tout le travail que Lacan a fait avec la théorie de Melanie Klein.

Ce que Lacan a pris de Melanie Klein, pour continuer à vous répondre, de ses comptes rendus de cure, c'est l'importance du « pénis intérieur », du phallus, qui apparaît comme - je vais le dire en termes de Lacan, puisqu'il le dit comme ça - comme un signifiant polyvalent qui permet les équations symboliques. Voilà.

Donc, ça c'était important, je pense, pour Lacan, de trouver dans un matériel de cure ce que Freud avait dit autour du phallus. Dès 1910, avec le cas de Léonard de Vinci, où il est question, non du pénis de l'enfant, mais du phallus qui manque à la mère - cet article de Freud vient un an avant l'introduction du narcissisme - tout de suite Lacan a repéré ce lien entre le phallus qui manque à la mère, qui va permettre à l'enfant d'avoir, par cette place d'abord, cette place qui le constitue comme totalité fallacieuse et ensuite phallus qu'il n'est pas, ce lien entre le phallus et le narcissisme.

Il y a ça.

Il y a la question de la substitution des objets internes. Lacan dit, texto, ce sont des signifiants. Il y a une version des objets intériorisés qui sont les signifiants de la chaîne, justement, dans cette espèce d'avancée contra-phobique. Par ailleurs, Lacan fait une analogie très claire entre le stade du miroir et la position dépressive, texto aussi - en 1966, dans « De nos antécédents », c'est un texte important puisqu'il présente les Ecrits - il fait ce rapprochement lui aussi longuement commenté, précisé au cours du séminaire.

Et entre le mauvais objet et l'objet a. Il faut être précis dans l'articulation. Mais Lacan le dit, là aussi, textuellement : le mauvais objet, c'est l'objet qui n'est pas demandable, c'est l'objet qui ne peut pas être objet d'une demande et c'est en cela qu'il est mauvais. C'est l'objet du désir, qui file toujours.

Là, il y a aussi une articulation très importante.

Et je trouve, quant à moi, que d'avoir fait ces articulations permet de préciser la différence entre Melanie Klein et Lacan. Et ce n'est pas Melanie Klein/Imaginaire et Lacan/Symbolique. Ce n'est pas ça.

MS : Quels seraient les points de différence ?

MCT : Les points de différence ? En 1938, la première référence dans l'article sur la famille, qui est très importante pour nous aujourd'hui, a des conséquences précises pour la conception du complexe de castration chez Lacan, puisqu'il se fonde, non pas sur la différence des sexes comme dans Freud, mais sur « le corps morcelé » de Melanie Klein.

Pour les questions de genre, en ce moment, ça n'est pas sans intérêt, me semble-t-il. Lacan gardera ce fil. Ce n'est pas une question de masculin/féminin, de différence des sexes, la castration se fonde sur ce sol craquelé, fissuré, qu'est la notion de « corps morcelé », d'image du corps morcelé d'où, entre parenthèses, l'importance de I autant que R et S.

Il l'articule avec la phase œdipienne où la tendance du corps est du côté de ce fameux phallus, est en jeu d'une autre manière qu'avec la bouche ou l'anus.

Cela me paraît très important. C'est une question qui est au-delà de la sexualité, au sens de la différence sexuelle génitale et comportementale.

MS : Mais, c'est comment la différence, alors, avec Melanie Klein ?

MCT : Melanie Klein réintroduit la symétrie de Freud en disant : non seulement la fille veut le pénis du père, mais le garçon veut les enfants de la mère, les seins de la mère.
Lacan ne suit pas Melanie Klein sur cette voie.

EA : Il y a aussi une différence importante par rapport au savoir. Pour Lacan, le savoir doit aller à la place de la vérité, et pour Melanie Klein le savoir était quelque chose que l'analyste communiquait au patient, dans la modalité de cette traduction simultanée dont on parlait avant.

MCT : Je ne pense pas que c'était tout à fait la pratique de Melanie Klein. Pas à ce point, pas systématiquement de cette manière.
Quand elle avait des contrôles, M. Klein se disait : « Ah, ils vont encore me parler du sein ! » (rires). Elle en avait marre. Il y a un psychanalyste âgé, en France, James Gamil, qui raconte ses souvenirs à propos de Melanie Klein. Elle était critique avec ça. Il y a Melanie Klein et le kleinisme, comme il y a Lacan et le lacanisme, Freud et le freudisme. C'est différent. C'est pour ça que je pense qu'il est très important de lire Melanie Klein, lire Lacan, et pas seulement tel ou tel commentateur.

MS : Cette pratique des kleiniens part d'une chose que Melanie Klein prend de Freud qui est la question de la communication d'inconscient à inconscient.

MCT : C'est l'inconscient transindividuel de Lacan. L'inconscient est dans la langue.

MS : Mais pour les kleiniens, cela mène à ce qu'on est toujours en condition de pouvoir traduire. On est dans le même avion.

MCT : On est dans le même avion oui, mais on n'est pas deux, le transfert, c'est ça. C'est délirant, s'il n'y a pas l'Œdipe.
Il y a quelque chose d'un peu fou dans cette expérience de l'analyse. Mais le dispositif implique des contraintes qui font qu'on n'est pas dans un délire à deux. En tous les cas, on peut l'espérer… (rires)

MS : Reprenons alors la question : où placez-vous le point de divergence entre Lacan en Melanie Klein ?

MCT : Il y en a plusieurs. J'ai déjà évoqué la conception de la réalité. Lacan dit que pour Melanie Klein, la réalité, c'est cette projection constante contra-phobique. C'est une déduction de la lecture de Lacan de la théorie kleinienne. Logiquement, quand on lit Melanie Klein, la réalité est une extension de cette construction fantasmatique de défense contra-phobique.

Donc, il y a un parti pris - pas philosophique, parce que ce n'est pas articulé chez Melanie Klein, on peut l'articuler comme ça avec Lacan, après -, mais il y a un parti pris de cet ordre-là : la réalité c'est une grande fantaisie qui apaise. Mais voyez-vous, une chose est de déduire la conception de la réalité chez M. Klein, après que Lacan a construit la sienne en 1957, et de les comparer - c'est une différence quasi épistémologique -, autre chose serait de comparer les effets de leur pratique, elles aussi bien différentes.

Pour Lacan, non. La réalité est autrement conçue, fondée sur une conception du langage. Il y a ce point d'incomplétude, ce trou du refoulement originaire qui enracine la langue… l'« encorporise »…

Ce sont deux démarches théoriques différentes. On ne peut pas reprocher à Melanie Klein de ne pas avoir eu cette réflexion, ce recul épistémologique qu'a eu Lacan dès le départ parce qu'il a suivi les cours de Kojève, parce qu'il avait lu Spinoza, parce qu'il avait une culture philosophique et scientifique remarquable… Mais M. Klein, elle, avait cé génie, comme le reconnaissait Lacan encore en 1975 !

EA : Quand pour Klein l'inconscient consiste en une série de contenus fantasmagoriques, pour Lacan l'inconscient est structuré comme un langage.

MCT : Pour Lacan l'inconscient est une hypothèse.
C'est extraordinaire. C'est un pari, ça veut dire que ça se construit. Ce n'est pas un inconscient réservoir.
Et ça a une influence sur la pratique, ça change complètement la pratique. C'est un pari, ça veut dire que le présent se construit avec le futur. Le présent est-il un effet du passé ? Pourquoi pas ? C'est ce qu'on nous rabâche, mais qui dit que l'expérience analytique doive forcément être du même tonneau ? Cette question change la pratique, on ne peut plus interpréter de la même manière. C'est radical. L'expérience analytique n'est pas une narration, ni même une re-narration.

Pour la question du jeu, je me suis intéressée à Pascal qui permet, entre autres, de comprendre cette bascule.

Au XVIIe siècle, les gens jouaient beaucoup, misaient, pariaient. Il y avait un problème : quand plusieurs joueurs donnaient de l'argent, faisaient une mise et interrompaient la partie, on ne savait pas calculer la redistribution de la mise.

Avant Pascal, on le faisait de façon empirique. Il a résolu le problème d'un point de vue mathématique : en comptant les coups d'après, mais surtout en postulant que la mise, une fois faite, était perdue pour chacun des joueurs. Ce n'est qu'à ce prix que le calcul a été possible et vous voyez comment cela a pu intéresser Lacan, cette perte initiale. Alors, savoir comment distribuer la mise, quand la partie est interrompue, à partir des coups à venir (et non du passé), je trouve cela très important pour l'analyse avec les enfants, parce que souvent la partie est interrompue, mais pas sans au moins un bouclage…

MS : Cela nous ramène alors à la question que je vous posais au début : l'analyse n'est pas la même pour un enfant que pour un adulte du point de vue de la fin.

MCT : Du point de vue de la fin, sans doute.

Mais en même temps, je ne pose pas cette opposition si tranchée dès le départ, je ne sais pas si elle est si tranchée. Quand on fait une analyse, on construit quelque chose. Quel que soit l'âge, c'est une construction, pas de la réalité, mais de l'expérience. Le refoulement originaire n'est plus au début, il est au bout. Ce qui est au début du dispositif, c'est la mise perdue.

Et justement, avec Pascal - dans deux séminaires très importants que je travaille depuis trois ans parce que je les trouve difficiles, L'objet de la psychanalyse et D'un Autre à l'autre -, il me semble qu'il y a une bascule qui était en préparation, mais avec Pascal, Lacan trouve les moyens de porter vers l'avenir ce qu'on pensait dans le passé. Et pour la pratique, c'est très important, parce que c'est en pistant ce que Lacan nomme le sujet de la science, que l'analyse peut opérer, œuvrer.

MS : Il y a l'idée que la psychanalyse est la reconstruction….

MCT : Déconstruction et construction. Ça change tout.
Et ça va bien avec certains enfants qui ne sont pas construits. Lacan disait que l'imaginaire était second par rapport au symbolique, ça se construit après.

Alors, il y a des enfants qui viennent, qui sont en cours de construction, et c'est mal foutu, c'est douloureux. C'est là que le jeu est important, qu'il y ait une mise en jeu, parce que ces enfants-là, très souvent, ne jouent pas.
Lorsqu'un enfant commence à jouer, quelque chose va venir, il est en train de faire sa cuisine, ou sa chimie, c'est tout un art…

MS : La psychose d'un adulte a une logique semblable, dans le sens que construire un délire, des objets avec lesquels soutenir un lien social, c'est faire une construction.

MCT : Absolument.
Là où il y a le trou, ce sont fantasme, rush pervers ou délire à quoi le sujet s'accroche. Dans l'analyse, c'est à l'analyste qu'échoie d'être ce support.

MS : Le problème pour les psychoses, c'est que l'intervention de l'analyste est le support.

MCT : Dans les névroses aussi mais peut-être pas dans le même registre, quoique dans certains passages…

MS : Mais dans les psychoses, c'est pour toute la vie. Ce n'est pas le cas pour les névroses. La construction utilise toujours le support de l'analyste. En tous les cas, c'est ce que soulignent les analystes de psychotiques : la cure peut avoir des interruptions, parfois longues, des stabilisations, mais habituellement le patient revient.

MCT : Oui.

NF : J'aimerais savoir : comment êtes-vous arrivée à la psychanalyse ?

MCT : Je voulais être ethnologue. Et pour être ethnologue, je voulais aller à la Maison des Sciences de l'Homme, à Paris. Pour rentrer, il fallait une licence. J'ai commencé une licence de psycho, j'ai lu Freud et Lacan. J'ai été embarquée !
J'étais à Tours, j'ai rencontré des médecins qui travaillaient à la clinique de La Borde - c'était en 68….

MS : Qu'est-ce que vous travaillez de Lacan ?

MCT : Les Ecrits

MS : A partir de 66.

MCT : C'était en 68. J'ai commencé avec un professeur de littérature comparée, de Tours, et je travaillais aussi avec René Balibar ; on était un groupe, on lisait Lacan, Freud…

MS : Et vous êtes rentrée à l'école lacanienne de psychanalyse depuis quand ?

MCT : Au moment où L'Unebévue est parue. Je suis entrée à l'elp parce qu'il y avait cette revue. Je lisais Littoral, j'allais aux colloques de l'elp. Mais lorsque cette revue est sortie, je me suis décidée.

MS : Pourquoi à ce moment-là et pas avant ?

MCT : Pour une raison précise, une marche ratée… Ensuite, j'ai eu des enfants. Et je ne trouve pas facile de travailler avec d'autres analystes. Il m'a fallu du temps. Quand L'Unebévue est sortie, il m'a semblé qu'il y avait des points d'accord avec la manière dont je conçois la psychanalyse.
Je n'ai pas voulu être membre de l'Ecole freudienne.
J'allais aux séminaires de Lacan, aux congrès, aux colloques, mais ça, je ne voulais pas.

MS : Pourquoi ?

MCT : Je préférai mon expérience d'analysante avec Lacan à une expérience, disons, institutionnelle.

MS : Vous voyagiez pour faire votre analyse ?

MCT : Oui. Je voyageais au début. C'est certainement parce que j'étais loin du « milieu analytique parisien » que j'ai pu faire cette analyse.

MS : Que pensez-vous de cette invention de Lacan, de la passe ?

MCT : Big question ! Je n'ai pas demandé la passe. Ça, c'est mon style : j'aime bien la solitude et puis, de mon point de vue, à l'époque, transparaissaient trop d'enjeux institutionnels, de pouvoir, de prestance, plus que des enjeux analytiques. Ça, c'est une réponse spontanée qui m'est propre, qui est comme je suis.

Mais il y a d'autres raisons. La passe a été construite en 67, dans un moment d'élaboration du sujet de l'inconscient par rapport au sujet de la science.

MS : Justement, à l'occasion du sujet du pari de Pascal.

MCT : Absolument. Il me semble que la passe est dans cette construction-là et tant qu'on n'aura pas mis la passe à l'épreuve des séminaires ultérieurs, ou à l'épreuve d'autre chose, elle sera toujours plus marquée par autre chose que par l'expérience analytique.
Je pense qu'il y a autre chose à trouver maintenant.

MS : Il y a un côté qui dérape toujours, qui est le côté institutionnel.

MCT : Il me paraît très étrange que la passe devienne centrale à l'Ecole de la Cause, par exemple, une sorte de panoptique, ou bien soit un tourbillon à l'Ecole lacanienne, ou encore soit un moyen de travailler entre plusieurs institutions. Qu'est-ce que c'est, ces différentes interprétations de la passe ?

MS : Pour ça. Il y a un côté institutionnel qui toujours dérape un peu. Mais c'est aussi la thèse ou l'idée de Lacan d'une analyse qui a une fin.

MCT : Je pense qu'il y a d'autres moyens, d'autres manières. C'est ce qu'a trouvé Lacan.
C'était sa question et cela reste une question.

MS : S'il y avait une fin pour l'analyse ?

MCT : Oui. Et comment.

MS : C'est un problème qui revient. Beaucoup d'analystes proposent de laisser de côté que l'analyse ait une fin, de laisser ces choses ouvertes.

MCT : Il y a une fin. Mais ce n'est pas une fin ritualisée. Or cela tend à devenir un rituel. Les témoignages écrits ont souvent les mêmes tics…

MS : Oui, ça c'est le dérapage institutionnel.
Mais c'est aussi l'idée qu'il y a une fin pour l'analyse. Y a-t-il une fin ?

MCT : Oui, absolument. S'il y a un début, il y a une fin. Vous voyez que la question de la fin met en jeu toute l'expérience elle-même puisqu'il ne saurait y avoir de fin que s'il y a un début. Déduisez vous-même : pas de fin, donc pas de début ! Quid de l'analyse ?

Je pense que la question de la mise perdue, de l'objet a est essentielle. Il est extrêmement difficile de rendre compte de l'expérience analytique et, empirisme aidant, une sorte de lâcheté s'installe.

Le dispositif analytique inclut sa fin, son bouclage. Mais pourquoi, et surtout comment le vérifier, l'authentifier, en saisir le mécanisme ?

Mais c'était une question, pour quelqu'un comme Lacan, de souci de la psychanalyse.

MS : C'est un point de différence avec Freud aussi.
Si on peut démontrer, si on peut dire que la psychanalyse a une fin, il y a une psychanalyse lacanienne. Sinon, c'est toujours une psychanalyse freudienne.

MCT : Oui. C'était la question de Lacan. Mais cela était également celle de Freud : la fin a une butée, la castration ; et celle de M. Klein : la fin est un deuil. Repérer sur quel sujet de l'inconscient - en voisinage du sujet de la science - prend appui la Proposition de 1967, repérer sur quelle conception du transfert, de l'amour, puis repérer ce qui est mis en place ensuite, permettrait certainement de reposer la question de la passe dans des termes autres qu'étroitement institutionnels…

MS : Je vous posais la question parce que ça nous ramène de nouveau sur les différences entre la psychanalyse d'enfant et la psychanalyse d'adultes.

MCT : Il n'y a pas de psychanalyse d'enfant. Il y a psychanalyse. Tous les analysants ne deviennent pas psychanalystes et des cures se terminent.

MS : Mais ces analyses ne finissent pas.

MCT : Pas comme ce que Lacan a construit concernant le passage de l'analysant à l'analyste.

MS : Alors la psychanalyse d'enfant n'est pas comme les autres.

MCT : Mais il n'y a pas de standard qui dirait : il n'y a eu analyse que parce que l'analysant est devenu analyste. C'est trop facile… Si on fait de la fin d'analyse, de ce que Lacan a écrit en 1967, un standard, alors je ne suis pas d'accord.

C'est pour cela qu'il m'est apparu important d'étudier précisément cette période 65-70, parce qu'après 70, il y a un bougé…

Ce que Lacan met en place, en 67, avec la proposition de la passe a à voir avec cette trouvaille de Lacan « la psychanalyse opère sur le sujet de la science ». Est-ce que c'est valable après ? On ne voit pas pourquoi cela ne le serait pas, le discours du maître tient bien…
Mais est-ce que la fin de l'analyse, quand on a travaillé l'enseignement de Lacan jusqu'en 81, est-ce qu'on peut la formuler de la même manière qu'en 67 ?

Je ne sais pas. Pour moi, c'est en question.

MS : Peut-être dans certains cas oui et dans d'autres non.

MCT : Donc, il n'y a pas de standard. 67 n'est pas un standard. Et du coup, si ce n'est pas un standard, on ne peut pas dire que pour les psychoses ou pour les enfants - ou pour des patients qui ne deviennent pas psychanlystes… il y en a encore heureusement… - il n'y a pas de fin. Il faut trouver autre chose. Pour les enfants, l'analyse n'est sans doute pas terminée au sens de la Proposition de 67, et c'est une chance parce que qui nous dit que les fins d'analyse ne sont pas biaisées maintenant par la connaissance de la Proposition sur la passe ?

MS : C'est pourquoi je marquais la différence.

MCT : Oui, il y a cette différence.

MS : Et c'est ce même problème, peut-être, celui qui pousse les analystes à essayer de compléter les analyses d'enfant avec une intervention sur les parents, pour finir l'opération.

MCT : Exactement. Mais ça tient surtout à la manière dont l'enfant est dans le langage. Lacan a des remarques d'une finesse extraordinaire. Les enfants, remarque-t-il, n'en sont pas encore à la métaphore, mais à la métonymie… la métonymie est au départ et c'est elle qui rend possible la métaphore qui, elle, est d'un autre degré. La manière qu'a un enfant de parler de façon érotique est métonymique, c'est le mot à mot. Par exemple Anna Freud, dans son rêve, dit : « Anna, fraise, framboise, flan, etc. » Lacan rapporte un autre exemple : un petit garçon dit à sa mère qui vient lui dire au revoir le soir, dans son lit : « Ma grosse fille pleine de fesses. » Vous ne seriez pas en peine d'en trouver d'autres…

Donc le langage érotique, le transfert, sa dimension érotique se caractérise d'être du mot à mot, métonymique, l'objet file, inexorable… Ce versant appelle la métaphore qui est une sorte de bouclage, de ponctuation.

Les analystes mettent des explications-traductions. Parce que c'est une force terrible, ce mot à mot. On ne se rend pas compte, on dit métonymie, mais c'est une force terrible. C'est le sadisme de Melanie Klein.

C'est comme ça que je comprends les choses : que le sadisme de Melanie Klein est analogue à la métonymie chez Lacan. Et le masochisme est analogue à la métaphore. Il faut rétablir ces continuités : c'est la « même » question du fondement pulsionnel prise dans des coordonnées différentes.

Voilà, j'ai fait un travail aussi sur cette liaison entre Melanie Klein et Lacan. Lacan ne dit jamais ça. C'est ce que je déduis de son enseignement et de ma pratique, il faudrait le déplier un peu plus…
Effectivement, ce versant métonymique du langage appelle les parents, appelle les interprétations, appelle des explications. C'est là que va se construire un imaginaire prêt-à-porter. Or le travail de l'analyste est de faire en sorte que ce ne soit pas la théorie analytique qui débarque là, ou les connaissances de l'analyste, mais que l'enfant invente, invente à sa manière et les inventions ne sont pas forcément époustouflantes, mais singulières.

MS : On pourrait dire alors que la psychanalyse devient « psychanalyse d'enfant », dans la mesure où on se laisse pousser un peu plus sur cette tendance à compléter l'opération métaphorique, par soi-même, par l'institution, en intervenant sur les parents, etc.

MCT : Voilà. Dans son sens de spécialisation, c'est exactement ça.
Au début de ce travail avec les enfants, je me disais : pourquoi garder cette expression « psychanalyse d'enfant » ? Car cette expression reste. C'est un indice. C'est l'indice de ces différences dont on a parlées tout à l'heure : un matériel différent, une fin différente, voilà, c'est tout.

C'est l'indice de ça, d'un rapport particulier au langage, à l'angoisse dans une situation précise.

Mais, du coup, ça enlève les parents, l'éducation, la complétude, etc.

EA : Pourriez-vous nous raconter quelque chose de votre expérience avec Lacan ?

MCT : Extraordinaire. Difficile. Une aventure.
A ma première séance, j'ai été surprise par sa façon de parler, comme tout le monde.
Après la lecture des Ecrits, c'était surprenant…

Et puis … oh, il parlait très simplement, très chaleureux, très rigoureux.

MS : Et tous ses mythes, par exemple, les foules de gens dans la salle d'attente.

MCT : Oui, il y avait beaucoup de patients.

MS : On ne savait pas, quand on rentrait, quand est-ce qu'on en sortirait.

MCT : Oui, mais je n'ai jamais attendu très longtemps. Il y avait des créneaux horaires qui n'étaient pas le rendez-vous des « m'as-tu vu ? ».
Lacan faisait des séances courtes, on pouvait donc ne pas attendre très longtemps.
Mais un jour, j'ai attendu très longtemps dans la bibliothèque, seule, tard, et je crois que Lacan m'avait oubliée. (rires)

Ce qui est amusant, c'est ce que j'ai dit. Je me suis souvenue d'une expression de mon père. Mon père disait parfois : « Je garde le meilleur pour la dernière bouchée. » Un soupir de Lacan…

J'étais contente de mon truc, mais en sortant je riais « jaune ». Vous comprenez cette expression « rire jaune » ? C'est se sentir mal à l'aise parce que dire « être bouchée », et la dernière par-dessus le marché, ça n'était pas très réjouissant. Voilà, c'est à ces sortes de renversements, de culbutes à quoi j'ai eu à faire.
Il y avait des moments comme ça, dans mon analyse, où j'étais absorbée. C'est une aventure. On rentre dans un monde qui ouvre, c'est le cas de le dire…

EA : Séance à temps variable ?

MCT : Oui. Séances courtes et à temps variable. Ça pouvait paraître long. C'est un temps que la science moderne ignore.

MS : Il y a certaines théorisations sur les séances courtes qui circulent avec l'idée d'approcher le réel plus rapidement, plus directement.

MCT : C'est un problème, si on en fait un système et une intention.

MS : Variantes de la cure brevetée type. (rires)

MCT : Exactement.
Lacan pouvait se permettre ça. J'avais confiance en Lacan, parce que j'avais lu Lacan, et quelque chose m'a convaincue, ce serait long, de dire ce « quelque chose ».
Et il est vrai qu'il est inutile, sur des points très importants, de laisser un analysant blablater. Le blabla, c'est avant. Le point, c'est le point. Sinon…

NF : Ça se perd.

MCT : Voilà. Courtes ou variables, c'est équivalent si c'est pris dans le hors sens.
En trente secondes, quelqu'un peut avoir dit quelque chose de très important, et je pense que la scansion en acte, non systématique, a des effets ; d'ailleurs ça ne manque pas à la séance suivante… Pour les enfants également. Et -ça, c'est plus difficile parce qu'en privé, quand un parent est dans la salle d'attente, et qu'au bout de cinq ou dix minutes c'est fini (rires)…

MS : Mais comment !!, seulement cinq minutes !!! (rires)

MCT : S'ils font confiance…
Quand le dispositif est rigoureux, il y a des effets.

(interruption pour une cigarette) (on reprend sur la question de la langue maternelle)

MS : Pour la psychose, la cure implique, d'une certaine façon, le transport dans une autre langue

MCT : Pour la névrose aussi.

MS : Alors, pourquoi avoir à faire l'analyse dans la langue maternelle ?

MCT : Parce que cette autre langue résonne avec langue maternelle. Ce n'est pas une autre langue nationale. C'est une autre langue singulière, idiome de la langue maternelle.

MS : Wolfson se promenait de langue en langue.

MCT : Justement. Il n'a pas fait d'analyse.

MS : Il lui écrivait à…

MCT : …à son éditeur. Pontalis. Il écrivait, comme Schreber a écrit.
Peut-être que dans la psychose, pouvoir parler dans une autre langue que la langue maternelle, donne de l'air, permet un espace autre.

Mais ce n'est pas une analyse. C'est parler une langue instituée étrangère. Ce n'est pas la langue singulière. Ce n'est pas l'idiome personnel parce que l'idiome personnel, il est là… C'est une autre langue avec une grammaire, un vocabulaire, avec d'autres règles, etc.

MS : Je pense à un exemple que nous a donné Pura Cancina, une psychanalyste argentine, dans un entretien que nous lui avons fait pour ce même numéro d'Acheronta.

Pura Cancina a fait une dernière tranche d'analyse en France, avec Mayette Viltard. Elle a fait cette analyse en français. Le moment arrive où elle veut parler de sa phobie des crapauds, mais elle ne connaît pas la traduction. Alors Mayette Viltard lui demande de le dire en espagnol. C'est donc sapo, homophonique, en français, de « sa peau ». C'est ce que lui répète Mayette Viltard.
Pura Cancina nous racontait que c'était justement cet élément du crapaud qui faisait la relation avec la peau de sa mère et qui ne finissait pas d'être résout dans cette phobie.

MCT : Tout à fait. Et ça, on peut le faire dans sa langue.

MS : Dans ce cas, c'est cette translittération entre deux langues ce qui a permis de résoudre cette phobie.

MCT : En français, il peut y avoir des translittérations dans la langue même. Un mot peut sonner autrement, y compris en français.

MS : Le français est très homophonique.

MCT : Le signifiant, c'est ça aussi.

MS : Le problème est la translittération entre deux langues. En espagnol, on ne dit pas « sa peau », on dit su piel. La question qui surgit est la suivante: si la psychanalyse est faite avec du passé, la résolution de la phobie devrait retrouver les liaisons signifiantes qui ont déjà joué dans ce passé. Autrement dit, ¿quelle était la liaison signifiante entre la peau du crapaud et la peau de la mère, mais en espagnol ?
Peut-être cet exemple apporte à l'idée que la psychanalyse c'est fait avec du futur, c'est une construction.

MCT : Le départ initial, c'est que cette patiente ne savait pas traduire « crapaud ». Donc, il y avait quelque chose qui a fait dresser l'oreille de Mayette Viltard, enfin j'imagine…

[sapo] a eu un écho, un écho dans le corps - le corps résonne -, pas seulement un écho linguistique car sapo n'a pas ce sens univoque de « crapaud ». Il résonne aussi autrement en espagnol, il y a un pont, une onde…

MS : La question est : ce symptôme, comment s'était-il noué la peau du crapaud avec celle de la mère, pour qu'une intervention comme celle-ci puisse le dénouer, et qu'il puisse y avoir une séparation de l'objet ?

MCT : C'est en cela que l'analyse n'est pas une reconstruction mais une construction dans le transfert. Le nouage et le dénouage sont un même mouvement.
Ça fait vaciller un peu ma position : peut-on faire une analyse dans une autre langue que la maternelle ?

MS : Le cas par cas implique une discussion politique très forte parce que avec le mathème, d'habitude, on fait de la psychopathologie. La formation des analystes, en Argentine, passe, d'habitude, par ce qu'on appelle la formalisation du cas dans certains mathèmes généraux, par quoi on finit par construire une psychopathologie lacanienne.

MCT : On passe déjà, entre le mathème et la formalisation, on passe d'un système, si je puis dire, à un autre. Ce sont deux axiomatiques. D'abord, les mathèmes sont issus de l'expérience de Lacan, de sa pratique et non des mathématiques ou de la philosophie.
Et c'est à nous de les remettre en jeu, comme Lacan a remis en jeu Freud. On ne peut pas faire des mathèmes lacaniens - bien sûr, ils sont là - une application formelle et systématique, il faut les faire jouer.

Quand on fait l'effort de suivre Lacan, de savoir comment il a construit ses mathèmes, alors on ne peut plus les appliquer de la même manière, on ne peut surtout pas les appliquer pour en faire une psychopathologie. Ça fonctionne, mais pas comme une formalisation applicable. Parce que là, on retombe dans le catéchisme, la religion universelle, etc.

MS : C'est un problème.

MCT : Bien sûr que c'est un problème. C'est un problème dans la pratique.

MS : Et pour la formation des analystes.

MCT : Tout à fait. Mais il faut en passer par là et comprendre comment Lacan a construit son mathème, par exemple, comment Lacan a construit son schéma optique - c'est un mathème qui dure -, je crois que dans « D'un Autre a l'autre » il y a encore une référence au schéma optique.

Si on prend le moment où Lacan commence à le construire pour le cas Dick, on ne peut plus l'appliquer en tant que mathème parce qu'on voit comment il est transformé, puis a disparu.
La référence à l'optique chez Lacan est très importante. La construction du sujet de la science naît avec l'optique de Kepler. Et ça, c'est très prégnant pour Lacan, via Descartes.

Donc, quand on file tout ça, quand on le suit, on voit l'importance du mathème, on voit que c'est un point de vue fort, mais on ne peut pas l'appliquer de façon formelle.

MS : C'est un problème. Je ne connais pas bien en France, mais en Argentine, la formation standard, c'est de travailler sur des cas d'hôpitaux, sur une douzaine de séances, en appliquant une formalisation générale.

MCT : Là, la psychanalyse est passée dans le discours de la science. Décider s'il y a ou non forclusion du Nom-du-Père pour prescrire un neuroleptique, me laisse muette !…
Lacan le dit maintes et maintes fois, mais dans L'envers de la psychanalyse, il le souligne encore plus : le savoir de la psychanalyse doit rester disjoint du discours de la science.

NF : Cela demande un effort, d'aller à contre-courant.

MS : Le dernier séminaire d'Allouch à Buenos Aires a été l'occasion pour mesurer les effets de certaines « lectures » de Lacan. Quand Allouch rappelle la définition de l'amour chez Lacan, une grande partie du public ajoutait au « donner ce qu'on n'a pas » un complément : « a qui ne l'est pas », croyant que cette nouvelle version de la relation sexuelle était de Lacan. Quelqu'un a ajouté cette « deuxième » partie à la « première » et c'est resté comme une formule entière, qui serait de Lacan.

MCT : Et ça, c'est Melanie Klein. Melanie Klein, c'est la réparation.
Vous savez que cette formule de Lacan sur l'amour….

MS : Que Lacan prend de Platon, du Banquet.

MCT : En plus. Mais, cette formule, il faut la relier à sa conception du langage. Il y a un travail d'articulation à faire là, par exemple, cet objet caché qu'il met dans le schéma optique, c'est ça qui fait métaphore.
La symbolisation, c'est ça, il y a cette part d'amour, d'éros : c'est quand ce qu'il n'y a pas, qui est perdu, devient une image virtuelle de l'image réelle. C'est ça, donner ce qu'on n'a pas. Il y a une articulation à faire avec la conception de la langue de Lacan.

Au contraire de la conception behavioriste - si on prend le bouquet renversé, Lacan le fait toujours comme ça, de profil, je vous le propose de face :

Les fleurs, le vase. Si on est bien placé, on voit les fleurs apparaître, donc image virtuelle, plus image réelle. Celui qui est là, voit l'ensemble.

Ça, ce qui est derrière le cache, on ne le voit jamais, c'est perdu. Et ça apparaît par l'opération de la symbolisation, par le transfert, par éros.

C'est la « symbolisation dramatique », pour reprendre l'expression de Lacan, une performance propre à la psychanalyse : donner ce qu'on n'a pas. Ça, c'est la conception du langage de Lacan. Il y a une partie, un corps du signifiant, qui est néantisation symbolique de la réalité. Il y a une partie de la réalité qui est perdue, qu'on n'a donc pas et qu'on donne.

Les comportementalistes, eux, prennent ce qui se voit, ce qu'on peut photographier, ce qu'on peut observer, ce qu'on peut enregistrer sur une bande. Ils prennent ça. Le langage pour Sapir, Bloomfield, c'est ça, le vase ; c'est la phonologie scientifique. Pas celle de Jakobson. Voilà la différence entre Lacan et les comportementalistes. Et entre l'amour, avec cette définition, « donner ce qu'on n'a pas », et la conception du langage de Lacan, il y a une articulation.

EA : Une question de plus. A partir de la pluralisation des noms du père, pouvons-nous penser une autre façon de travailler dans la psychanalyse avec des enfants ?

MCT : Les noms du père. N'importe quel signifiant dans cette opération que je viens d'esquisser peut venir à être un nom du père si le dispositif est bien réglé.
C'est-à-dire, ça ne s'observe pas, c'est un présupposé. Et n'importe quel signifiant peut venir à avoir cette fonction d'accrochage.

MS : Merci beaucoup pour cet entretien.

MCT : Merci à vous.

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Revista de Psicoanálisis y Cultura
Número 18 - Diciembre 2003
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