Mardi 9 janvier 1973
Bon, ben, je vais vous souhaiter la bonne année, cest pas encore tout à fait lheure, je me passerai de commentaires à propos de ces vux que après tout on peut considérer comme banaux.
Et puis je vais entrer tout doucement dans ce que je vous ai réservé pour aujourdhui, qui quest-ce qui ne va pas ? où est-ce quon ne mentend pas ? ce que je vous ai réservé pour aujourdhui qui est à mes risques, qui, comme vous allez le voir, ou peut-être ne pas le voir, qui sait ? en tout cas à moi, avant de commencer me paraît casse-gueule.
Pour mettre un titre comme ça, ce que je vais vous dire va être centré, puisquen somme il sagit encore de quelque chose qui est le discours analytique, il sagit de la façon dont, dans ce discours, nous avons à situer la fonction de lécrit. Évidemment il y a là-dedans de lanecdote, à savoir quun jour jai écrit sur la page dun recueil que je sortais, ce que jai appelé la poubellication, je nai pas trouvé mieux à écrire sur, sur la page denveloppe de ce recueil que le mot Écrits.
Ces Écrits, il est assez connu disons quils ne se lisent pas facilement. Je peux vous faire, comme ça, un petit aveu autobiographique, cest que en écrivant Écrits cest très précisément ce que je pensais, ça va peut-être même jusque là que je pensais quils nétaient pas à lire.
En tout cas cest un bon départ. Bien entendu que la lettre ça se lit, ça semble même être fait comme ça dans le prolongement du mot, se lit et littéralement. Mais justement ce nest peut-être pas du tout la même chose de lire une lettre ou bien de lire. Pour introduire ça dune façon qui, qui fasse image, je ne veux pas partir tout de suite du discours analytique. Il est bien évident pourtant que dans le discours analytique il ne sagit que de ça, de ce qui se lit, de ce qui se lit au-delà de ce que vous avez incité le sujet à dire, qui est comme je lai souligné dans ce passage la dernière fois, qui nest pas tellement de tout dire que de dire nimporte quoi. Et jai poussé la chose plus loin, ne pas hésiter car cest la règle, ne pas hésiter à dire ce dont jai introduit cette année la dimension comme étant essentielle au discours analytique, à dire des bêtises.
Naturellement ça suppose que nous développions cette dimension et ceci ne peut pas se faire sans le dire. Quest-ce que cest que la dimension de la bêtise ? La bêtise, au moins celle-ci quon peut proférer cest que la bêtise ne va pas loin. Dans le discours, discours courant, elle tourne court. Cest bien sûr ce quelque chose dont, si je puis dire, je massure quand je fais cette chose que je ne fais jamais sans tremblement, à savoir de retourner à ce que dans le temps jai proféré. Ça me fait toujours une sainte peur, la peur justement davoir dit des bêtises, cest-à-dire quelque chose que en raison de ce que javance maintenant, je pourrais considérer comme tenant pas le coup.
Grâce à quelquun qui a repris ce séminaire annoncé le premier 65 de lÉcole Normale et qui va sortir bientôt, jai pu avoir, ce qui ne mest pas souvent réservé puisque comme je vous le dis jen évite moi-même le risque, jai pu avoir le sentiment que je rencontre quelquefois à l épreuve, que ce que cette année-là par exemple jai avancé nétait pas si bête, ne létait pas moins, tant que de mavoir permis davancer dautres choses dont il me semble, parce que jy suis maintenant, quelles se tiennent.
Il nen reste pas moins que ce « se relire » représente une dimension, une dimension qui est à situer proprement dans ce que cest que, au regard du discours analytique, la fonction de ce qui se lit. Le discours analytique a à cet égard un privilège, il paraît difficile. Et cest de là que je suis parti, dans ce qui ma fait date « De ce que jenseigne 66 », comme je me suis exprimé, qui ne veut peut-être pas tout à fait dire ce que ça avait l air dénoncer, à savoir mettre laccent sur le « je », à savoir ce que je puis proférer, mais peut-être aussi de mettre laccent sur le « de », cest-à-dire doù ça vient, un enseignement dont je suis leffet.
Depuis jai mis laccent sur ce que jai fondé dune articulation précise, celle qui sécrit justement, sécrit au tableau de quatre lettres, de deux barres et de quelques traits, nommément cinq qui relient chacune de ces lettres, une de ces barres, puisquil y en a quatre, il pourrait y en avoir six, une de ces barres manquant 67. Ce qui de cette façon sécrit, et que jappelle discours analytique. Ceci est parti dun rappel, dun rappel, dun rappel initial, dun rappel premier, cest à savoir que le discours analytique est ce mode de rapport nouveau qui sest fondé seulement de ce qui fonctionne comme parole, et ce dans quelque chose quon peut définir comme un champ : « Fonction et champ », ai-je écrit justement, « de la parole et du langage », jai terminé, « en psychanalyse». Ce qui était désigné, désigné, ce qui fait loriginalité dun certain discours, qui nest pas homogène à un certain nombre dautres qui font office, et que seulement de ce fait nous allons distinguer dêtre discours officiels, il sagit jusquà un certain point de discerner quel est loffice du discours analytique et de le rendre, lui aussi, sinon officiel, du moins officiant. Cest dans ce discours tel quil est dans sa fonction et son office, quil sagit dy cerner, cest aujourdhui la voie que je prends, ce que peut ce discours révéler de la situation très particulière de lécrit quant à ce qui est du langage. Cest une question qui est très à lordre du jour si je puis mexprimer ainsi. Néanmoins ça nest pas à cette pointe dactualité que je voudrais tout de suite en venir. Jentends particulièrement préciser quelle peut être, si elle est spécifique, quelle peut être la fonction de lécrit dans le discours analytique.
Chacun sait que jai produit, avancé lusage pour permettre dexpliquer les fonctions de ce discours, dun certain nombre de lettres, très nommément pour les récrire au tableau 68 : le petit a que jappelle objet mais qui quand même nest rien quune lettre, le grand A que je fais fonctionner dans ce qui de la proposition na pris que formule écrite, qui est production de la logico-mathématique ou de la mathématico-logique, comme vous voudrez lénoncer. Ce grand A, je nen ai pas fait n importe quoi, jen désigne ce qui dabord est un lieu, une place. Jai dit le lieu de lAutre, comme tel, désigné par une lettre.
En quoi une lettre peut-elle servir à désigner un lieu ? Il est clair quil y a là quelque chose dabusif. Et que quand vous ouvrez par exemple la première page de ce qui a été enfin réuni sous la forme dune édition définitive sous le titre de La théorie des ensembles et sous le chef dauteurs fictifs qui se dénomment du nom de Nicolas Bourbaki 69, ce que vous voyez cest la mise en jeu dun certain nombre de signes logiques. Ces signes logiques précisément désignent, en particulier lun dentre eux, la fonction « place » comme telle. Ce signe logique est désigné, écrit par un petit carré.
Je nai donc pas dabord, à proprement parler, fait un usage strict de la lettre quand jai dit que le lieu de lAutre se symbolisait par la lettre A. Par contre je lai marqué en le redoublant de ce grand S qui ici veut dire signifiant, signifiant du A en tant quil est barré : S(A). Par là, jai articulé dans lécrit, dans la lettre, quelque chose qui ajoute une dimension à ce lieu du grand A, et très précisément en montrant que comme lieu il ne tient pas, quil y a en ce lieu, en ce lieu désigné de lAutre une faille, un trou, un lieu de perte et que cest précisément de ce qui, au niveau de lobjet petit a, vient fonctionner au regard de cette perte, que quelque chose est avancé de tout à fait essentiel à la fonction du langage.
Jai usé aussi de cette lettre F, je parle de ce que jai introduit qui fonctionne comme lettre, qui introduit comme telle une dimension nouvelle. Jai utilisé, le distinguant de la fonction seulement signifiante qui se promeut dans la théorie analytique jusque là du terme du phallus, jai avancé grand F comme constituant quelque chose doriginal, quelque chose que je spécifie ici, aujourdhui, dêtre précisé dans son relief par lécrit même. Cest une lettre dont la fonction se distingue des autres, cest dailleurs bien pour cela que ces trois lettres sont différentes. Elles nont pas la même fonction, comme déjà vous pouvez lavoir senti de ce que jai dabord énoncé de S(A) et du petit a. Elle est une fonction différente, et pourtant elle reste une lettre.
Cest très précisément de montrer le rapport que, de ce que ces lettres introduisent dans la fonction du signifiant quil sagit aujourdhui de discerner, ce que nous pouvons, à reprendre le fil du discours analytique, en avancer. Je propose, je propose ceci, cest que vous considériez lécrit comme nétant nullement du même registre, du même tabac, si vous me permettez ces sortes dexpressions qui peuvent avoir bien leur utilité, que ce quon appelle le signifiant.
Le signifiant cest une dimension qui a été introduite de la linguistique, cest-à-dire de quelque chose qui, dans le champ où se produit la parole, ne va pas de soi. Un discours le soutient qui est le discours scientifique. Un certain ordre de dissociation, de division est introduit par la linguistique, grâce à quoi se fonde la distinction de ce qui semble pourtant aller de soi, cest que quand on parle ça signifie, ça comporte le signifié. Bien plus, jusquà un certain point, ça ne se supporte que de la fonction de signification.
Introduire, distinguer la dimension du signifiant cest quelque chose qui ne prend relief précisément que de poser que le signifiant comme tel, très précisément ce que vous entendez au sens où je dirai littéralement auditif du terme, au moment où ici où je suis et de là où je suis je vous parle, cest poser très précisément ceci, mais par un acte original, que ce que vous entendez na avec ce que ça signifie, na avec ce que ça signifie aucun rapport. Cest là un acte qui ne sinstitue que dun discours dit discours scientifique. Cela ne va pas de soi. Et ça va même tellement peu de soi que ce que vous voyez sortir dun dialogue qui nest pas dune mauvaise plume puisque cest le Cratyle du nommé Platon, ça va tellement peu de soi que tout ce discours est fait de leffort de faire que justement ce rapport, ce rapport qui fait que ce qui sénonce cest fait pour signifier, et que ça doit bien avoir quelque rapport, tout ce dialogue est tentative, que nous pouvons dire, doù nous sommes, être désespérée, pour faire que ce signifiant de soi-même soit présumé vouloir dire quelque chose. Cette tentative désespérée est dailleurs marquée de léchec, puisque cest dun autre discours, mais dun discours qui comporte sa dimension originale, discours scientifique, quil se promeut, quil se produit et dune façon si je puis dire dont il ny a pas à chercher lhistoire, quil se produit de linstauration même de ce discours que le signifiant ne se pose que davoir aucun rapport.
Les termes là dont on use sont toujours eux-mêmes glissants. Même un linguiste aussi pertinent qua pu lêtre Ferdinand de Saussure parle darbitraire. Mais cest là glissement, glissement dans un autre discours, le discours du décret, ou pour mieux dire discours du maître pour lappeler par son nom. Larbitraire nest pas ce qui convient. Mais dun autre côté nous devons toujours faire attention quand nous développons un discours si nous voulons rester dans son champ même et ne pas perpétuellement produire ces effets de rechute, si je puis dire, dans un autre discours, nous devons tenter de donner à chaque discours sa consistance et pour maintenir sa consistance, nen sortir quà bon escient. Dire que le signifiant est arbitraire na pas la même portée que de dire simplement que le signifiant na pas de rapport avec son effet de signifié.
Cest ainsi quà chaque instant, et plus que jamais dans le cas où il sagit davancer comme fonction ce quest un discours, nous devons au moins à chaque fois, à chaque instant, noter ce en quoi nous glissons dans une autre référence. Le mot référence en loccasion ne pouvant se situer que de ce que constitue comme lien le discours comme tel. Il ny a rien à quoi le signifiant comme tel se réfère si ce nest à un discours, à un mode de fonctionnement du langage, à une utilisation comme lien du langage. Encore faut-il préciser à cette occasion ce que veut dire, ce que veut dire le lien. Le lien, bien sûr, nous ne pouvons quy glisser immédiatement. Cest un lien entre ceux qui parlent, et vous voyez tout de suite où nous allons, à savoir que ceux qui parlent, bien sûr, ce nest pas nimporte qui, ce sont des êtres que nous sommes habitués à qualifier de vivants, et peut-être est-il très difficile dexclure de ceux qui parlent cette dimension qui est celle de la vie, à moins que nous ne nous apercevions aussitôt, ce qui se touche du doigt, que, dans le champ de ceux qui parlent, il nous est très difficile de faire entrer la fonction de la vie sans faire en même temps entrer la fonction de la mort, et que de là résulte une ambiguïté signifiante justement qui est tout à fait radicale, de ce qui peut être avancé comme étant fonction de vie ou bien de mort.
Il est tout à fait clair que rien ne conduit de façon plus directe à ceci que le quelque chose doù seulement la vie peut se définir, à savoir la reproduction dun corps, cette fonction de reproduction elle-même, ne peut sintituler ni spécialement de la vie, ni spécialement de la mort, puisque comme telle, en tant que cette reproduction est sexuée, comme telle elle comporte les deux, vie et mort.
Mais déjà, rien quà nous avancer dans ce quelque chose qui est déjà dans le fil, dans le courant du discours analytique, nous avons fait ce saut, ce glissement qui sappelle conception du monde, qui doit bien pourtant pour nous être considérée comme ce quil y a de plus comique, à savoir que nous devons toujours faire très attention que ce terme conception du monde suppose lui-même un tout autre discours, quil est, quil fait partie de celui de la philosophie, que rien après tout nest moins assuré, si lon sort du discours philosophique, que lexistence comme telle dun monde. Quil ny a souvent que loccasion, loccasion de sourire dans ce qui est avancé par exemple du discours analytique comme comportant quelque chose qui soit de lordre dune telle conception. Je dirai même plus loin que, jusquà un certain point, il mérite aussi quon sourie de voir avancer un tel terme pour désigner par exemple disons ce qui sappelle marxisme. Le marxisme ne me semble pas, et à quelque examen que ce soit, fût-ce le plus approximatif , ne peut passer pour conception du monde. Il est contraire, par toutes sortes de coordonnées tout à fait frappantes de lénoncé de ce que dit Marx, ce qui ne se confond pas obligatoirement avec la conception du monde marxiste, cest à proprement parler autre chose que jappellerai plus formellement un évangile, à savoir une annonce. Une annonce, que quelque chose qui sappelle lhistoire instaure, une autre dimension du discours, en dautres termes la possibilité de subvertir complètement la fonction du discours comme tel, jentends à proprement parler du discours philosophique en tant que sur lui repose une conception du monde.
Le langage savère donc beaucoup plus vaste comme champ, beaucoup plus riche de ressources que dêtre simplement celui où puisse sinscrire un discours qui est celui qui, au cours des temps, s est instauré du discours philosophique. Ce nest pas parce quil nous est difficile de ne pas du tout en tenir compte pour autant que de ce discours, discours philosophique, certains points de repère sont énoncés et qui sont difficiles à éliminer complètement de tout usage du langage, ce nest pas à cause de cela que nous devons à tout prix nous en passer, à condition de nous apercevoir quil ny a rien de plus facile que de retomber dans ce que jai appelé ironiquement, voire avec la note comique, « conception du monde », mais qui a un nom plus modéré, bien plus précis et qui sappelle lontologie. L ontologie est spécialement ceci qui, dun certain usage du langage, a mis en valeur, a produit dune façon accentuée, a produit lusage dans le langage de la copule, dune façon telle quelle ait été en somme isolée comme signifiant.
Sarrêter au verbe être, ce verbe qui nest même pas, dans le champ complet de la diversité des langues, dun usage quon puisse qualifier duniversel, le produire comme tel est quelque chose qui comporte une accentuation, une accentuation qui est pleine de risques. Pour, si lon peut dire, la détecter, et même jusquà un certain point lexorciser, il suffirait peut-être davancer que rien noblige, quand on dit que quoi que ce soit, cest ce que cest, daucune façon ce « être » de lisoler, de laccentuer. Ça se prononce « cest ce que cest » et ça pourrait aussi bien sécrire s-e-s-k-e-c-é quon ny verrait, à cet usage de la copule, que du feu. On ny verrait que du feu si un discours qui est le discours du maître, discours du maître qui ici peut aussi bien sécrire m-apostrophe-ê-t-r-e, ce qui met laccent sur le verbe être cest ce quelque chose quAristote lui-même regarde à deux fois à avancer puisque, pour ce qui est de lêtre quil oppose au to ti esti, à la quiddité, à ce que ça est, il va jusquà employer le to ti en einai, à savoir ce qui se serait bien produit si cétait venu à être tout court, ce qui était à être, et il semble que là le pédicule se conserve qui nous permet de situer doù se produit ce discours de lêtre, il est tout simplement celui de lêtre à la botte, de lêtre aux ordres, ce qui allait être si tu avais entendu ce que je tordonne.
Toute dimension de lêtre se produit de quelque chose qui est dans le fil dans le courant du discours du maître, de celui qui, proférant le signifiant, en attend ce qui est de ses effets de lien, assurément à ne pas négliger, qui est fait de ceci que le signifiant commande, le signifiant est, dabord et de sa dimension, impératif.
Comment, comment retourner, si ce nest dun discours spécial, à ce que je pourrais avancer dune réalité prédiscursive. Cest là ce qui bien entendu est le rêve, le rêve fondateur de toute idée de connaissance, mais ce qui aussi bien est à considérer comme mythique, il ny a aucune réalité prédiscursive, chaque réalité se fonde et se définit dun discours. Et cest bien en cela quil importe que nous nous apercevions de quoi est fait le discours analytique, et de ne pas méconnaître ce qui sans doute ny a quune place limitée, à savoir mon Dieu quon y parle de ce que le verbe foutre énonce parfaitement, on y parle de foutre, je veux dire le verbe, en anglais to fuck, et on y dit que ça ne va pas. Cest une part importante de ce qui se confie dans le discours analytique et il importe très précisément de souligner que ce nest pas son privilège.
Il est clair que, dans ce que jai appelé tout à lheure le discours en lécrivant presque en un seul mot, le disque-ourcourant, le disque aussi hors champ, hors jeu de tout discours, à savoir le disque tout court, dans le disque qui est bien après tout langle sous lequel nous pouvons considérer tout un champ du langage, de celui qui en effet donne bien sa substance, son étoffe à être considéré comme disque, à savoir que ça tourne et que ça tourne très exactement pour rien. Ce disque est exactement ce qui se trouve dans le champ, dans le champ doù les discours se spécifient, le champ où tout ça se noie, où tout un chacun est capable, est capable, tout aussi capable de sen énoncer autant mais, par un souci de ce que nous appellerons à très juste titre décence, le fait, mon Dieu, le moins possible. Ce qui fait le fond de la vie, en effet, cest que tout ce quil en est des rapports des hommes et des femmes, ce quon appelle collectivité, ça ne va pas. Ça ne va pas, et tout le monde en parle, et une grande partie de notre activité se passe à le dire. Il nempêche quil ny a rien de sérieux si ce nest ce qui sordonne dune autre façon comme discours, jusque et y compris ceci que précisément ce rapport, ce rapport sexuel en tant quil ne va pas, il va quand même, grâce à un certain nombre de conventions, dinterdits, dinhibitions, de toutes sortes de choses qui sont leffet du langage, qui ne sont à prendre que de cette étoffe et de ce registre, et qui réduisent très précisément ceci qui tout dun coup nous fait revenir, nous fait revenir comme il convient au champ du discours. Il ny a pas la moindre réalité prédiscursive, pour la bonne raison que ce qui fait collectivité et que jai appelé en lévoquant, à linstant, les hommes, les femmes et les enfants, ça ne veut très exactement rien dire comme réalité prédiscursive, les hommes, les femmes et les enfants, ce ne sont que des signifiants. Un homme, ce nest rien dautre quun signifiant. Une femme cherche un homme au titre de signifiant. Un homme cherche une femme au titre, ça va vous paraître curieux, de ce qui ne se situe que du discours, puisque si ce que javance est vrai, à savoir que la femme nest pas toute, il y a toujours quelque chose qui chez elle échappe au discours.
Alors il sagit de savoir, dans tout cela, ce qui dans un discours se produit de leffet de lécrit. Comme vous le savez peut-être, vous le savez en tout cas si vous avez lu ce que jécris, le signifiant et le signifié cest pas seulement que la linguistique les ait distingués. La chose peut-être vous paraît aller de soi, mais justement cest à considérer que les choses vont de soi quon ne voit rien de ce quon a pourtant devant les yeux, et devant les yeux concernant justement lécrit.
Sil y a quelque chose qui peut nous introduire à la dimension de lécrit comme tel cest de nous apercevoir que pas plus que le signifié, pas le signifiant, na à faire avec les oreilles mais seulement avec la lecture, à savoir de ce quon entend de signifié. Mais le signifié cest justement pas ce quon entend, ce quon entend cest le signifiant. Le signifié cest leffet du signifiant.
Il y a quelque chose qui nest que leffet du discours, leffet du discours en tant que tel, cest-à-dire de quelque chose qui fonctionne déjà comme lien. Eh bien cest ce quelque chose qui, au niveau dun écrit, effet de discours scientifique, du S fait pour connoter la place du signifiant et du s dont se connote comme place le signifié, cette fonction de place nest créée que par le discours lui-même, chacun à sa place ça ne fonctionne que dans le discours. Eh bien entre les deux, il y a la barre.
Ça na lair de rien quand vous écrivez une barre pour expliquer. Ce mot expliquer a toute son importance parce quil ny a rien moyen de comprendre à une barre, même quand elle est réservée à signifier la négation. Cest très difficile de comprendre ce que ça veut dire la négation. Si on y regarde dun peu près on sapercevra en particulier quil y en a une très grande variété, de négations, et quil est tout à fait impossible de réunir toutes les négations sous le même concept. La négation de lexistence ce nest pas du tout la même chose que la négation de la totalité, pour me limiter à lusage que jai pu faire de la négation. Mais il y a une chose qui est en tout cas encore plus certaine cest que le fait dajouter la barre à la notation S et s, qui déjà se distinguent très suffisamment, pourrait se soutenir dêtre seulement marquée par la distance de lécrit. Y ajouter la barre a quelque chose de superflu, voire de futile, et en tout cas comme tout ce qui est de lécrit, comme tout ce qui est de lécrit ne se supporte que de ceci, cest que justement lécrit ça nest pas à comprendre. Cest bien pour ça que vous nêtes pas forcés de comprendre les miens. Si vous ne les comprenez pas cest un bon signe, tant mieux ! ça vous donnera justement loccasion de les expliquer. La barre, la barre cest pareil, la barre cest très précisément le point où, dans tout usage du langage, il y aura loccasion à ce que se produise lécrit. Si dans Saussure même, S cest barre au-dessus de s70, cest grâce à ça que dans « lInstance de la lettre », qui fait partie de mes Écrits 71, jai pu vous démontrer dune façon qui sécrit, rien de plus, que rien ne se supporte des effets dits de linconscient si grâce à cette barre, sil ny avait pas cette barre, rien ne pourrait en être expliqué. Ya de lincons 72 ya du signifiant, je répète ya du signifiant qui passe sous la barre, sil n y avait pas de barre, vous ne pourriez pas voir quil y a du signifiant qui sinjecte dans le signifié.
Grâce à lécrit se manifeste, se manifeste ceci, qui nest queffet de discours, car sil ny avait pas de discours analytique vous continueriez à parler très exactement comme des étourneaux, cest-à-dire à dire ce que je qualifie du disquourcourant, cest-à-dire de continuer le disque, le disque continuant ce quelque chose qui est le point le plus important que révèle le discours analytique seulement, cest à savoir ceci, cest à savoir ceci qui ne peut sarticuler que grâce à toute la construction du discours analytique, cest que très précisément il ny a pas, je reviens là-dessus puisquaprès tout cest la formule que je vous serine, mais de vous la seriner faut-il encore que je lexplique parce quelle ne se supporte que de lécrit précisément, et de lécrit en ceci, que le rapport sexuel ne peut pas sécrire.
Cest ce que ça veut dire, ou plus exactement que tout ce qui est écrit est conditionné de façon telle que ça part, ça part du fait quil sera à jamais impossible décrire comme tel le rapport sexuel, que lécriture comme telle est possible, à savoir quil y a un certain effet du discours et qui sappelle lécriture.
Quest-ce quil y a ? On nentend pas là ? Voyez-vous, on peut 73 à la rigueur écrire x R y, et dire x cest lhomme, y cest la femme et grand R cest le rapport sexuel, pourquoi pas ! Seulement voilà, cest ce que je vous disais tout à lheure, nest-ce pas, cest une bêtise. Cest une bêtise parce que ce qui se supporte sous la fonction de signifiant, de homme et de femme, ce ne sont que des signifiants, ce ne sont que des signifiant tout à fait liés à cet usage quourcourant du langage. Et sil y a un discours qui vous le démontre, cest que la femme ne sera jamais prise, cest ce que le discours analytique met en jeu, que quoad matrem, cest-à-dire que la femme nentrera en fonction dans le rapport sexuel quen tant que la mère. Ça, cest des vérités massives et qui, quand nous y regardons de plus près, bien entendu nous mèneront plus loin, mais grâce à quoi, grâce à lécriture qui dailleurs ne fera pas objection à cette première approximation, puisque justement cest par là quelle montrera que cest une suppléance de ce pas toute sur quoi repose, quoi, la jouissance de la femme. Cest à savoir que cette jouissance, quelle nest pas toute, cest-à-dire qui quelque part la fait absente delle-même, absente en tant que sujet, quelle y trouvera le bouchon de ce petit a que sera son enfant.
Mais dun autre côté, du côté de lx, à savoir de ce qui serait lhomme si ce rapport sexuel pouvait sécrire dune façon soutenable, soutenable dans un discours, vous verrez que lhomme nest quun signifiant, parce que là où il entre en jeu comme signifiant, il ny entre que quoad castrationem, cest-à-dire en tant quil a un rapport, un rapport quelconque avec la jouissance phallique. De sorte que cest à partir du moment, ou de quelque part, dun discours qui aborde la question sérieusement, du discours analytique, que cest à partir du moment où ce, ce qui est la condition de lécrit à savoir quil se soutienne d un discours, que tout se dérobera et que le rapport sexuel vous ne pourrez jamais lécrire, naturellement dans la mesure où il sagit dun vrai écrit, cest-à-dire de lécrit en tant que cest ce qui, du langage, se conditionne dun discours.
La lettre radicalement est effet de discours. Ce quil y a de bien, nest-ce-pas, si vous me permettez, ce quil y a de bien dans ce que je raconte cest que cest toujours la même chose. Cest à savoir non pas bien sûr que je me répète, cest pas là la question, cest que ce que jai dit antérieurement, la première fois autant que je me souvienne que jai parlé de la lettre, jétais comme ça, jai sorti ça je ne sais plus quand, maintenant je ne veux rechercher, je vous lai dit jai horreur de me relire, mais il doit bien y avoir quinze ans, quelque part à Ste Anne 74. Jai essayé de faire remarquer cette petite chose que tout le monde connaît, bien sûr, que tout le monde connaît quand on lit un peu, ce qui narrive pas à tout le monde, quun nommé Sir Flanders Petrie75 par exemple avait cru remarquer que les lettres de lalphabet phénicien se trouvaient bien avant le temps de la Phénicie sur de menues poteries égyptiennes où elles servaient de marques de fabrique 76. Ce qui veut dire, ce qui veut dire simplement ceci que le marché, qui est typiquement un effet de discours, cest là que dabord est sortie la lettre, avant que quiconque ait songé à user des lettres pour faire quoi, quelque chose qui na rien à faire, qui na rien à faire avec la connotation du signifiant, mais qui lélabore, qui le perfectionne.
Il faudrait bien sûr prendre les choses au niveau de lhistoire de chaque langue parce quil est clair que la lettre chinoise, celle qui nous affole tellement que nous appelons ça, Dieu sait pourquoi, dun nom différent de caractère, en cela la lettre chinoise, à savoir quil est manifeste quelle est sortie du discours chinois très ancien, dune façon toute différente de la façon dont sont sorties nos lettres. À savoir quen somme, les lettres, les lettres quici je sors, elles ont une valeur différente, différentes comme lettres parce quelles sortent du discours analytique, de ce qui peut sortir comme lettre par exemple de la théorie des ensembles, à savoir lusage quon en fait, et qui pourtant, cest là lintérêt, nest pas sans avoir le rapport, un certain rapport de convergence sur lequel jaurai certainement, dans ce qui sera la suite, loccasion dapporter quelques développements : la lettre en tant queffet nimporte quel effet de discours a ceci de bon quil fait de la lettre.
Alors mon Dieu, pour terminer, pour terminer aujourdhui ce qui nest quune amorce que jaurai loccasion de développer, ce que je reprendrai à propos en vous distinguant, en discernant par exemple, la différence quil y a de lusage de la lettre dans lalgèbre ou de lusage de la lettre dans la théorie des ensembles, parce que ceci nous intéresse directement. Mais pour linstant, je veux simplement vous faire remarquer quil se produit quand même quelque chose qui est corrélatif de lémergence au monde
au monde, cest le cas de le dire, au monde en décomposition, Dieu merci, nest-ce pas, au monde que nous voyons ne plus tenir puisque même dans le discours scientifique il est clair quil ny a, ya, ya, ya, ya pas le moindre monde à partir du moment où vous pouvez ajouter aux atomes un truc qui sappelle le quark, et, et, et que vous trouvez en plus que cest là le vrai fil du discours scientifique.
Vous devez quand même vous rendre compte quil sagit dautre chose, quil sagit de voir doù on part. Eh bien référez-vous quand même, parce que c est une bonne lecture, il faut que vous vous mettiez tout de même à lire un peu, un peu enfin des auteurs, je ne dirai pas de votre temps, bien sûr je ne vous dirai pas de lire Philippe Sollers, il est illisible, bien sûr comme moi, oui mais vous pouvez lire Joyce par exemple. Alors là vous verrez comment ça a commencé de se produire. Vous verrez que le langage se perfectionne et sait jouer, sait jouer avec lécriture. Joyce, moi je veux bien que ça ne soit pas lisible. Ce nest certainement pas traductible en chinois !
Seulement Joyce quest-ce que cest, cest exactement ce que je vous ai dit tout à lheure : cest le signifiant qui vient truffer le signifié. Joyce cest, cest un long texte écrit, lisez Finnegans Wake 77, cest un long texte écrit qui, dont le sens provient de ceci cest que cest du fait que les signifiants semboîtent, se composent, si vous voulez pour faire image à ceux qui ici nont même pas lidée de ce que cest, se télescopent, que cest avec ça que se pr oduit quelque chose qui, comme signifié peut paraître énigmatique, mais qui est bien ce quil y a de plus proche de ce que nous autres analystes, grâce au discours analytique, nous savons le lire, qui est ce quil y a de plus proche du lapsus. Et cest au titre de lapsus que ça signifie quelque chose, cest-à-dire que ça peut se lire dune infinité de façons différentes. Mais cest justement pour ça que ça se lit mal, ou que ça se lit de travers, ou que ça ne se lit pas. Mais cette dimension du se lire, est-ce que ce nest pas suffisant pour montrer que nous sommes dans le registre du discours analytique, que ce dont il sagit dans le discours analytique cest toujours à ce qui sénonce de signifiant que vous donniez une autre lecture que ce quil signifie.
Mais cest là que commence la question. Parce que voyons pour me faire comprendre je vais prendre une référence comme ça dans ce que vous lisez dans le grand livre du monde. Par exemple vous voyez le vol dune abeille, comme ça le vol dune abeille, elle vole, elle butine, elle va de fleur en fleur. Ce que vous apprenez cest quelle va transporter au bout de ses pattes le pollen dune fleur sur le pistil du même coup aux ufs dune autre fleur, ça cest ce que vous lisez dans le vol de labeille. Ou nimporte quoi dautre, vous voyez, je ne sais pas moi, quelque chose que vous appelez comme ça, un vol doiseaux qui volent bas par exemple vous appelez ça un vol, cest en réalité un groupe à un certain niveau vous y lisez quil va faire de lorage, mais est-ce queux ils lisent ? Est-ce que labeille lit qu elle sert à la reproduction des plantes phanérogamiques ? Est-ce que loiseau lit laugure de la fortune, comme on disait autrefois, cest-à-dire de la tempête 78 ? Toute la question est là. Cest pas exclu après tout que lhirondelle ne lise pas la tempête, mais cest pas sûr non plus.
Ce quil y a dans votre discours analytique cest que le sujet, le sujet de linconscient vous le supposez, vous le supposez savoir lire. Ça nest rien dautre votre histoire de linconscient. Cest que non seulement vous le supposez savoir lire, mais vous le supposez pouvoir apprendre à lire. Seulement ce que vous lui apprenez à lire na alors absolument rien à faire, en aucun cas, avec ce que vous pouvez en écrire. Voilà.
Notes
65 Sortie du livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973. Établissement de J.A. Miller.
66« De ce que jenseigne », conférence au groupe de lÉvolution psychiatrique le 23-1-62.
67Il y a la fin de cette phrase une ambiguïté entre les traits et les barres, Lacan utilisant le terme de barre pour ce quil vient dappeler trait. Nous considérons que les barres séparent les lettres comme ceci : et que les traits les relient comme cela : ici dans le discours de lanalyste dont il est question dans ce passage. Le trait manquant, sur les six possibles, étant celui de létage inférieur, conformément à ce que Lacan a énoncé précédemment (voir, entre autre, la séance du 11-3-70 de La psychanalyse à lenvers).
68 Lacan écrit effectivement au tableau.
69 En 1935, sept mathématiciens, Henri Carton, Claude Chevalley, Jean Delsarte, Szolem Mandelbrojt, René de Possel, André Weil et Jean Dieudonné fondaient le groupe Bourbaki, du nom dun général de Bonaparte.
70 Lacan impute à Saussure lécriture S. Saussure, lui, dessine : in Cours de linguistique générale, Chap. IV, la valeur linguistique, Paris, Payot, 1992, p.158.
71 Jacques Lacan, Écrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 493-528.
72 Lacan tonne ce lapsus «Ya de lincons » et se reprend :» ya du signifiant».
73 Lacan hurle sur « peut ».
74 Jacques Lacan, «La lettre volée », séminaire du 26-4-1955.
75 Sir Flanders Petrie, The formation of the alphabet, London, MacMillan and co, 1912.
76 «Et ceci nous en avons des attestations historiques, car quelquun qui sappelle Sir Flanders Petrie a montré que bien avant la naissance des caractères hiéroglyphes, sur les poteries qui nous restent de lindustrie dite prédynastique nous trouvons comme marques sur les poteries, à peu près toutes les formes qui sont trouvées utilisées par la suite, cest-à-dire, après une longue évolution historique, dans lalphabet grec, étrusque, latin, phénicien, tout ce qui nous intéresse au plus haut chef comme caractéristique de lécriture». Séminaire Lidentification du 20 décembre 1961 (établissement critique par M. Roussan)
77 James Joyce, Finnegans Wake, Paris, Gallimard, I982.
78 Au XIII° siècle, fortune avait le sens de malchance, malheur et était utilisée dans lacception spéciale de tempête.