Mardi 8 mai 1973
Je pense à vous.
Ça ne veut pas dire que jvous pense
quelquun ici peut-être se souvient de ce que jai parlé dune langue où lon dirait, si jen crois ce quon me rapporte de sa forme, où lon dirait « jaime à vous », cest bien en quoi elle se modèle mieux quune autre sur le caractère indirect de cette atteinte qui sappelle lamour.
Je pense à vous
cest bien déjà faire objection à tout ce qui pourrait sappeler sciences humaines dans une certaine conception de la science, non pas celle qui se fait depuis seulement quelques siècles, mais de celle qui sest avec Aristote définie dune certaine façon. Doù il résulte quil faille se demander, sur le fondement, sur le principe de ce que nous a apporté le discours analytique, par quelle voie peut bien passer cette science nouvelle qui est la nôtre.
Ceci implique que je formule dabord doù nous partons. Doù nous partons cest de ce que nous donne ce discours analytique, cest à savoir linconscient. Csssest pourquoi je vous donnerai dabord quelques formules peut-être un peu serrées concernant ce quon peut dire de ce quil en est de linconscient, et justement au regard de cette science traditionnelle qui nous fait nous poser la question :
comment une science
encore
après ce quon peut dire de linconscient, est-elle possible ?
Je vous annonce déjà que si surprenant que cela puisse vous paraître dabord, mais vous verrez que ça ne lest pas, ceci me conduira aujourdhui à vous parler du christianisme.
Linconscient
je commence par mes formules difficiles que je suppose devoir être telles
linconscient
tout ce que aujourdhui je développerai à vous le rendre plus accessible, mais je donne ici mes formules
linconscient
ce nest pas que lêtre pense comme limplique pourtant ce quon en dit, ceci dans la science traditionnelle
linconscient
cest, après avoir dit ce que ça nest pas je dis ce que c est, cest que lêtre en parlant, quand cest un être qui parle
cest que lêtre en parlant jouisse
et jajoute ne veuille rien, rien en savoir de plus, jajoute que cela veut dire ne rien savoir du tout.
Pour abattre tout de suite une carte que jaurais pu vous faire attendre un peu,
quil ny a pas de désir de savoir, quil ny a pas ce fameux Wissentrieb que quelque part pointe Freud.
Là Freud se contredit.
Tout indique, cest là le sens de linconscient, non seulement que l homme sait déjà tout ce quil a à savoir, mais que ce savoir est parfaitement limité à cette jouissance insuffisante que constitue quil parle.
Vous voyez bien que ceci comporte une question sur ce quil en est de cette science effective que nous possédons bien sous le nom dune physique.
En quoi cette nouvelle science concerne-t-elle le réel ?
La faute de la science que je qualifie de traditionnelle pour être celle qui nous vient de la pensée dAristote, cette faute, ai-je dit, cest dimpliquer que lêtre pense, que la pensée soit telle que le penser soit à son image cest-à-dire que lêtre pense.
Pour aller à un exemple qui vous soit le plus proche, javancerai que ce qui rend ce quon appelle rapports humains vivables, ce nest pas dy penser. Et cest là-dessus quen somme s est fondé ce quon appelle comiquement le behaviorisme, la conduite à son dire pourrait être observée de telle sorte quelle séclaire par sa fin. Cest là-dessus quon a espéré fonder les sciences humaines, envelopper tout comportement, ny étant supposée lintention daucun sujet, dune finalité posée comme de ce comportement faisant objet, rien de plus facile, cet objet ayant sa propre régulation, que de limaginer dans le système nerveux.
Lennui, cest quil ne fait rien de plus que dy injecter tout ce qui sest élaboré philosophiquement, aristotéliciennement de lâme. Rien nest changé. Ce qui se touche de ce que le béhaviorisme ne sest distingué, que je sache, par aucun bouleversement de léthique, cest-à-dire des habitudes mentales, lhabitude fondamentale. Nétant quun objet ça sert à une fin, il se fonde, quoi quon en pense cest toujours là, de sa cause finale, laquelle est vivre dans loccasion, plus exactement survivre cest-à-dire atermoyer la mort et dominer le rival.
Vous le voyez, il est clair que le nombre de pensées implicites dans une telle conception du monde, Weltanschauung, comme on dit, est proprement incalculable. Cest toujours de l équivalence de la pensée et du penser quil sagit.
Ce qui est le plus certain de ce mode de penser la science traditionnelle cest ce quon appelle son classicisme, le règne aristotélicien de la classe, cest-à-dire du genre et de l espèce autrement dit de lindividu considéré comme spécifié, cest lesthétique aussi qui en résulte et léthique qui sen ordonne. Je la qualifierai dune façon simple, trop simple et qui risque de vous faire voir rouge cest le cas de le dire, mais vous auriez tort de voir trop vite, quoi quil en soit je dis ma formule, la pensée est du côté du manche et le penser de lautre côté. Ce qui se lit, de ce que le manche est la parole, lui seul explique et rend raison, en cela le behaviorisme ne sort pas du classique.
Cest dit-manche, à écrire comme jai écrit dit-mansion, Le Dimanche de la vie 141 comme dit Queneau, non sans du même coup en révéler lêtre dabrutissement, pas évident au premier abord. Mais ce que jen relève, cest que ce dimanche a été lu et approuvé par quelquun qui dans lhistoire de la pensée en savait un bout, Kojève nommément, qui a applaudi à ce Dimanche de la vie en y reconnaissant rien de moins que le savoir absolu tel quil nous est promis par Hegel.
Comme quelquun la perçu récemment, je me range, qui me range, est-ce-que cest lui ou est-ce-que cest moi, finesse de la langue. Je me range plutôt du côté du baroque, cest un épinglage emprunté à lhistoire de lart. Comme lhistoire de lart, tout comme lhistoire et tout comme lart sont affaire non pas du manche mais de la manche, cest-à-dire du tour de passe-passe, il faut avant de continuer que je dise ce que jentends par là, le sujet je nétant pas plus actif dans ce que jentends que dans je m e range etc., plutôt du côté du baroque.
Et cest ce qui va me faire plonger dans lhistoire du christianisme. Vous vous y attendiez pas, ben pourtant je vais le faire, pouf, voilà.
Le baroque, cest au départ lhistoriole, lhistoriole, petite histoire du Christ, je veux dire ce que raconte lhistoire dun homme, ne vous frappez pas cest lui-même qui sest désigné comme le Fils de lHomme, ce que racontent quatre textes dits évangéliques dêtre pas tellement bonne nouvelle que annonceurs bons pour leur sorte de nouvelle, ça peut aussi sentendre comme ça et ça me paraît plus approprié. Ceux-là écrivent dune façon telle quil ny a pas un seul fait qui ne puisse y être contesté, et Dieu sait que naturellement on a foncé dans la muleta, on ne sen est pas privé, mais que ces textes nen soient pas moins ce qui va au cur de la vérité, la vérité comme telle jusques et y compris le fait que moi jénonce quon ne peut la dire quà moitié. Cest une simple indication nest-ce pas, cette ébouriffante réussite impliquerait que je prenne les textes et que je vous fasse des leçons sur les Évangiles, vous voyez où ça nous entraînerait !
Ceci pour vous montrer quils ne se serrent au plus près quà la lumière des catégories que jai essayé de dégager de la pratique analytique, nommément le symbolique, limaginaire et le réel.
Pour nous en tenir à la première, jai énoncé que la vérité c est la
dit-mention, un petit tiret et d.i.t, au départ, la dit-mention proprement dite, la mention du dit. Dans ce genre les Évangiles, on ne peut pas mieux dire, on ne peut mieux dire de la vérité, cest de cela quil résulte que ce sont des Évangiles. On ne peut pas même mieux faire jouer la dimension de la vérité, cest-à-dire mieux repousser la réalité dans le fantasme.
Après tout, la suite a suffisamment démontré, puisque je laisse les textes, je men tiendrai à leffet, que cette dit-mention se soutient. Elle a inondé ce qu on appelle le monde en le restituant à sa vérité dimmondice. Cest-à-dire quelle a relayé ce que le romain, maçon comme pas un, avait fondé dun équilibre miraculeux duniversel, avec en plus enfin des bains de jouissance que symbolisent suffisamment ces fameux thermes dont il nous reste des bouts écroulés dont nous ne pouvons avoir aucune espèce d idée à quel point ça, pour ce qui est de jouir, enfin cétait, cétait le pompon, ouais ! Le christianisme a rejeté tout ça à labjection considérée comme monde, cest ainsi que ce nest pas sans une affinité intime au problème du vrai que le christianisme subsiste. Quil soit la vraie religion comme il prétend nest pas une prétention excessive et ce dautant plus quà examiner le vrai de près, cest ce quon peut en dire de pire. En particulier que dans ce registre, celui du vrai, quand on y entre on nen sort plus. Pour minoriser la vérité comme elle le mérite il faut être entré dans le discours analytique. Ce que le discours analytique déloge met la vérité à sa place mais ne lébranle pas. Elle est réduite mais indispensable, tout est là et rien ne prévaudra contre cette consolidation, sauf ce qui subsiste des sagesses mais qui ne sy sont pas affrontées. Le taoisme par exemple ou dautres doctrines de salut pour qui laffaire nest pas de vérité mais de voie comme le nom tao lindique, de voie si elles parviennent à prolonger quelque chose qui y ressemble.
Il est vrai que lhistoriole du Christ na selon toute apparence et comme je lai énoncé en clair avec même pour effet que
il y a des gens qui sont gentils, ils font comme les chiens, ils ramassent la balle et me la rapportent, on me la rapportée
lhistoriole disais-je donc se présente non pas comme lentreprise de sauver les hommes mais comme celle de sauver Dieu. Il faut reconnaître que pour celui qui sest chargé de cette entreprise, le Christ nommément pour ceux qui seraient tout à fait sourds nest-ce pas, et ben, il y a mis le prix, cest le moins que lon puisse dire et que le résultat, on doit bien sétonner quil paraisse satisfaire. Car que Dieu soit trois indissolublement est de nature tout de même à nous faire préjuger que le compte un-deux-trois lui préexiste. De deux choses lune, ou il ne rend compte que de laprès-coup de la révélation christique et cest son être qui en prend un coup, ou si le trois lui est antérieur, cest son unité qui écope, doù devient concevable que le salut de Dieu soit précaire, livré en somme au bon vouloir des chrétiens.
Lamusant est évidemment, je vous ai déja raconté ça mais vous navez pas entendu, je vous ai déjà raconté ça, lamusant cest que lathéisme ne soit soutenable que par les clercs beaucoup plus difficile chez les laïques dont linnocence en la matière reste totale. Rappelez-vous ce pauvre Voltaire, cétait un type malin, agile, rusé, extraordinairement sautilleur, mais tout à fait digne en somme dentrer, vous savez là, dans le vide-poches den face là, le Panthéon là bon, ouais.
Freud heureusement nous a donné une interprétation nécessaire, qui ne cesse pas de sécrire comme je définis le nécessaire, une interprétation nécessaire du meurtre du fils comme fondateur de la religion de la grâce. Il ne la pas dit tout à fait comme ça mais il a bien marqué que cétait un mode de dénégation, qui constitue une forme possible de laveu de la vérité. Cest ainsi que Freud re-sauve le père en quoi il imite Jésus-Christ, modestement sans doute, il ny met pas toute la gomme mais il y contribue pour sa petite part, comme ce quil est, à savoir un bon juif pas tout à fait à la page, cest excessivement répandu, il faut quon les regroupe pour quils prennent le mors aux dents.
Combien de temps est-ce que ça durera ?
Parce que il y a quand même quelque chose que, ce jour, mon Dieu, que je ne voudrais plus approcher concernant lessence du chistianisme. Vous allez aujourdhui là-dessus en baver, pour ça il faut que je reprenne plus haut. Lâme, il faut lire Aristote, vous savez cest une bonne lecture, cest évidemment à quoi aboutit la pensée du manche. Cest dautant plus nécessaire, cest-à-dire ne cessant pas de sécrire, que ce quelle élabore là, la pensée dite en question, ce sont des pensées sur le corps. Le corps ça devrait vous épater plus. En fait cest bien ce qui épate, ce qui épate la science classique, comment ça peut-il marcher comme ça ? à savoir à la fois un corps, le vôtre, nimporte quel autre dailleurs, corps baladeur, cest la même chose, vous êtes au même point, il faut à la fois que ça se suffise comme ça quelque chose m a fait penser comme ça, un petit syndrôme que jai vu sortir de mon ignorance, qui ma été rappelé, que si par hasard les larmes ça tarissait, lil ne marchait plus très bien. Cest ce que jappelle les miracles du corps, ça se sent tout de suite déjà. Supposez que ça pleure plus, que ça jute plus, la glande lacrymale, vous aurez des emmerdements, bon, ouais. Et dautre part, cest un fait que ça pleurniche, et pourquoi diable, dès que corporellement, imaginairement ou symboliquement on vous marche sur le pied, on vous affecte on appelle ça, ouais. Et quel rapport y-a-til entre cette pleurnicherie et le fait quimplique de parer à limprévu, cest-à-dire quon se barre ? Cest une formule vulgaire, mais qui dit bien ce quelle veut dire parce quelle rejoint exactement le sujet barré dont ici vous avez entendu quelque consonnance. Le sujet se barre en effet comme je lai dit et plus souvent quà son tour.
Constatez là seulement quil y a tout avantage à unifier lexpression pour le symbolique, limaginaire et le réel, comme, je vous le dis entre parenthèses le faisait Aristote qui distinguait pas le mouvement de l llosi/alloiosis. Le changement et la motion dans lespace, cétait pour lui, mais il le savait pas, cétait pour lui que le sujet se barre. Evidemment, il possédait pas les vraies catégories, mais quand même, il sentait bien les choses, en dautres termes, limportant cest que tout ça colle assez pour que le corps subsiste, sauf accident comme on dit externe ou interne, ce qui veut dire que le corps est pris pour ce quil se présente être un corps fermé, comme on dit.
Qui ne voit que lâme, ce nest rien dautre que son identité supposée à lui-même avec tout ce quon pense pour lexpliquer. Bref lâme cest ce quon pense à propos du corps du côté du manche et on se rassure à penser quil pense de même, doù la diversité des explications : quand il est supposé penser secret il a des sécrétions, quand il est supposé penser concret il a des concrétions, quand il est supposé penser information il a des hormones, ou bien encore il sadonne à lA.D.N., Adonaï, Adonis, enfin tout ce que vous voudrez.
Tout ceci pour vous amener à ceci que jai quand même annoncé au départ sur le sujet de l inconscient, puisque je parle pas uniquement comme ça, comme on flûte, quil est vraiment curieux quil ne soit pas mis en cause dans la psychologie que la structure de la pensée repose sur le langage, lequel langage, cest là tout le nouveau de ce terme de structure, les autres qualifiés de ce, de cette étiquette, ils en font ce quils en veulent, mais moi ce que je fais remarquer c est que le langage comporte une inertie considérable, ce qui se voit à comparer son fonctionnement n est-ce-pas à ces signes quon appelle mathématiques, mathèmes, uniquement nest-ce-pas de ce fait que eux se transmettent intégralement. On sait absolument pas ce quils veulent dire, mais ils se transmettent. Il nen reste pas moins quils ne se transmettent quavec laide du langage et cest ce qui fait toute la boiterie de laffaire.
Quil y ait quelque chose qui fonde lêtre, cest assurément le corps, là-dessus Aristote ne sy est pas trompé. Il en a débrouillé beaucoup un par un, lhistoire des animaux, mais il narrive pas, lisez-le bien, nest-ce pas à faire le joint avec son affirmation. Il sagit de ce quil affirme, vous navez jamais lu naturellement le De Anima malgré mes supplications, mais ce quil affirme cest que lhomme pense avec instrument, avec son âme, cest-à-dire comme je viens de vous le dire, je pourrais le dire en résumé rapidement, les mécanismes, les mécanismes supposés dont se supporte son corps.
Naturellement faites attention cest nous qui en sommes aux mécanismes à cause de notre physique, mais notre physique dailleurs est une physique déjà à la gare, sur une voie de garage je veux dire, parce que il y a eu la physique quantique, depuis pour les mécanismes ça saute bon mais enfin Aristote, qui nétait pas entré dans les défilés du mécanisme, ça veut simplement dire justement ça, ce quil en pensait. Alors, lhomme pense avec son âme ça veut dire que lhomme pense avec la pensée dAristote, en quoi la pensée est naturellement du coté du manche.
Il est évident que on avait quand même essayé de faire mieux nest-ce-pas cest , il y a encore autre chose avant la physique quantique, il y a lénergétisme et lidée dhoméostase. Mais tout ceci nous entraînerait
ouais ! nous entraînerait vers ceci, nous entraînerait vers ceci que, que linconscient cest tout autre chose et si jai resserré la chose autour de ceci que jai énoncé dabord, cest à savoir ce que jai appelé linertie dans la fonction du langage, ce qui fait que toute parole est cténergie encore non prise dans une énergétique parce que cténergétique elle est pas commode à mesurer. Pour faire sortir de là non pas des quantités mais des chiffres qui, tels que ils soient choisis enfin dune façon, remarquez complètement arbitraire, on sarrange à ce quil reste toujours quelque part une constante car cest là le fondement de lénergétique, et bien cest pas commode. Pour linertie en question nous sommes forcés de la prendre au niveau du langage lui-même.
Quel rapport peut-il bien y avoir entre larticulation qui constitue le langage et une jouissance qui se révèle être la substance de la pensée, qui fait de cette pensée si aisément reflétée dans le monde par la science traditionnelle celle qui fait que Dieu cest lÊtre Suprême et que cet Être Suprême ne peut, dixit Aristote, nêtre rien dautre que le lieu doù se sait quel est le bien de tous les autres. Ça fait quelque chose. Ça fait quelque chose qui na pas grand rapport avec la pensée si nous la considérons comme avant tout dominée par cette inertie du langage.
Ce nest pas très étonnant quon nait pas su comment serrer, coincer, faire couiner la jouissance, en nous servant de ce qui paraît le mieux pour supporter ce que jappelle linertie du langage, cest à savoir lidée de la chaîne, des bouts de ficelle autrement dit, des bouts de ficelle qui font des ronds et qui on ne sait trop comment, se prennent les unes avec les autres. Je vous ai déjà une fois avancé ça, jessaierai bien sûr de faire mieux, à propos dune leçon dont je métonne moi-même à mesure que javance en âge que les choses de lannée dernière me paraissent il y a cent ans. Cétait donc lannée dernière que jai pris pour thème la formule que jai cru pouvoir supporter dun nud bien connu et quon appelle le nud borroméen, la formule « je te demande de refuser ce que je toffre parce que ça nest pas ça ». Cest une formule soigneusement adaptée à son effet comme toutes celles que je profère. Voyez « LÉtourdit », jai pas dit : « le dire reste oublié, etc. », jai dit : « quon dise». De même ici jai pas dit : « parce que ça n est quça ». « Ce nest pas ça ! » cest le cri par où se distingue la jouissance obtenue de celle attendue, cest où se spécifie ce qui peut se dire dans le langage. La négation a toute semblance de venir de là, mais rien de plus.
La structure pour sy brancher ne démontre rien sinon quelle est du texte même de la jouissance en tant quà marquer de quelle distance elle manque, celle dont il sagirait si cétait ça, elle ne la suppose pas seulement, celle qui serait ça, elle en supporte une autre.
Voilà. Cette dit-mention là je me répète mais nous sommes dans un domaine où justement la loi cest la répétition, cette dit-mention cest le dire de Freud, cest même la preuve de lexistence de Freud, dans un certain nombre dannées il en faudra une. Tout à lheure je lai rapproché comme ça dun p tit copain, je lai rapproché du Christ, bon, ben évidemment, il faut aussi quon ait la preuve de l existence du Christ, elle est évidente, cest le christianisme. Le christianisme en fait, vous savez, c est accroché là. Enfin pour linstant on a Les Trois Essais sur la sexualité 142auxquels je vous prie de vous reporter dailleurs, dont jaurai à faire usage, comme j ai fait autrefois usage de ces écrits sur ce que jappelle la dérive pour traduire Trieb, la dérive de la jouissance.
Oui. Tout ça, en somme tout ça jy insiste, cest proprement ce qui a été collabé pendant toute lantiquité philosophique par lidée de la connaissance. Dieu merci, Aristote était assez intelligent pour isoler dans lintellect-agent ce dont il sagit dans la fonction du symbolique. Il a simplement vu que cétait là, le symbolique, cest là que lintellect devait agir. Mais il nétait pas assez intelligent, pas assez parce que nayant pas joui de la révélation chrétienne, pour penser quune parole, fût-ce la sienne à désigner ce no/nous qui ne se supporte que du langage, concerne la jouissance qui pourtant se désigne chez lui métaphoriquement partout, parce que toute cette histoire de la matière et de la forme, quest-ce-que tout ça, quest-ce-que ça suggère comme vieille histoire concernant la copulation. Ça lui aurait permis de voir que ce nest pas ça du tout ça, quil ny a pas la moindre connaissance, mais que le moins quon puisse dire cest que les jouissances qui en supportent le semblant, cest quelque chose comme le spectre de la lumière blanche. À cette seule condition quon voie que la jouissance dont il sagit est hors du champ de ce spectre, quil sagit de métaphore, quil faut mettre, de tout ce quil en est de la jouissance, il faut mettre la fausse finalité comme répondant à ce qui nest que pur fallace dune jouissance qui serait adéquate au rapport sexuel, et quà ce titre, toutes les jouissances ne sont que des rivales de la finalité quça serait si la jouissance avait le moindre rapport avec le rapport sexuel.
Je vais en remettre comme ça une petite coulée sur le Christ, parce que cétait un personnage important et puis parce que ça vient là pour commenter le baroque, le baroque, cest pas pour rien quon dit que mon discours participe du baroque. Je vais vous poser une question : quelle importance peut-il y avoir dans la doctrine chrétienne à ce que le Christ ait une âme ? Cette doctrine ne parle que de lincarnation de Dieu dans un corps, quil faut bien que la passion soufferte en cette personne ait fait la jouissance dune autre. Il ny a rien qui ici manque, pas dâme notamment. Le Christ même ressuscité vaut par son corps et son corps est le truchement par où la communion à sa présence est in-corps-poration, pulsion orale, dont lépouse du Christ, Église comme on lappelle, se contente fort bien, nayant rien à attendre dune copulation. Tout ce qui a déferlé des effets du christianisme, dans lart notamment, et cest en cela que je rejoins ce baroquisme dont jaccepte dêtre habillé, nest-ce-pas, ouais, voyez le témoignage de quelquun qui revient dune orgie déglises en Italie, ouais, tout est exhibition de corps évoquant la jouissance à la copulation près, qui si elle nest pas présente, cest pas pour des prunes. Elle est aussi hors-champ quelle lest dans la réalité humaine quelle sustente, quelle sustente pourtant des fantasmes dont elle est constituée, nulle part dans aucune ère culturelle cette exclusion ne sest avouée de façon plus nue. Je dirai un peu plus, et ne croyez pas que mes dires je vous les dose pas, jirai jusque là que de vous dire que nulle part comme dans le christianisme luvre dart comme telle ne savère de façon plus patente pour ce quelle est, de toujours et partout, obscénité.
La dimension de lobscénité, voilà ce par quoi le christianisme ravive la religion des hommes. Je vais pas vous donner une définition de la religion parce que y a pas plus dhistoire de la religion que dhistoire de lart. Les religions cest comme les arts, cest une poubelle, ça a pas la moindre homogénéité.
Il y a quand même quelque chose dans ces ustensiles quon fabrique à qui mieux mieux Ce dont il sagit cest lurgence pour ces êtres qui, de nature, parlent, lurgence que constitue quils aillent au déduit amoureux sous des modes exclus de ce que je pourrais appeler, si cétait concevable, au sens que jai donné tout à lheure au mot âme, à savoir ce qui fait que ça fonctionne, exclus de ce qui serait lâme de la copulation, si jose supporter nest-ce-pas de ce mot ce qui à les y pousser effectivement si ça était lâme de la copulation, serait élaborable par ce que jappelle une physique qui dans loccasion nest rien que ceci, une pensée supposable au penser.
Il y a là un trou et ce trou sappelle lAutre, du moins est-ce ainsi que jai cru pouvoir le dénommer. LAutre en tant que lieu où la parole dêtre déposée, vous ferez attention aux résonances, fonde la vérité et avec elle le pacte qui supplée à linexistence du rapport sexuel en tant quil serait pensé pensée, pensable, autrement dit que le discours ne serait pas réduit à ne partir, si vous vous souvenez du titre dun des séminaires, à ne partir que du semblant 143.
Que la pensée nagisse dans le sens dune science quà être supposée au penser, cest-à-dire que lêtre soit supposé penser, cest ce qui fonde la tradition philosophique à partir de Parménide.
Parménide avait tort et Héraclite raison, cest bien ce qui se signe à ce que quelque part Parménide énonce : outè legei outè kruptei, il navoue ni ne cache, alla semainei, il signifie, remettant à sa place le discours du manche lui-même, de ce quil appelle comme ça : o anx, o anax ou et to manteion esti to en Telphois le prince, le manche, qui vaticine à Delphes 144.
Le plus invraisemblable, lhistoire folle, celle qui fait quant à moi le délire de mon admiration, je me mets en huit par terre quand je lis Saint-Thomas, parce que cest rudement bien foutu. Pour que la philosophie dAristote ait été par Saint Thomas réinjectée dans ce quon pourrait appeler la conscience chrétienne, si ça avait un sens, cest quelque chose qui peut sexpliquer que parce que celle-ci enfin cest comme pour les psychanalystes les chrétiens ont horreur 145 de ce qui leur a été révélé et ils ont bien raison !
Cette béance inscrite au statut même de la jouissance en tant que dit-mention du corps, ceci chez lêtre parlant, voilà ce qui rejaillit avec Freud par ce test, je ne dis rien de plus. Quest lexistence de la parole ? Là, là où ça parle ça jouit, et ça veut pas dire que ça sache rien, parce que quand même jusquà nouvel ordre linconscient ne nous a rien révélé sur la physiologie du système nerveux non, ni même sur le fonctionnement du bandage, ni des éjaculations précoces.
Pour finir avec cette histoire de la vraie religion, je pointerai quand même pendant quil en est encore temps que Dieu ne se manifeste que des Écritures qui sont dites Saintes. Elles sont Saintes en quoi, en ce quelles ne cessent pas de répéter léchec
lisez Salomon quand même cest, cest, cest le maître des maîtres, cest le senti-maître, un type dans mon genre,
léchec des tentatives dune sagesse dont lêtre serait le témoignage.
Tout ça ne veut pas dire, mes petits amis, quil ny ait pas eu des trucs de temps en temps, grâce auxquels la jouissance, sans compter quoi il ne saurait y avoir de sagesse, a pu se croire venue à cette fin de satisfaire la pensée de lêtre, mais voilà jajoute cette fin na été satisfaite quau prix dune castration. Dans le taoïsme par exemple, vous ne savez pas ce que cest bien sûr, très peu le savent, enfin moi je lai pratiqué, jai pratiqué les textes bien sûr, dans le taoïsme et lexemple est patent dans la pratique même du sexe, il faut retenir son foutre pour être bien. Le bouddhisme lui bien sûr est lexemple trivial par son renoncement à la pensée elle-même parce que ce quil y a de mieux dans le bouddhisme, cest le zen et le zen ça consiste à ça, à te répondre par un aboiement, mon petit ami. Cest ce qu il y a de mieux quand on veut naturellement sortir de cette affaire infernale comme disait Freud.
Il est plus que probable que la fabulation antique, la mythologie comme vous appelez ça ou Claude Lévi-Strauss aussi appelait ça comme ça, la mythologie de lère méditerranéenne entre autre, cest justement celle à laquelle on ne touche pas parce que cest la plus foisonnante et puis surtout parce quon en a fait de tels jus quon ne sait plus par quel bout la prendre. Eh ben, cette mythologie est parvenue aussi à quelque chose, à quelque chose dans le genre de la psychanalyse vous comprenez ces dieux comme ça, il y en avait à la pelle des dieux, il suffisait de trouver le bon, il suffisait de trouver le bon et ça faisait ce truc, ce truc contingent qui fait que quelquefois après une analyse, nous aboutissons à ce quun chacun baise convenablement sa une chacune.
Cétaient quand même des dieux, cest-à-dire des représentations un petit peu consistantes de lAutre. Parce que naturellement, passons sur la faiblesse de lopération analytique, il y a une chose très, très singulière, cest que oui ceci est si parfaitement compatible avec la croyance chrétienne, que de ce polythéisme nous avons vu la renaissance à lépoque épinglée du même nom.
Je vous dis tout ça parce que justement je reviens des musées et que en somme la Contre-Réforme, Ah la Contre-Réfome, cétait revenir aux sources et que le baroque cen est létalage, cest la régulation de lâme par la scopie corporelle. Il faudra quune fois, enfin je sais pas si jaurai jamais le temps, parler de la musique dans les marges. Mais je parle seulement de ce qui se voit dans toutes les églises de Rome, tout ce qui saccroche aux murs, tout ce qui croule, tout ce qui délice, tout ce qui délire, nest-ce pas enfin ce que jai appelé tout à lheure lobscénité, mais exaltée.
Je me demande dabord pour quelquun qui viendrait comme ça du fin fond de la Chine, quel effet ça doit pouvoir lui faire, ce ruissellement de représentations de martyrs, et je dirais que ça se renverse ces représentations qui sont elles-mêmes martyrs, vous savez que martyr ça veut dire témoin, martyrs dune souffrance plus ou moins pure, cest notre peinture jusquà ce quon ait fait le vide en commençant sérieusement à soccuper de petits carrés.
Mais yen a après une réduction de lespèce humaine nest-ce pas, cest ce qui motive sans doute que ce nom humaine ça résonne comme humeur malsaine, il y a un reste, ça fait malheur oui 146. Cette réduction cest le terme par où lÉglise entend porter lespèce justement jusquà la fin des temps. Et elle est si fondée dans la béance propre à la sexualité de l être parlant, quelle risque dêtre au moins aussi fondée, disons parce que quand même je veux pas désespérer de rien, aussi fondée que lAvenir de la science 147cest le titre, vous savez qua donné à un de ses bouquins cet autre cureton qui sappelait Ernest Renan et qui était un serviteur de la vérité lui aussi à tout crin. Il nen exigeait quune chose et ça cétait absolument premier, sans ça cétait la panique, cest quelle n ait aucune conséquence ouais oui.
Léconomie de la jouissance, voilà ce qui nest pas encore près du bout de nos doigts, il est important tout de même ça aurait son petit intérêt quon y arrive. Mais vous dire ce quil en est de ce quon peut en voir à partir du discours analytique, cest que peut-être on a une petite chance de trouver de temps en temps,
par des voies essentiellement contingentes
et cest pourquoi si mon discours daujourdhui nétait pas quelque chose absolument entièrement négatif, je tremblerais dêtre rentré dans le discours philosophique
mais quand même il y a une voie
puisque déjà nous avons vu quelques sagesses qui ont duré un petit bout de temps, pourquoi est-ce quavec le discours analytique, on ne trouverait pas quelque chose qui donnerait aperçu dun truc précis
et après tout quest-ce que lénergétique si ce nest aussi un truc mathématique.
Celui-là sera pas mathématique, cest bien pour ça que le discours de l analyste se distingue du discours scientifique.
Enfin, cette chance, mettons-là sous le signe dau petit bonheur, encore.
Notes
141 Queneau R., Le dimanche de la vie, Paris, Folio Gallimard, 1995.
142 Freud S., Trois essais sur la théorie du sexuel, Paris, La Transa, 1982.
143 Lacan J., Dun discours qui ne serait pas du semblant, séminaire de 1971.
144 Lacan fait une erreur. Il sagit dHéraclite. Héraclite, Les Présocratiques, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p.167 B XCIII.
145 Lacan hurle « horreur ».
146 La réduction dont parle Lacan est une opération littérale et de traficotage : à partir de « humeur malsaine » en enlevant ma-leur, il reste hum-aine avec le s qui se barre: hum eur mal s aine.
147 Renan E., Lavenir de la science, Paris, Garnier Flammarion, 1995.