Acheronta  - Revista de Psicoanálisis y Cultura
Les Gadgets
Sara E. Hassan

Introduction

Nous vivons dans un monde de prolifération incessante et effrénée d’objets de toute sorte. Je vais ici traiter d’un type d’objet, les gadgets. Dans la mesure où ils font comprendre quelque chose de la subjectivité contemporaine, ils intéressent la psychanalyse.

La psychanalyse traite de ce qui ne marche pas, de ce qui, chez le sujet et dans le monde, ne va pas. Le gadget au contraire marche et fonctionne, note discordante dans l’univers de l’inhibition, du symptôme et de l’angoisse que traite la psychanalyse. Le gadget fonctionne et crée de nouvelles fonctions et images qu’il impose immédiatement à ses utilisateurs.

Il est difficile d’échapper à la fascination de cette fonctionalité, aux lois dictées par sa présence et son fonctionnement.

Produit de la technoscience, son destin est la consommation. De par sa condition d’objet automatique il se passe du contrôle humain, et aide à créer une illusion d’autocontrôle et de pouvoir sur l’imprévisible. Il influence et modifie les relations entre les personnes, générant de nouvelles modalités de bien-être et, pourquoi pas, de malaise.

Et c’est là que la psychanalyse entre en scène.

Chez Lacan

Je vais cerner et développer quelques questions que me posent les gadgets, en partant des séminaires de Lacan.

J’ai relevé ses affirmations sur le thème dans le séminaire XVII(1), lors de dialogues qui se sont déroulés sur les marches du Panthéon. Dans le séminaire suivant(2), il va composer le néologisme "lathouse" se rapportant à des considérations sur la science et la vérité. Il en parle une fois encore, lors du séminaire XX Encore(3), où il traite de la relation de la science avec les discours. Dans La Troisième (4), il va se référer aux gadgets en les rapportant aux nouveaux symptômes et à la jouissance (5).

De l’argot

Quel sens a le mot "gadget" dans un discours qui ne soit pas en langue anglaise? "Gadget" est en effet un mot anglais, qui figure dans le dictionnaire. "Lathouse" est un terme plus spécifique, inventé par Lacan, et qui reste lié aux gadgets.

Pour le lecteur non prévenu, Lacan peut donner l’impression à première vue qu’il méprise et ridiculise les gadgets.

J’entends que de façon générale, Lacan fait allusion à l’objet technologique, choisissant de nommer quelque chose qui a un effet étrange, mettant en lumière ainsi une sorte d’énigme.

Le Dictionnaire Robert quant à lui, critique l’anglicisme ou ses dérivés, et remarque qu’il n’existe pas d’équivalents courants dans la langue française.

Le même dictionnaire Robert (6) définit le gadget comme un "objet ingénieux, drôle et nouveau, souvent sans utilité, et par conséquent une idée ingénieuse d’un sérieux discutable".

Les définitions de dictionnaires sont variées: pour certains, les gadgets sont des dispositifs, des artefacts, des artifices ingénieux (7), ou, à la limite, quelque chose qui "ne se nomme pas". Certaines acceptions soulignent l’aspect utile du gadget (R. Debray) (8), tandis que pour d’autres, il s’agit du comble du banal et de l’inutile (Baudrillard)(9)

Curieusement, l’argot anglosaxon met plutôt en valeur le côté du mot se rapportant à des instruments, des outils, ou à des parties de mécanismes liés à la navigation ou à l’usage militaire, et dont on trouve le registre écrit à partir de la moitié du siècle dernier. Ce n’est que par extension que le terme est utilisé pour des objets de pacotille, bon marché, ou pour n’importe quel petit objet de peu de valeur, indéfini, ou encore un objet d’utilisation courante(10).

"N’importe quel article de Paris en plâtre, offert comme souvenir ou comme prix", un bric à brac de bibelots...(11)

"Gadget" est donc, de ce dernier point de vue, un nom de substitution pour des instruments, des ustensiles, des artefacts(12), souvent lié à un fonctionnement ou à un automatisme. C’est donc par extension un mot pour nommer quelque chose, sans rien définir de particulier, un Joker.

Des fontaines, des grottes et des machines en mouvement ont été ses prédécesseurs. Parmi les premiers robots, l’automate connu sous le nom de "Canard de Vaucanson" (Vaucanson, 1709-1782)(13) voulait faire croire que c’était un "vrai" canard qui même, disait-on, mangeait et déféquait.

D’autres expressions moins connues comme "gimmick" (contraction de give it me quick, donne-le moi vite), truc pour attirer l’attention, attirance pour une jolie fille, charme de star de cinéma, gubbins, déjection de poisson et détritus(14), tout cela définit curieusement le commencement et la fin du périple des objets, aujourd’hui en pleine accélération.

Sophie Bialek (15) écrit que "Le mot même de gadget fait énigme".

Comme il le fait souvent, Lacan nous surprend en choisissant un terme obsolète pour attirer notre attention. Le signifiant gadget semble porteur d’un étrange pouvoir d’auto-désignation. Un mot futile, superflu dans notre langue, un américanisme.

Selon ce même auteur, les dictionnaires trouvent une origine française au mot américain. Le mot, disent-ils, vient de la fiction. Colette Bati lui trouve son explication et son origine en 1884, quand la France fait don aux Etats Unis de la statue de la liberté. Oeuvre du sculpteur Bartholdi, sa charpente métallique fut installée dans l’atelier d’un dénommé Mr. Gadget qui, vu l’enthousiasme des foules newyorkaises, fit fabriquer et commercialiser des modèles réduits de la statue. Cette initiative lui a valu l’adoption et l’anglicisation de son nom.

La fiction est surprenante, car elle allie un détail de l’histoire de la statue de la liberté, emblème triomphant de la libre entreprise dans la société industrielle, au gadget, paradigme de l’exigence camouflée de.... consommation!

Idéal miniaturisé, accessible à tout un chacun, sorte de caricature de l’individualisme contemporain, objet personnalisé mais produit à grande échelle, identique pour tous. La naissance de la pychanalyse est contemporaine de la diffusion du gadget.

Contrairement à ce que suggère le dictionnaire, il semble nécessaire de prendre au sérieux ces gadgets qui naissent, prolifèrent et disparaissent du marché à un rythme qui accompagne la vitesse du temps contemporain. Disponibles et en vente à tout moment, capables de garder en haleine le consommateur, ou de lui faire perdre haleine...

Voyons quelques uns de ces gadgets qui attirent le plus l’attention dans les pages de l’Internet, et qui sont comme des cadeaux extravagants: lunettes de soleil pour voir derrière soi, carafes pour éliminer l’acidité du vin, verres de grossissement, chapeaux, accessoires de cuisine (pour découper les pizzas, pour éplucher les pommes, pour ne pas manipuler l’ail), grilles de jardin, appareils de contrôle du niveau de nitrogène de l’air, armes en plastique, accessoires pour instruments de musique, montres à laser, mini-valises, objets d’art technologiques, mini-magnétoscope, stylo-bille de couleurs multiples, portes-clé, grilles-pain. "spedstods"(arme sophistiquée de plastique semi-adhésif contenant un produit neutralisant contre les malfaiteurs, gadgets de la taille de l’ongle du pouce, articles érotiques, brosses à dent électroniques, téléphones intelligents qui identifient l’interlocuteur avant de soulever l’écouteur pour "garantir la paix mentale des interlocuteurs"(sic), gadgets électroniques, cybergadgets pour magasins, jardins, anémomètres, instruments pour mesurer la pluie, l’humidité ambiante, la rosée, la pression. Il ne manque plus que des chasseurs de cyclones ou les oreilles de Mickey....

Un terme nouveau fait le lien entre les gadgets et des technologies de pointe, inconnues et mystérieuses : la famille des gizmons, la gizmologie et les gizmologues.

A partir d’une telle liste, nous pouvons en déduire que les gadgets présupposent une technologie, ou sont le produit de technologies innovatrices.

Dans ce même réseau mondial, de jeunes mathématiciens et physiciens d’une université écossaise, jouent sur leur home page avec l’idée que les gadgets peuvent... tuer!. "Killing gadgets" est une page... de littérature de fiction de ces scientifiques. L’histoire fictive accompagne les formules et les raisonnements mathématiques et physiques. L’argument et la trame de la fiction sont traditionnels: Boyo, le personnage, est un robot qui imite la pensée humaine et échappe au contrôle de son inventeur qui finit par le désactiver.

Ce robot inconnu laisse entrevoir l’idée de l’effet à double tranchant de la science qui peut, elle-même ou ses productions - technologiques dans ce cas - tuer... Mais sur quelle base se fonderait cette idée? Quel statut donner à ces objets qui menacent d’une persécution virtuelle?

Qu’est-ce qui fait que sans être nécessaires, ils deviennent indispensables? Quel est le secret de leur condition?

D’autres auteurs

J.Baudrillard (16) soutient que le gadget dans la société post-industrielle serait un emblème, tout comme la machine était le symbole de la société industrielle: c’est à dire qu’il signifierait la disparition de la valeur instrumentale de l’objet et l’émergence potentielle de sa valeur de signe. Quelques années plus tard (17), ce même auteur présente le gadget comme un cas d’aberration fonctionnelle où prévaut la complication irrationnelle, l’obssession du détail, le technicisme excentrique et le formalisme gratuit. Il met l’accent sur la fonctionnalité imaginaire de l’objet, distante des déterminations objectives, mais proche du champ de la pataphysique (science des solutions techniques imaginaires).

Pour ce qui est du caractère emblématique, on discerne une pointe de réel (18)où est localisée un type de jouissance. Tout comme en psychanalyse les chevaux du petit Hans, emblèmes du père, localisent l’angoisse à travers le symptôme de phobie. C’est peut-être en ce sens que l’on peut prendre le gadget comme un des noms d’un réel qui affleure, d’une vérité qui se montre. Symptôme également d’une subjectivité dispersée à laquelle il sert d’appui. La quantité de synonymes que le dictionnaire donne pour les gadgets, peut être vue comme une tentative d’apréhender ce réel du social.

D’autres auteurs se sont penchés sur les gadgets: Henri Lefèvre (19) écrit que les gadgets "simulent la technicité". Pour R. Barthes, la portée et l’importance des gadgets dépasse la futilité de leur semblant.

G.Lipovetsky (20) s’intéresse également aux gadgets et à la gadgetisation.

Même un livre como celui de Fukuyama sur "la fin de l’histoire" avec la "bonne nouvelle" qu’il prétend apporter peut se transformer en un "gadget médiatique" selon l’appellation de J. Derrida(21) qui, se demande en même temps pourquoi ce livre fait fureur dans toutes les supermarchés ideologiques d’un Occident angoissé, où l’on se jette dessus comme on se jetterai sur le sucre et sur l’huile aux premières rumeurs de guerre". Ce qui lie d’un coup de plume livre et consommation.

Lacan

Voyons de plus près ce que dit Lacan dans ses séminaires:

  1. Dans L’envers de la psychanalyse(22), il met l’accent sur la présence plus "objectivée" de la science actuelle, avec ses fabrications entièrement forgées - inventées - par elle, "ces petites choses", "gadgets et autres". Nous sommes en 1970. Les fabrications de la science sont opposées ici au savoir-faire manuel artisanal, et comparées dans leur valeur subversive respective.
  2. Dans le séminaire Encore(23), Lacan se réfère de nouveau au "discours scientifique" qui engendre tous les types d’instruments qu’il est nécessaire, "du point de vue que l’on traite ici", de qualifier comme "gadgets". A partir de ce moment, ces instruments sont devenus condition d’existence, c’est à dire indispensables. Nous avons alors les instruments-gadgets, dont Lacan dit qu’on ne peut en mesurer la portée pour le moment. On a également ceux qui deviennent "sujet des instruments".

Le problème maintenant est de décider "de quel point de vue il s’agit ici". Les considérations de Lacan dans cette citation indiquent que ce sont les discours qui forment le point de vue fondamental. - La production de gadgets ne serait pas possible sans la science, ils surgissent d’un monde de précision.

Lacan mentionne "le discours scientifique", mais sans le formaliser, sans l’écrire comme il l’a fait pour les autres. Il affirme que ce discours fonctionne comme le discours de l’histérique(24), questionnant, mettant en évidence le savoir traditionnel et les limites du savoir. La science comme maitre et comme histérique (25), fait surgir des questions avec ses découvertes.

Le discours capitaliste (hapax lacanien,), est considéré comme une variation du discours du maitre (26).

Il "n’est pas besoin d’insister sur le fait que Lacan n’a jamais présenté le discours de la science et le discours du capitalisme comme des formes nouvelles de discours. Ce sont, comme beaucoup de substituts, des déclinaisons du discours du maitre et de l’hystérique. On peut tout de suite remarquer que le couple discours du maître-et de l’hystérique est loin d’être moribond dans notre civilisation, même si on évite de le reconnaitre, et malgré les mises à jour pour les différentes époques.

Mais ces variations ne sont pas anodines dans leurs effets, et il faudrait savoir dans quelle mesure et comment elles peuvent éventuellement contribuer à l’avènement sinon d’un nouveau sujet, au moins d’une subjectivité moderne (27 ).

Comment alors situer le gadget?

Lacan voit la production de gadgets comme une production d’objets de consommation de masse dans une société où règne la complicité entre les tenants du discours dominant: discours du capitaliste comme variante du discours du maître, et discours de l’hystérique.

Dans la formalisation du discours capitaliste, se profile un circuit discursif altéré, sans envers(28) où un excès de production pousse à une consommation sans limites.

Du côté de certains effets de la science, "l’effectivité ne passe pas seulement par une efficacité croissante d’interventions, mais a également le pouvoir de rendre intelligible ce qui ne l’était pas jusqu’alors" (29)...) C’est en ce point que la science peut mettre en évidence le retour d’une vérité comme telle dans la faille d’un savoir= faire symptôme(30). "Cette parole était déjà là sans doute, mais avec la progression du savoir, elle s’éclaire".

Prenant comme exemple ce que l’on appelle aujourd’hui la "paternité biologique" (c’est à dire le spermatozoïde, mais aussi le bagage génétique), cette réduction n’est pas sans ironie dans la mesure où ce n’est que par un "abus de langage" que l’on peut dire que le spermatozoïde est père.... Il est évident que les preuves de paternité par seule analyse du matériel génétique, ne résolvent que partiellement les cas de paternité douteuse, et que la psychanalyse a son mot à dire.

c) Dans la Troisième (31), Lacan traite du moment à partir duquel la science a permis de créer des objets. On peut situer historiquement ce moment lorsque Galilée écrit ses formules: la vitesse définie commme rapport d’espace et de temps avec une barre dans l’intervalle (v=e/t). A partir de ce moment a lieu un changement radical de la relation avec la langue et avec l’Autre. En effet, avec le jeu de lettres de la science, celle-ci intervient non seulement en s’appropriant de la nature, mais aussi en faisant naitre à la perception des choses entièrement nouvelles. La science formalisée fait exister des objets.

Le gadget présuppose donc un changement de statut de l’objet, de la lettre en tant qu’objet. Mais, se demande Lacan, qu’est-ce que la science nous donne? Pour la plupart des gens, elle nous met des gadgets "sous la dents" (...) "à la place de ce qui nous manque" pour la majorité au moins. Elle cache ce qui nous manque derrière un rideau de fumée technologique, comme le fait la télévision pour la majorité, ou les voyages interplanetaires pour quelques privilégiés.

Nous pouvons alors considérer le gadget en lui superposant l’image d’une absence, à la manière du fétiche. Ce qu’il est peut-être pour beaucoup de monde. Mais en contrepartie Lacan apporte des...espérances, parce que c’est là qu’il attend le symptôme "Nous n’arriverons pas vraiment à faire que le gadget ne soit pas un symptôme, car il l’est pour l’instant tout à fait évidemment" qui, comme tel, implique la possibilité du retour d’une vérité, comme on l’a défini précédemment (note 30).

Lacan fait dépendre le futur de la psychanalyse de ces gadgets - qui ne peuvent faire autrement que continuer à être un symptôme - faisant symptôme, laissant supposer l’existence d’un nouveau malaise dans lequel la science est directement impliquée.

Nous voyons donc que partant de l’ironie pour parler de ces petites choses, Lacan donne une importance croissante aux gadgets dans son analyse.

Pourquoi à un moment donné, Lacan déclare qu’il faut "qualifier de gadgets" ces instruments non dispensables pour le consommateur d’aujourd’hui?

Une fois reconnu que la science et le capital commandent, il reste à poser la question du désir et de la jouissance... "des" gadgets. Moyens de jouissance?

Comment penser alors leur incidence sur le désir et la jouissance?

Ce que la littérature de fiction nous dit, c’est que ces objets pourraient avoir un accès à une jouissance propre, à une vie affective particulière.

Marta Nardi (32)traite de la revendication au droit à la jouissance des "lathouses" - nom scientifique des gadgets. Elle se souvienne de l’instant en que la fameux créature de Frankenstein, le monstre, une "lathouse", veut que l’on donne vie à celle qui serait sa fiancée, et comme son inventeur s’y refuse, elle tue Elisabeth, fiancée de celui-ci.

Dans Blade Runner, les androïdes commencent à s’inquiéter de leur mort; entre Rachel et le chasseur d’androïdes commence à surgir quelque chose qu’on ne sait définir. La fiction suggère une jouissance déplacée du sujet , confondue avec la jouissance des objets.

Comment pourrait-on alors penser les gadgets d’un point de vue de la psychanalyse aujourd’hui, en 1998? R. Goldemberg écrit sur un ami qui, entouré des objets dont il avait toujours rêvé, lui avoue qu’il ne peut jouir de ce qu’il a tant désiré et obtenu avec tant d’efforts, "voiture, magnétoscope, appareil de radio, de télévision, ordinateur, four micro-ondes, caméra etc..Il confesse avec désespoir son impuissance, la comparant au fait "de tenir dans ses bras la femme désirée, et que son organe le trahisse"( 33 ). L’auteur commente que cet effet d’une femme qui se donne à son prétendant est connu et banal, mais que c’est une nouveauté que des gadgets puissent inhiber leur utilisateur.

Je crois que la surprise est légitime, plus encore si nous considérons que la science apporte ajourd’hui son gadget dernier-né, produit de la technologie chimique, appelé sidenafil - ou populairement Viagra - pour résoudre le problème à sa manière. Mais on ne peut réduire la question du sujet face à son désir et à sa jouissance, au symptôme médical de la "disfonction érectile". J’entends par là que la technologie chimique ne peut arranger ce qui ne marche pas entre les sexes, ce qui se joue à la bourse de valeur des jouissances. Sans doute, question de marché aussi... De même qu’on ne peut attribuer de paternité à un spermatozoïde, on ne peut réduire la question de la différence sexuelle à une disfonction érectile.

Il est évident que pour Lacan, les gadgets prennent une valeur différente dans la Troisième où il les présente avec une valeur de symptôme, alors qu’ils apparaissaient comme "ces petites choses" dans la série de séminaires cités de Lenvers de la psychanalyse.

 

Contrepoint de désirs et jouissances

En contrepoint du gadget, le mot "lathouse" est le résultat de différentes opérations linguistiques. Du mot grec "aletheia" pris dans le sens de "non occultation" selon la traduction connue d’Heidegger sur la vérité, Lacan en tire "lathos". Le suffixe "ouses" (dans lathouses) , dérive d’un autre mot, "ousia", quelque chose entre l’ "Autre" et l’être", selon Lacan( 34 ).

De ces combinaison linguistiques résulte un mot à résonnance multiple, qui comporte et évoque une relation perdue avec une certaine vérité, d’origine heidéggerienne.

Les "lathouses" sont des objets d’origine technico-scientifique, mis sur le marché de consommation, et qui fonctionnent comme objets "plus de jouissance". Ils sont équivalents en ce point, aux objets plus de jouissance d’origine discursive. Ils se présentent comme objets concrets promis à la "satisfaction" pulsionnelle, plus particulièrement à la pulsion scopique: voir - donner à voir des images, et à la pulsion invoquante: écouter - donner à écouter .

Lacan distingue "la" lathouse en soi, au singulier, par opposition aux lathouses en général. Quelles différences et quelles relations y-a-t-il entre l’une et les autres? Le psychanalyste comme lathouse au singulier, ne se situe pas hors de l’histoire, pas plus qu’il n’échappe à l’incidence de la science sur son époque. Les lathouses, par contre, sont des objets fabriqués, pluriels, que l’on côtoie, nés de la science, à l’ère scientifique, fonctionnant comme cause de désir, mais non singularisés.

Nous avons donc les lathouses comme objets cause du désir, et comme objets plus de jouissance.

Pour Colette Soler, la lathouse (au singulier) est un nom pour la libido, que l’on peut rapprocher de la "lamelle" des années 50( 35 ), libido négativisée par le symbole, à la recherche de compensation.

M. Nardi signale que les lathouses "sont des fabrications surgies exclusivement du jeu de la vérité formelle et du calcul, où le sujet est forclos ( 36 ). La différence entre les lathouses comme objet et l’objet "a"

(37), est que "ces objets ne se présentent pas sous forme vivante ni ne sont extraits de la relation à un être vivant dont la matérialité est faite de sexualité et de mort. Cette opération produit un reste, un objet que nous appelons "a", que nous pouvons appeler plus de jouissance, que nous pouvons représenter par une lettre pour le manier plus facilement, ou seulement pour une raison de nomenclature, puisque cet objet, antécédence logique de la constitution subjective, échappe à toute tentative de nomination. Les lathouses ne sont pas des restes d’une opération subjective mais des produits de la fabrication de la science qui véhiculent les conséquences, dans le réel, de la vérité formalisée de la science".

L’objet technologique s’offre à la consommation avec la promesse d’une pleine satisfaction. Mettre des gadgets "sous la dent" est une invitation au circuit digestif: mordre, mastiquer et déglutir. Il vient donc pour calmer la faim... de l’objet perdu(38)? Prothèse d’un mode de fonctionnement hallucinatoire? Ou au contraire vient-il nous alimenter en ce sens que nous en dépendons pour notre confort et même pour notre survie?

Pour d’autres auteurs(39), l’analyste entre en compétition avec les lathouses: comme objet cause de désir, il dirait halte à un certain type de jouissance (plus....de jouissance des lathouses, s’offrant en un circuit pulsionnel et de désir alternatif mais stable, face au vertige de l’extrême rotativité de la consommation imposées par le discours dominant.

Cronenberg, dans son film Crash et aussi dans Twins met en scène une certaine familiarité avec le gadget, que atteint son point critique dès l’instant où la jouissance se fige et trouve un appui dans le gadget (qui va de la drogue, et sa dépendence à la prothèse et son erotisation).

J’entends que l’objet technologique est le même pour tout le monde, mais sa valeur dépend de comment il fonctionne pour chacun, selon la structure de chacun. Faisant le pont dans les deux sens entre le symptôme psychanalytique et le symptôme social.

Les gadgets comme moyens "de" jouissance, se exprimeraient-ils une position du sujet comme objet de la jouissance, indiqué par le génitif "de" ? Pourrait-on parler d’une jouissance du gadget, comme jouissance conditionnée par la science et le capitalisme? S’agit-il d’une jouissance déplacée ? Et enfin, de qui est ou de quoi est faite la jouissance paradoxale du gadget?

Notes

1.Seminaire du 13/05/70, L’envers de la psychanayse, p. 174, Éd. du Seuil, 1991.Consultée aussi version en espagnol du même seminaire

2.Seminaire du 20/05/70, L’envers de la psychanayse, p. 188, Éd. du Seuil, 1991.Consultée aussi version en espagnol du même seminaire

3.Seminaire du 13/05/73, Encore; Une lettre d’amour, p. 76, Éd. Seuil, 1975."Les discours" sont les quatres discours formalisés par Lacan: universitaire, maître, histerique, psychanalytique.

4. La Tercera - Conferencia en Roma, 1974, en Intervenciones y Textos 2, Ediciones Manantial, Buenos Aires, 1988.

5.La Troisième est l’un des moments ou Lacan developpe la théorie des juissances, juissance falique et de l’Autre. Juissance comme un réel , différent du plaisir et du désir.

6.Vol.IV

7.Nuevo Diccionario Cuyás, Appleton, p.244, Ed. 1966.

8.Le Monde Diplomatique, mars 1997.

9.Dans ce travail non seront pas traités d’autre contribuitions significatives sur les gadgets developpés par ces deux derniers auteurs.

10.A Dictionary of Slang and Unconventional English, Eric Patridge, N. York, 1961 - The Macmillan Company.

11.The American Thesaurus of Slang, N. York, Thomas Y. Crowell Company, 1960.

12.Dewesen, N. York, 1940.

13.Musée des Arts et Métiers, Paris.

14.Dictionary of English Slang, William Freeman, 1958.

15.Confluents, "La Psychanayse et les Gadgets", ACF, Ile de France, juin 94.

16.J. Baudrillard, La societé de consommation, 1970

17.J.Baudrillard, O sistema dos objetos, Editora Perspectiva, São Paulo, 1993.

18.Réel en relation aux régistres, dans Lacan ( Simbolique, Imaginaire et Réel) l et/ou aussi comme l’impossible.

19.Henry Lefèvre, cité dans Les gadgets et l’obedience scientifique, p.93, Confluents, Corbeil-Essones, Juin 94, de F.Leguil.

20.G. Lipovetzky, A era do vazío, Antropos, Lisboa, 1983.

21. J.Derrida, Espectros de Marx, p.82, Ed. Trota, Madrid, Espagne.

22.Jacques Lacan, L ‘envers de la psychanalyse, p.174, Ed. Du Seuil, 1991.

23.Séminaire du 13/03/73, Encore, Une lettre d/ amour, p.76, Ed. Du Seuil, 1975.

24. Discours de l’hysterique, selon Lacan

25. J. Lacan, Radiofonia, p.61, Anagrama, Barcelona, 1971: "Por paradojal que sea la aserción, la ciencia toma sus impulsos del discurso del histérico".

26. Discours du maître, selon Lacan

27. B.Lecoeur, Sujeto, goce y modernidad, p.130-131 -Atual - T y A - Buenos Aires - Agosto 1993.

28.A partir de la psychanalyse nous pouvons prendre la formalization lacanienne des discours et placer le gadget du cotê droit du discours du maître dans sa variations comme discours capitaliste, relationné comme S2/a , où S2 est le savoir - la technologie comme savoir dans ce cas - et les objets du marché à la place de "a". Dans la mesure où ils sont produits de la science, Lacan leur a donné un "nomme scientifique": "Lathouse", fontionnant comme "objet plus de jouissance".

S2 , comme la technologie

"a" ,les lathouses", comme objets plus de jouissance

29. P.Julien, O manto de Noé, p.47, Ed..Revinter, Brasil.

30. Jacques Lacan, Écrits, p.234, Seuil, 1966.

31.Troisième, Conférence de Rome, 1974, Intervenciones y Textos II, Manantial, Buenos Aires, 1988

32. M. Nardi, dans El goce de las letosas, Buenos Aires, dec. 1997,inédit.

33. R. Goldemberg, dans Goza, p.9. E. Agalma, Salvador, Bahia, 1997.

34,J.Lacan, "(,,,) l’ousia, ce participe avec tout c equ’il a d ‘ambigu. L’ousia, ce n’est l ‘Autre,ce nést pas l’étant,c’est entre les deux", en L’envers de la psychanalyse, p. 188, E. Seuil,1991.

35. C. Soler, El síntoma en la civilización, p.90. Diversidad del síntoma, Edita EOL. Colección Orientación Lacaniana, Buenos Aires, 1996.

36. Forclusion: pris ici dans le sens de l’exclusion radicale de l’être du sujet de la science avanta l’avènement de la psychanalyse.

37. Objet appelé "a" par Lacan, avec plusieurs fonctions : objet de la psychanalyse, objet perdu, objet cause de désir, objet plus de jouissance, reste. Le psychanalyste comme semblant de "a".

38. Mytiquement perdu, de Freud.

39. R. Karothy, Los tonos de la verdad, p.251 E. de la Campana, 1996, Buenos Aires.

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Revista de Psicoanálisis y Cultura
Número 7 - Julio 1998
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