Mardi 16 janvier 1973
Quest-ce que je peux avoir à vous dire, encore ? Depuis le temps que ça dure, et que ça na pas tous les effets que jen voudrais, et bien, justement à cause de ça, ce que jai à dire, ça ne manque pas. Néanmoins, comme on ne saurait tout dire, et pour cause, jen suis réduit à cet étroit cheminement qui fait quà chaque instant, il faut que je me garde de reglisser dans ce qui déjà se trouve fait de ce qui sest dit. Cest pourquoi, aujourdhui, je vais essayer une fois de plus de maintenir ce difficile frayage puisque, de par un titre, nous avons du même coup un horizon étrange, dêtre qualifié de cet Encore.
Il faut que je donne aujourdhui le repérage dun certain nombre de points qui seront cette année nos points dorientation. Il y a quelque chose qui, la dernière fois, sest formulé : la fonction de l écrit. Cest un de nos points de cette année, un de nos points-pôle. Je voudrais vous rappeler pourtant que je pense que, la première fois que je vous ai parlé, si je ne me trompe, jai énoncé que la jouissance, la jouissance de lAutre, que jai dit symbolisée par le corps, nest pas un signe de lamour. Naturellement ça passe. Ça passe parce que on sent que cest du niveau de ce qui a fait le précédent dire 79, que ça ne fléchit pas.
Pourtant il y a là-dedans des termes qui méritent bien dêtre commentés. La jouissance cest bien ce que jessaie de rendre présent par ce dire même. Ce lAutre, il est plus que jamais mis en question, il doit être de nouveau martelé, refrappé, pour quil prenne son plein sens, sa résonance complète. Lieu, dune part, mais dautre part avancé comme le terme, qui se supporte, puisque cest moi qui parle, qui ne puis parler que doù je suis, identifié à ce que jai qualifié la dernière fois pur signifiant. Lhomme, une femme, ai-je dit, ce ne sont rien que signifiants, et cest de là quils prennent comme tels le dire en tant quincarnation distincte du sexe, quils prennent leur fonction.
LAutre, dans mon langage, ce ne peut donc être que lAutre sexe. Quest-ce quil en est de cet Autre ? Quest-ce quil en est de sa position au regard de ce autour de quoi se réalise le rapport sexuel ? Cest à savoir une jouissance que le discours analytique a précipité cette fonction du phallus dont, en somme, lénigme reste entière puisquil ne sy articule que des faits dabsence. Est-ce à dire pourtant quil sagit là, comme on a cru pouvoir trop vite le traduire, du signifiant de ce qui manque dans le signifiant ? Cest bien là ce autour de quoi cette année devra mettre un point terme 80. Cest à savoir, du phallus, dire quelle est, dans le discours analytique, la fonction. Nous ny arriverons pas tout droit. Mais à seule fin de déblayer, je dirai que ce que la dernière fois jai ramené comme étant, comme accentuant la fonction de la barre nest pas sans rapport avec le phallus.
Il nous reste, dans la deuxième partie de la phrase liée à la première par un nest-pas, nest pas le signe de lamour cest bien en quoi aussi pointe notre horizon.
Il nous faut, cette année, articuler ce dont il sagit qui est bien là comme au pivot de tout ce qui sest institué de lexpérience analytique : lamour. Lamour, il y a longtemps quon ne parle que de ça. Ai-je besoin daccentuer quil est au centre, quil est au cur, très précisément du discours philosophique et que cest là assurément ce qui doit nous mettre en garde.
Si le discours philosophique sest entrevu comme ce quil est : cette variante du discours du maître, si la dernière fois jai pu dire de lamour, en tant que ce quil vise cest lêtre, à savoir ce qui, dans le langage, se dérobe le plus, ce sur quoi jai insisté comme ce qui allait être, ou ce qui justement dêtre a fait surprise
Si jai pu ajouter que cet être, nous devons nous interroger sil nest pas si près de cet être du signifiant mètre : m, apostrophe, e accent grave, sil nest pas lêtre au commandement, sil ny a pas là le plus étrange des leurres
Est-ce que ce nest pas aussi pour, avec le mot signe, nous commander dinterroger ce en quoi le signe se distingue du signifiant ?
Voilà donc quelques points dont lun est la jouissance, dont lautre est lAutre, le troisième le signe, le quatrième lamour.
Quand nous lisons ou relisons ce qui sest émis dun temps où le discours de lamour savérait être celui de lêtre, quand nous ouvrons ce livre qui est celui de Richard de Saint Victor 81 sur la trinité divine, cest de lêtre que nous partons. De lêtre en tant quil est, pardonnez-moi ce glissement décrit, conçu comme lêtrenel, comme léternel pour les sourds. Et que, de lêtre, après cette élaboration, ce cheminement pourtant si tempéré chez Aristote, et sous linfluence sans doute de lirruption, de ce « je suis ce que je suis » qui est lénoncé de la vérité judaïque, quand tout ceci vient à culminer dans cette idée, cette idée jusque là cernée, frôlée, approchée, approximative de lêtre, vient à culminer dans ce violent arrachement à la fonction du temps, par lénoncé de lÉternel, il en résulte détranges conséquences. Cest à savoir lénonciation quil y a lêtre qui, éternel, lest de lui-même ; quil y a lêtre qui, éternel, ne lest pas de lui-même ; quil y a lêtre qui éternel qui, non éternel, na pas cet être fragile, en quelque sorte précaire, voire inexistant, ne la pas de lui-même ; mais qui sarrête à ce qui semble sen imposer du fait des définitions logiques, si toutefois la négation suffisait dans cet ordre dune fonction univoque à assurer lexistence, qui sarrête à ceci que ce qui nest pas éternel ne saurait en aucun cas puisque des quatre subdivisions qui se produisent de cette alternance de laffirmation et de la négation de léternel et du de lui-même y a-t-il, dit-il, un être qui, non éternel, puisse être de lui-même ? Et assurément ceci paraît au Richard de Saint Victor en question devoir être écarté.
Est-ce quil ne semble pas pourtant quil y a là précisément ce dont il sagit concernant le signifiant, cest à savoir que le signifiant, aucun signifiant ne savance, ne se produit comme tel, comme éternel. Cest là sans doute ce que, plutôt que de le qualifier darbitraire, Saussure eût pu tenter de formuler. Le signifiant, disons, mieux eût valu lavancer de la catégorie du contingent, en tout cas de ce qui nest assurément pas éternel, de ce qui répudie la catégorie de léternel mais qui, pourtant, singulièrement, est de lui-même. Cest ainsi quil se propose à nous, ce signifiant, de par lui-même, a des effets. Et pourtant, sil y a quelque chose qui peut sen avancer cest sa participation, pour employer une approche platonicienne, cest sa participation à ce rien, doù effectivement cest lémergence même de lidée créationniste que de nous dire que quelque chose de tout à fait originel a été fait ex nihilo, cest à savoir de rien. Il semble bien, ne vous semble-t-il pas, ny a-t-il pas quelque chose qui vous apparaisse, si tant est que la paresse qui est la vôtre puisse être réveillée par quelque apparition. Cest que la genèse ne nous raconte rien dautre que la création, de rien en effet. De quoi ! De rien d autre que de signifiants. Dès que cette création surgit, elle sarticule de la nomination de ce qui est. Est-ce que ce nest pas là la création dans son essence ?
Est-ce que la création nest-elle pas rien dautre que le fait de ce qui était là, comme Aristote ne peut assurément manquer de lénoncer, cest à savoir que sil y a jamais eu quelque chose, cétait depuis toujours que cétait là.
Nest-ce pas dans lidée créationniste, essentiellement de la création et de la création à partir de rien, du signifiant quil sagit fondamentalement, quil sagit dune façon qui fonde.
Nest-ce pas là même en quoi consiste ce que nous pouvons de ce qui, à se refléter dans une conception du monde sest énoncé comme révolution copernicienne.
Depuis longtemps, je mets en doute ce que Freud là-dessus a cru pouvoir avancer. Comme si, de ce que lui a appris le discours de lhystérique, à savoir de cette autre substance qui, tout entière, tient en ceci quil y a du signifiant, et que cest de leffet de ce signifiant quil sagit dans ce discours de lhystérique, quà le recueillir il a su faire tourner de ce quart de tour qui en a fait le discours analytique. La notion même de quart de tour évoque la révolution mais certes pas dans le sens où révolution est subversion. Bien au contraire, ce qui tourne, cest ce quon appelle révolution, est destiné, de son énoncé même, à évoquer le retour. Assurément nous ny sommes point à lachèvement de ce retour, puisque cest déjà de façon fort pénible que ce quart de tour saccomplit. Mais il nest jamais trop dévoquer dabord que sil y a eu quelque part révolution ce nest certes pas au niveau de Copernic quil avait été inutile dévoquer des termes qui ne sont que dérudition historique. Cest à savoir que depuis longtemps lhypothèse avait été avancée que, que le soleil était peut-être bien le centre autour duquel ça tournait. Mais quimporte ! Ce qui importait à ces mathématiciens cest assurément le départ, le départ de quoi, de ce qui tourne. Ce que nous savons, bien sûr, cest que cette virée éternelle des étoiles de la dernière des sphères, celle à quoi Aristote suppose une autre encore qui serait celle de limmobile, cause première du mouvement de celles qui tournent. Si les étoiles tournent cest bien assurément de ce que la terre, la terre tourne sur elle-même, et que cest déjà merveille que de cette virée, de cette révolution, de ce tournage éternel de la sphère stellaire, il se soit trouvé des hommes pour forger, pour forger ces autres sphères, où faire tourner, de ce mouvement oscillatoire qui est celui du système ptolémaïque, les sphères des planètes ; de celles qui, tournant autour du soleil se trouvent au regard de la terre dans cette position ambiguë daller et de venir en dents de crochet. Est-ce que, à partir de là, avoir cogité le mouvement des sphères ce nest pas un tour de force extraordinaire, à quoi, après tout, Copernic ne faisait que faire remarquer que, que peut-être ce mouvement des sphères intermédiaires pouvait sexprimer autrement, que la terre fut au centre ou non n était assurément pas ce qui lui importait le plus 82.
La révolution copernicienne nest nullement révolution, si ce nest en fonction de ceci que le centre dune sphère peut être supposé, dans un discours qui nest qu un discours analogique, constituer le point maître. Le fait de changer ce point maître, que ce soit la terre ou le soleil, n a rien en soi qui subvertisse ce que le signifiant centre conserve de lui-même. Ce signifiant garde tout son poids et il est tout à fait clair que loin que lhomme, ce qui se désigne de ce terme, ce qui est quoi, ce qui fait signifié, que lhomme ait jamais été en quoi que ce soit ébranlé par le fait que la terre nest pas au centre, il y a fort bien substitué le soleil. Limportant c est quil y ait un centre et puisquil est bien sûr maintenant évident que le soleil nest pas non plus un centre, quil est en promenade à travers un espace dont le statut est de plus en plus précaire à établir, que ce qui reste bien au centre cest tout simplement cette bonne routine qui fait que le signifié garde en fin de compte toujours le même sens, et que ce sens, il est donné par le sentiment que chacun a de faire partie de son monde tout au moins, cest-à-dire de sa petite famille, et tout ce qui tourne autour, et que chacun, chacun de vous, je parle même pour les gauchistes, vous y êtes, plus que vous ne croyez et dans une mesure dont justement vous feriez bien de prendre lempan, attachés à un certain nombre de préjugés qui vous font assiette et qui limitent la portée de vos insurrections, au terme le plus court, à celui très précisément où cela ne vous apporte nulle gêne, et nommément pas dans une conception du monde qui reste, elle, toujours parfaitement sphérique, le signifié trouve son centre où que vous le portiez. Ce nest pas, jusquà nouvel ordre, le discours analytique si difficile à soutenir dans son décentrement, qui a fait encore son entrée dans la conscience commune, qui peut daucune façon subvertir quoi que ce soit. Pourtant, si on me permet de me servir quand même de cette référence dite copernicienne, jen accentuerai ce quelle a deffectif de ceci que ce nest pas du tout dun changement de centre quil sy agit. Que ça tourne, ça continue à garder toute sa valeur, si motivé, réduit que ce soit en fin de compte à ce départ que la terre tourne, et que de ce fait il nous semble que cest la sphère céleste qui tourne. Elle continue bel et bien à tourner et elle a toutes sortes deffets, ce qui fait que, quand même, cest bien par années que vous comptez votre âge.
La subversion, si elle a existé quelque part et à un moment, ça ne consiste pas du tout à avoir changé le point de virée de ce qui tourne, cest davoir substitué au « ça tourne », un « ça tombe », c cédille a, « ça tombe».
Le point vif, comme quelques-uns, quand même, ont eu lidée de sen apercevoir ça nest ni Copernic, un peu plus Kepler, à cause du fait que ça ne tourne pas de la même façon, ça tourne en ellipse. Et déjà cest plus énergétique que correctif à cette fonction du centre, cest elle qui est mise en question. Ce vers quoi ça tombe est en un point de lellipse qui sappelle le foyer. Et dans le point symétrique, il ny a rien. Ceci assurément est correctif tout à fait essentiel à cette image du centre. Mais le « ça tombe » ne prend, si je puis mexprimer ainsi, son poids, son poids de subversion, et justement en ceci que, que ce nest pas seulement de changer le centre qui le fait révolution puisque, à conserver le centre, la révolution continue indéfiniment, et justement pour revenir toujours sur elle-même. Cest que le « ça tombe » aboutit à quoi, très exactement à ceci et rien de plus que : F = grand G facteur de mm sur r2 où r2 ou d2 : la distance qui sépare les deux masses exprimées par m et m83, et que ce qui sexprime ainsi, à savoir une force, une force en tant que tout ce qui est masse est susceptible, au regard de cette force, de prendre une certaine accélération, que cest tout entier dans cet écrit, dans ce qui se résume à ces cinq petites lettres écrites au creux de la main, avec un chiffre en plus, comme puissance, puissance au carré de la distance et inversement proportionnel au carré de la distance. Cest là, cest dans cet effet décrit, que consiste ce quon attribue donc indûment à Copernic, dans quelque chose qui, justement, nous arrache à la fonction comme telle, fonction imaginaire, fonction imaginaire et pourtant fondée dans le réel de la révolution. Ceci étant énoncé rappelle sans doute mais aussi bien prélude, ce quil importe cest de souligner que ce qui est produit, ce qui est produit comme tel dans larticulation de ce nouveau discours qui émerge comme étant le discours de lanalyste, le discours de lanalyse 84, cest ceci, cest que le fondement, le départ est pris dans leffet comme tel de ce quil en est du signifiant. Bien loin que soit admis en quelque sorte par le vécu, bien loin que soit admis, comme, du fait même que le signifiant emporte de ses effets de signifié à partir desquels sest édifiée cette structuration dont je vous ai, tout à lheure, énoncé en rappel combien pendant des temps, il a semblé naturel que un monde se constituât dont les corrélatifs étaient ce quelque chose au-delà qui était lêtre même, lêtre pris comme éternel la théologie ! et que ce monde reste, quoi quil en soit, une conception, cest bien là le mot, une vue, un regard, une prise imaginaire, un monde conçu comme étant le tout, le tout avec ce quil comporte, quelque ouverture quon lui donne, de limité, et que de ceci résulte ce quelque chose qui tout de même reste étrange, cest à savoir que quelquun, un « un », une partie de ce monde est, au départ, supposé pouvoir en prendre connaissance, sy trouve dans cet état quon peut appeler dex-sistence, car comment supporterait-il autrement de pouvoir prendre connaissance si, dune certaine façon, il nétait pas ex-sistant. Cest bien là que de toujours sest marquée loscillation, limpasse, la vascillation qui résultait de cette cosmologie, de ce quelque chose qui consiste dans ladmission dun monde.
Est-ce quil ny a pas dans le discours analytique tel qu il sinstaure du quart de tour dont jai parlé tout à lheure, est-ce quil ny a pas quelque chose qui, de soi, doit nous introduire à ceci que toute, tout maintien, toute subsistance, toute persistance du monde comme tel, cest très précisément là ce à quoi nous introduit ce discours cest que, elle, cette subsistance, cette persistance, doit, comme telle, être abandonnée.
Le langage est tel, la langue forgée du discours philosophique, le langage est tel quà tout instant, vous le voyez, au moment que javance quoi que ce soit de ce qui peut, de ce discours analytique, sétablir, vous marquer, que je ne peux faire à tout instant que de reglisser dans quoi ? dans ce monde, dans ce supposé dune substance qui, tout de même, se trouve imprégnée de la fonction de lêtre. Et que de suivre le fil du discours analytique ne tend à rien de moins quà rebriser, quà infléchir, quà marquer dune incurvation propre, et dune incurvation qui ne saurait même être maintenue comme étant celle de lignes de force, qui produit comme telle la faille, la discontinuité, la rupture qui nous suggère de voir dans la langue ce qui, en fin de compte, la brise si bien que rien ne paraît mieux constituer ce qui peut être lhorizon du discours analytique. Cet emploi qui est fait par la mathématique, cet emploi qui est fait de la lettre, comme étant singulièrement ce qui dune part révèle dans le discours ce qui, pas par hasard, est appelé la grammaire, la chose qui ne se révèle du langage quà lécrit. Mais ce nest pas non plus si ce nest pas par hasard, ce nest pas non plus sans nécessité, cest que si la grammaire cest ce qui dans le langage ne se révèle que par lécrit, cest quau-delà du langage cet effet, cet effet qui se produit de se supporter seulement de lécriture qui est assurément lidéal de la mathématique, cest là ce autour de quoi ce dont il sagit dans le langage se révèle. Cest à savoir que, à se refuser daucune façon la référence à lécrit, cest aussi sinterdire ce qui de tous les effets du langage peut arriver à sarticuler, et à sarticuler dans ce quelque chose que nous ne pouvons faire que du langage il ne résulte pas, cest à savoir un supposé en deçà et au-delà.
Il suffit déjà que ces références spatiales soient évoquées, pour en quelque sorte quelles simposent. À supposer un en-deçà nous sentons bien quil ny a là quune référence intuitive.
Et pourtant nous savons bien que le langage se distingue de ceci que dans son effet de signifié il nest jamais, justement, que à côté du signifiant. Que ce quil faut, ce à quoi il faut nous rompre c est à substituer à cette imposition qui est celle que le langage provoque, imposition de lêtre, la prise radicale, ladmission de départ que de lêtre nous navons rien, jamais.
Mais à lécrire autrement que le parêtre, non pas paraître, comme on la dit depuis toujours, le phénomène, ce au-delà de quoi il y aurait ce quelque chose dont Dieu cest noumen 85, elle nous a, en effet, menés cest-à-dire à toutes les opacifications qui se dénomment justement de lobscurantisme. Que cest dans le paradoxe même de tout ce qui arrive à se formuler comme effet décrit du langage, que cest au point même où ces paradoxes jaillissent que lêtre se présente, et ne se présente jamais que de pare-être. Il faudrait apprendre, en fin de compte, à conjuguer, à conjuger comme il se doit : je pare-suis, tu pare-es, il pare-est, nous pare-sommes et ainsi de suite.
Eh bien, tout ceci nous introduit, nous introduit à cet énoncé, qui comme vous pouvez bien ladmettre, si vous donnez laccent que cette nouvelle orthographe avec toutes ses conséquences, toutes ces conséquences morphologiques quil faut savoir assumer dans cette nouvelle conjugaison que je vous propose, cest bien à partir de là quil faut prendre ce qui est en jeu dans ce qui se trouve être aussi dans une relation de parêtre, dêtre à côté, dêtre para au regard de ce rapport sexuel dont il est clair que dans tout ce qui sen approche, le langage ne se manifeste que de son insuffisance, cest bien au regard de ce parêtre que ce qui supplée à ce rapport en tant quinexistant, cest bien dans ce rapport au parêtre que nous devons articuler ce qui y supplée, cest à savoir, précisément, lamour.
Il est proprement fabuleux que la fonction de lAutre, de lAutre comme lieu de la vérité, et pour tout dire de la seule place, quoiquirréductible, que nous pouvons donner au terme de lêtre divin, de Dieu pour lappeler par son nom, Dieu est proprement le lieu où, si vous men permettez le terme, se produit le dieu, le dieur, le dire. Pour un rien, le dire ça fait Dieu Aussi longtemps que se dira quelque chose, lhypothèse Dieu sera là. Et cest bien justement à essayer de dire quelque chose que se définit ce fait, quen somme, il ne peut y avoir de vraiment athées que les théologiens. Cest à savoir ceux qui, de Dieu, en parlent. Aucun autre moyen de lêtre, sinon de cacher sa tête dans ses bras au nom de je ne sais quelle trouille, comme si jamais ce Dieu avait effectivement manifesté une présence quelconque. Par contre il est impossible de dire quoi que ce soit sans aussitôt le faire subsister, ne serait-ce que sous cette forme de lAutre, de lAutre, aussi dit la vérité.
Cest une chose qui est tout à fait évidente dans le moindre cheminement de cette chose que je déteste, et que je déteste pour les meilleures raisons, cest-à-dire lHistoire. LHistoire étant très précisément faite pour nous donner lidée quelle a un sens quelconque, alors que la première des choses que nous ayons à faire cest de partir de ce que nous avons là en face, dun dire qui est le dire dun autre, qui nous raconte ses bêtises, ses embarras, ses empêchements, ses émois, et que cest là quil sagit de lire. Il sagit de lire, il sagit de lire quoi ? Il sagit de lire rien dautre que les effets de ces dires. Et ces effets, nous voyons bien tout ce en quoi ça agite, ça remue, ça tracasse les êtres parlants. Et bien sûr pour que ça aboutisse à quelque chose, il faut bien que ça serve. Et que ça serve, mon Dieu, à ce qui sarrange, à ce qui saccommode, à ce que boiteux-boitillant, nest-ce-pas, ils arrivent quand même à donner une ombre de petite vie à ce sentiment dit de lamour.
Il faut, il le faut bien, il faut que ça dure encore. À savoir que par lintermédiaire de ce sentiment quelque chose se produise qui en fin de compte, comme lont très bien vu des gens qui, à légard de tout ça, ont pris leurs précautions, comme ça, sous le paravent de lÉglise, que ça aboutisse à la reproduction. À la reproduction de quoi ? À la reproduction des corps.
Mais est-ce quil ne se pourrait pas, il ne se sentirait pas, il ne se toucherait pas du doigt que le langage a dautres effets que de mener les gens par le bout du nez à se reproduire encore ? En corps à corps, et en corps, comme ça, incarné. Il y a quelque chose quand même qui est un autre effet de ce langage, qui est, qui est justement lécrit.
Il y a quand même ceci de ses caractéristiques, si jose mexprimer ainsi, et digne dêtre relevé, cest que de lécrit, depuis que le langage existe, nous avons vu des mutations. Ce qui sécrit cest pas facile à dire. Ce qui sécrit cest la lettre, et la lettre, mon Dieu, cest pas toujours fabriqué de la même façon. Alors là-dessus on fait de lhistoire, lhistoire de lécriture, et on se casse la tête à imaginer ce à quoi ça pouvait bien servir les pictographies mayas ou aztèques, et puis un peu plus loin les cailloux du Mas dAzil, enfin, quest-ce que ça pouvait bien être que ces drôles de dés, à quoi jouait-on avec ça ?
Tout ça, comme cest dhabitude la fonction de lHistoire, il faudrait dire surtout : ne touchez pas à la hache, initiale de lHistoire, ce serait une bonne façon de ramener les gens à la première des lettres, celle à laquelle je me limite, je reste toujours à la lettre A. Il est dailleurs tout à fait clair que la Bible ne commence quà la lettre B, elle mavait laissé la lettre A, hein ! pour que je men charge !
Il y a beaucoup à sinstruire, non pas en recherchant les cailloux du Mas dAzil, ni même en faisant ce que jai fait comme ça, pour mon bon public, dans un temps, public danalystes, un bon petit temps 86. On leur expliquait le trait unaire, lencoche, cétait à la portée de leur entendement. Mais il vaudrait mieux regarder de plus près ce que font les mathématiciens avec les lettres, et nommément depuis que, au mépris dun certain nombre de choses, et de la façon la plus fondée, ils se sont mis, sous le nom de théorie des ensembles, à sapercevoir quon pouvait aborder l«un » dune autre façon que intuitive, fusionnelle, amoureuse enfin. Nous ne sommes quun. Chacun sait, bien sûr que cest jamais arrivé entre deux quils ne fassent quun, nest-ce pas. Mais enfin, nous ne sommes quun. Cest de là que ça part cette idée de lamour, cest vraiment la façon la, la, la, la plus grossière de donner à ce terme, à ce terme qui se dérobe manifestement du rapport sexuel, son signifié.
Le commencement de la sagesse devrait être de commencer à sapercevoir que cest en ça que le vieux père Freud a frayé des voies, quand même. Il est tout de même très joli, très frappant, cest de là que je suis parti parce que ça ma moi-même, comme ça, un petit peu touché, ça pourrait toucher nimporte qui dailleurs, nest-ce pas, de sapercevoir que le fondement de lamour, si ça a rapport avec l«un », ça a très exactement pour résultat de ne jamais faire sortir quiconque de soi-même. Si cétait ça cest tout ça et rien que ça quil a dit, nest-ce pas À partir du moment où il a introduit la fonction de lamour narcissique, tout le monde a pu sentir que le problème cétait comment il pouvait y avoir un amour pour un autre. Et que il est bien clair que cet « un », dont tout le monde a plein la bouche, cest dabord et essentiellement de nature de ce mirage de l«un » quon se croit être. Mais enfin ça nest quand même pas pour dire que ce soit là tout lhorizon, et de savoir quil y a, quil y a autant d«un » quon voudra. Quand je dis, il y a autant d«un » quon voudra, je veux pas dire quil y a autant dindividus quon voudra, parce que ça, ça ne veut rien dire, cest du comptage. Il y a autant d«un », comme « un », les « un » de la première hypothèse du Parménide 87, ces « un » se caractérisent de ne se ressembler chacun en rien.
Ce qui est lirruption, lintrusion de la théorie des ensembles c est justement de poser ça, parlons de l«un » en ceci quil sagit de choses qui nont entre elles strictement aucun rapport. À savoir mettons-y ce quon appelle des objets de pensée ou des objets du monde, tout ça, ça compte chacun pour « un » et si nous assemblons ces choses absolument hétéroclites nous nous donnons le droit de désigner cet assemblage par une lettre. C est ainsi que sexprime, au début de la théorie des ensembles, par exemple celle que la dernière fois jai avancée au titre de Nicolas Bourbaki.
Vous avez laissé passer ceci, cest que jai dit, comme dailleurs cest écrit, comme ça simprime, comme cest imprimé dans la dite théorie des ensembles, que la lettre désigne un assemblage. Cest justement, quoique les auteurs, puisque comme vous le savez, ils sont multiples, les auteurs qui ont fini par donner leur assentiment à lédition définitive de la dite théorie, prennent soin de ceci, de dire quils désignent des assemblages. Mais cest là justement quest leur timidité et du même coup leur erreur, la lettre est la seule chose qui fasse ces assemblages. La lettre, les lettres sont, et non pas désignent, ces assemblages, et en tant que lettres elles sont prises comme fonctionnement, comme ces assemblages mêmes.
Vous voyez quà conserver encore ce comme, je men tiens à lordre de ce que javance quand je dis que linconscient est structuré comme un langage, ce comme est très précisément, jy reviens toujours, pensé comme disant, ne disant pas que linconscient est structuré par un langage. Il est structuré comme les assemblages, dont il sagit dans la théorie des ensembles, sont comme une lettre. Et cest de ceci quil sagit quand nous avançons dans la profération mathématique. Quel rôle joue-t-elle ? Quel support pouvons-nous y prendre pour lire ? Pour lire en tant quil y a des lettres, pour ne lire, quà ne lire que les lettres, pour lire ce dont il sagit quand nous prenons le langage comme étant ce qui fonctionne pour suppléer labsence de ce qui justement est la seule part du réel qui ne puisse pas venir à se former de lettres, à savoir le rapport sexuel.
Cest dans le jeu même, le jeu même de lécrit mathématique que nous avons à trouver, si je puis dire, la pointe dorientation vers quoi nous avons à nous diriger pour que de cette pratique de ce lien social nouveau qui émerge et singulièrement sétend, et qui sappelle le discours analytique, tirer ce quon peut en tirer quant à la fonction même de ce langage, de ce langage à quoi nous faisons confiance en somme pour que ce discours ait des effets, sans doute moyens mais suffisamment supportables pour que ce discours puisse supporter et compléter les autres discours.
Nous verrons à loccasion, puisque depuis quelques temps il est clair que le discours universitaire sécrit autrement et quil doit être « uni vers Cythère », quil doit répandre léducation sexuelle. Nous allons voir comment ça va se faire, à quoi ça aboutira, il ne faut surtout pas y faire obstacle.
Lidée même du point de savoir se pose très exactement dans la situation autoritaire du semblant, que de ce point quelque chose puisse se diffuser qui ait pour effet daméliorer, si lon peut dire, les rapports des sexes est quelque chose qui assurément est fait, pour, pour un analyste, pour provoquer le sourire. Mais après tout, qui sait ?
Nous lavons dit déjà, le sourire de lange est le plus bête des sourires, il ne faut donc jamais sen targuer. Mais très assurément il est clair que cette idée même, que la démonstration, si je puis dire, au tableau noir de quelque chose qui se rapporte à léducation sexuelle nest certainement pas fait, du point de vue du discours de lanalyste, pour paraître plein de promesses, de bonnes rencontres ou de bonheur, comme on dit.
Il y a quand même quelque chose qui, dans mes Écrits, montre, si je puis dire, que ma bonne orientation, puisque cest celle dont jessaie de vous convaincre, ne date pas dhier. Cest quand même au lendemain dune guerre, où rien évidemment ne semblait promettre des lendemains qui chantent, que jai écrit quelque chose qui sappelle « Le temps logique et lassertion de certitude anticipée 88 » où on peut quand même très très bien lire, si on lécrit, pas seulement si on a de loreille, que la fonction de la hâte cest la fonction de ce petit a, petit a t. Je veux dire que ce dont il sagit qui mériterait dêtre regardé de plus près ce nest pas simplement de ceci, qui est déjà très très articulé, nest-ce-pas, à savoir dune petite devinette liée au fait quil y a pour trois personnes trois disques blancs et deux noirs, un de moins, que les choses se jouent en fait, et que dans cette extrapolation subjective qui fait que en apparence, linstant de voir, linstant de voir deux blancs celui qui ne sait pas qui il est et qui sait que les deux autres, en tout cas chacun, peuvent se voir tels quils sont, à savoir blancs, et du même coup, si par hasard ils se pensaient noirs et que celui qui pense de départ le fut lui-même, saurait très bien, du même coup, quil est blanc, il y a là quelque chose dont jai mis seulement en valeur le fait que quelque chose comme une inter-subjectivité peut aboutir à une issue salutaire, mais qui mériterait assurément dêtre regardée de plus près, très précisément au niveau de ce que supporte chacun des sujets non pas dêtre un entre autres, mais dêtre par rapport aux deux autres celui qui est lenjeu de leur pensée, à savoir très précisément chacun nintervient dans ce ternaire quau titre justement de cet objet petit a quil est sous le regard des autres. Cest ce que sans doute jaurai loccasion daccentuer dans ce que javancerai plus tard.
En dautres termes ils sont trois, mais en réalité ils sont deux plus a, et cest bien en ceci que ce deux plus a, au point du a, se réduit non pas aux deux autres mais à un « un » plus petit a. Vous savez que là-dessus jai déjà usé de ces fonctions pour essayer de vous représenter linadéquat du rapport de l«un » à lautre, ce que jai déjà fait en donnant à ce petit a pour support le nombre irrationnel quest le nombre dit nombre dor. Cest en tant que du petit a les deux autres sont pris comme « un » plus petit a que fonctionne ce quelque chose qui peut aboutir à une sortie dans la hâte. Cette fonction didentification, qui se produit dans une articulation ternaire, est celle qui se fonde de ceci que en aucun cas ne peuvent se tenir pour support deux comme tels, que entre deux, quels quils soient, il y a toujours l«un » et lautre, le « un » et le petit a, et que lautre ne saurait dans aucun cas être pris pour un « un»89. Cest très précisément en ceci que dans lécrit, quelque chose, quelque chose se joue qui, à partir de ceci de brutal, prend pour « un » tous les « un » quon voudra, que les impasses qui sen révèlent sont par elles-mêmes pour nous un accès possible à cet être, une réduction possible de la fonction de cet être dans lamour.
Cest en ceci, en ceci que je veux terminer sur ce terme par où se différencie le signe du signifiant. Le signifiant, ai-je dit, se caractérise de ceci de représenter un sujet pour un autre signifiant. De quoi s agit-il dans le signe ? Depuis toujours la théorie cosmique de la connaissance, la conception du monde fait état de lexemple fameux de la fumée quil ny a pas sans feu. Et pourquoi ici navancerais-je pas ce quil me semble. Cest que la fumée peut être aussi bien le signe du fumeur, et non seulement aussi bien le signe du fumeur, mais quelle lest toujours par essence, quil ny a de fumée que de signe du fumeur. Et chacun sait que si vous voyez une fumée au moment où vous abordez une île déserte, vous vous dites tout de suite quil y a toutes les chances quil y ait là quelquun qui sache faire du feu, et jusquà nouvel ordre, ce sera un autre homme. Ce signe, ce signe en tant que le signe nest pas le signe de quelque chose, mais est le signe dun effet qui est ce qui se suppose en tant que tel d un fonctionnement du signifiant, qui est ce que Freud nous apprend et ce qui est le départ, départ comme tel du discours analytique, à savoir que le sujet ce nest rien dautre, quil ait ou non conscience de quel signifiant il est leffet, ce nest rien dautre comme tel que ce qui glisse dans une chaîne de signifiants. Ce nest rien dautre que cet effet qui est leffet intermédiaire, intermédiaire entre ce qui caractérise un signifiant et un autre signifiant, cest dêtre chacun « un », dêtre chacun un élément. Nous ne connaissons rien, nous ne connaissons pas dautre en somme support par où soit introduit dans le monde le « un », si ce nest le signifiant en tant que tel, et en tant que nous apprenons à le séparer de ses effets de signifié.
Ce qui donc dans lamour est visé, est visé cest le sujet, le sujet comme tel, en tant quil est supposé, à une phrase articulé, à quelque chose qui sordonne, peut sordonner dune vie entière, mais ce que nous visons dans lamour, cest un sujet et ce nest rien dautre. Un sujet comme tel na pas grand chose à faire avec la jouissance, mais par contre, dans la mesure où son signe, son signe est quelque chose qui est susceptible de provoquer le désir, là est le ressort de lamour, et par là le cheminement que nous essaierons de continuer dans les fois proches pour vous montrer où se rejoint lamour et la jouissance sexuelle.
Notes
79 Nous supposons que le précédent dire à la formulation « la jouissance de lAutre, du corps de lautre qui Le symbolise nest pas le signe de lamour », est qu « il ny a pas de rapport sexuel ».
80 Nous proposons trois options :
1 ne pas y mettre un terme, il ny a point de terme = garder lécriture «point terme».
2 mettre un point final = point-terme.
3 mettre un terme à ce point.81 Richard de Saint Victor, De Trinitate, tome 196 de la patrologie latine de Migne, cité par Gervais Dumège, Richard de St Victor et lidée chrétienne de lamour, Vendôme, P.U.F., 1952.
82Cf. larticle « Gravitation » sur les conceptions dAristote, Copernic, Kepler et Galilée in Encyclopédie Universalis, Paris, 1990, tome 10, p. 775.
83 Lacan a fait preuve dapproximation dans lénoncé de cette formule : il a, en effet, parlé de « r ou d », ne distinguant pas, à cet endroit, distance et carré de la distance. Il a omis le dans la formule canonique qui sécrit : F = G mm/d2
84 Quen est-il de ce « discours de lanalyste, discours de lanalyse », redondance ou distinction ?
85 Cest une diablerie dhomophonie que nous-mêmes transcrivons ainsi. Cela peut évidemment s écrire aussi : Dieu sait nous mène Mais où ?
86 Au temps du séminaire sur Lidentification, séances de décembre 1960.
87 Platon, Parménide, Paris, Garnier Flammarion, 1967.
88 In Les Cahiers dArt «1940-1944 », mars 1945, pp. 32-42, et Écrits, pp.197-214
89 Lacan fait ici référence à un schéma qui constitue le point darticulation de toutes les séances du séminaire La logique du fantasme (inédit), à partir du 15-2-67. On en trouvera les commentaires in E. Porge, Se compter trois. Le temps logique de Lacan, Toulouse, Érès, 1989, pp. 115-149 ; et in Y. Pélissier, «La mesure de "a" dans le séminaire La logique du fantasme », La Lettre mensuelle de lE.C.F., n°70, juin 1988.