Mardi 10 avril 1973
Je ne vous parle guère de ce qui paraît, quand il sagit de quelque chose de moi, dautant plus que il me faut en général assez lattendre pour que, pour moi, lintérêt sen distancie. Mmh. Néanmoins, il ne serait pas mauvais pour la prochaine fois qui sera le huit mai, pas avant, puisque le dix sept de ce mois sera en pleines vacances de Pâques, je vous préviens donc que le prochain rendez-vous est le huit mai. Il serait pas mauvais que vous ayez lu quelque chose que jai intitulé Létourdit, en l écrivant d-i-t, et qui part de la distance quil y a du dire au dit.
Quil ny ait dêtre que dans le dit cest une question, que nous laisserons en suspens. Il est certain que, quil ny a du dit que de lêtre, mais cela nimpose pas la réciproque. Par contre, ce qui est mon dire cest quil ny a de linconscient que du dit, ça cest un dire. Comment dire, cest là la question, on ne peut pas dire nimporte comment et cest le problème de qui habite le langage, à savoir de nous tous.
Cest bien pourquoi aujourdhui, et à propos de cette béance que j ai voulu exprimer un jour en distinguant de la linguistique ce que je fais ici cest-à-dire de la linguisterie, à savoir ce qui se fonde dans ce que je viens dénoncer tout dabord et qui est assuré, que nous ne pouvons traiter de linconscient quà partir du dit, et du dit de lanalysant. Cest bien dans cette référence que j ai demandé à quelquun qui, à ma grande reconnaissance a bien voulu y accéder cest-à-dire un linguiste de venir aujourdhui devant vous, et je suis sûr que vous en tirerez profit, de ce quil en est actuellement de la position du linguiste. Je peux même pas indiquer ce qui ne peut pas manquer dans un tel énoncé de vous intéresser, que quelquun mait écrit à propos de, dun article comme ça qui était paru quelque part, que quelquun mait écrit quil y a dans la position du linguiste quelque chose qui se déplace, cest ce que jai souhaité aujourdhui que quelquun vous informe, et personne nen est plus qualifié que celui que je vous présente, à savoir Jean-Claude Milner, un linguiste.
Jean-Claude Milner 135 De la grammaire, il y en a toujours eu, il y en a eu avant les modernes et il y en aura sans doute après nous. Pour la linguistique cest autre chose si lon entend par linguistique ce quil faut entendre, quelque chose dassez précis, cest-à-dire un champ, un discours qui considère le langage comme objet de science. Que le langage, peu importe le nom, que le langage soit objet de science, cest une proposition qui na rien de trivial et qui est même, dun certain point de vue, hautement invraisemblable. Néanmoins, une discipline sest constituée autour de cette hypothèse et on sait généralement à quel prix, par quelles voies cette discipline sest constituée.
Historiquement, et dun point de vue systématique, le départ cest le cours de linguistique de Saussure qui articule donc la linguistique comme science autour dun certain nombre de propositions enchaînées. De ces propositions, jen retiendrai trois pour, disons, résumer le premier abord de la linguistique prise comme science.
La première de ces propositions cest que le langage, en tant quil est objet de la linguistique, na comme propriétés que celles qui se déduisent analytiquement de sa nature de signe. Cette proposition peut sanalyser en deux sous-propositions. La première cest que le langage na pas de propriétés spécifiques par rapport à dautres systèmes de signes. La deuxième, cest que la notion de signe est essentielle à la linguistique. Autrement dit on peut définir la linguistique comme le type général de toute théorie des systèmes signifiants.
La deuxième grande proposition qui senchaîne à la première, cest que les propriétés de tout système de signes peuvent être décrites par des opérations assez simples, ces opérations étant elles-mêmes justifiées par la nature même du signe, essentiellement sa nature dêtre biface et dêtre arbitraire. Par exemple, parmi ces opérations, une qui est bien connue, la commutation. Ces opérations nont rien de spécifique au langage, elles pourraient être appliquées et ont été appliquées à dautres systèmes.
La troisième proposition cest que lensemble des propriétés de la langue, donc lobjet de la linguistique, ce quon peut appeler cet ensemble, ce quon peut appeler la structure est, en quelque sorte, de mêmes tissus que les données observables. Cette structure na rien qui soit caché, rien qui soit secret, elle soffre à lobservation et les opérations du linguiste ne font que élucider, expliciter ce qui est co-présent aux données elles-mêmes.
Ces trois propositions ont donné naissance à un type de linguistique bien connu, la linguistique structurale. Cest un fait important que ces trois propositions ont été, toutes les trois, réfutées. Autrement dit, dans le mouvement même de la linguistique considérée comme science, une autre hypothèse, une autre théorie du champ sest proposée qui sarticule par trois propositions également qui prennent le contre-pied de celles que je viens dénoncer.
Je commencerai par la dernière. Pour analyser, non première proposition de cette nouvelle théorie qui correspond au contre-pied de la troisième que jai énoncée précédemment, pour analyser une langue on a besoin de faire intervenir des relations abstraites qui ne sont pas forcément représentées dans les données elles-mêmes. Autrement dit, il ny a pas une seule structure qui serait co-présente aux données, mais il y a au moins deux structures, une qui est observable quon appelle la structure de surface, et lautre ou plusieurs autres qui ne sont pas observables dont la structure dite profonde.
Deuxième proposition articulée qui prend donc le contre-pied de la deuxième proposition structuraliste, ces deux structures, structure de surface et structure profonde, sont reliées entre elles par des opérations complexes, en tout cas trop complexes pour être tirées de la nature même du signe, par exemple ce quon appelle généralement les transformations. Et la première proposition structuraliste trouve son contre-pied dans la troisième proposition transformationnelle, transformationnaliste, ces transformations sont spécifiques au langage. Autrement dit, aucun système connu ne présente des opérations du type des transformations, autrement dit encore, il y a des propriétés spécifiques au langage.
Un corollaire que je nexplicite pas, dont je nexplicite pas les raisons, cest que la notion de signe comme telle nest aucunement nécessaire à la linguistique. On peut parfaitement développer la linguistique comme science sans faire usage de la notion de signe saussurien, de la notion de signifiant par opposition au signifié, ce qui, disons par parenthèse, rend quelque peu comique certaine assertion récente suivant laquelle cest du côté de la linguistique quil faudrait se tourner pour comprendre la notion de signifiant.
Ce changement, à lintérieur de la linguistique, a toutes les apparences extérieures de ce quon a appelé une refonte, cest-à-dire le passage dune certaine configuration du champ dune science à une autre configuration de ce champ, cette seconde configuration intégrant la première et la présentant comme un cas particulier de sa propre analyse. Et ainsi, la linguistique structuraliste est réfutée par la linguistique transformationnelle, mais en même temps elle y est intégrée puisque la linguistique structurale apparaît comme un cas particulier plus restrictif de la linguistique transformationnelle.
Loin donc ce passage dune linguistique à une autre puisse se qualifier comme une difficulté ou comme une crise, le fait que ce type de refonte soit possible paraît plutôt une preuve que la linguistique est bien intégrée au champ des sciences.
Voilà en gros la présentation la plus courante que lon peut faire du système de la linguistique. Ce que je vais essayer de montrer cest quen réalité la situation est toute différente, il ny a pas, dans les difficultés il y a premièrement des difficultés aujourdhui dans le champ de la linguistique, et ces difficultés ne se présentent pas comme les signes avant-coureurs dune refonte, cest-à-dire comme les signes avant-coureurs dune nouvelle figure de la linguistique qui intégrerait la précédente, mais comme les signes dune difficulté de fond, ce quon appelle couramment une crise, et j essaierai de vous montrer en dernier lieu le noyau, le principe de cette crise.
Je vais donc considérer successivement quelques problèmes de brouillage, dantinomie qui sont recouverts par la linguistique dite transformationnelle. La première sera lantinomie, la comment dire ? la possibilité de, d interpréter de deux manières différentes lopposition de la structure de surface à la structure de profondeur.
Pour présenter de façon simple le problème, on peut considérer que le donner à expliquer, pour une grammaire transformationnelle cest, mettons, un ensemble de phrases que lon considérera comme appartenant à un ensemble bien formé. Par exemple, je prends un exemple tout à fait abstrait, une phrase positive, assertive, active sera reliée et sera classée dans le même ensemble que la version négative de cette même phrase, dans le même ensemble que la version interrogative de cette même phrase et dans le même ensemble que la version passive de cette même phrase. On a donc un ensemble, on peut se poser des questions sur la façon dont lensemble sera construit, mais enfin, on a le deux. Eh bien, cet ensemble, on peut admettre que sil est bien formé, il se justifie par une propriété commune à tous les éléments de lensemble, opération très simple. Question : cette propriété commune est-elle une réalité ou un flatus vocis ? Autrement dit, linterprétation de cette proposition : il y a une propriété commune aux ensembles, aux phrases de lensemble peut avoir une version réaliste ou une version nominaliste. Si on adopte linterprétation réaliste, cela revient à dire que on a une réalité, que cette propriété commune est une réalité, cette réalité est de type langagier, linguistique, autrement dit que la propriété commune à toutes les phrases de lensemble se représentera sous la forme dune structure linguistique, cette structure étant évidemment qualifiée pour être la structure profonde des phrases appartenant à lensemble. À partir de cette structure, il suffira de construire un certain nombre de règles, des transformations qui permettront dobtenir donc, à partir de la structure commune, par une série dopérations différentes tel et tel élément différencié de lensemble initial. Autre interprétation, interprétation nominaliste, dans ce cas-là, il ny a aucune réalité qui représente la propriété comme telle, il ny a comme réalité que la classe que lon a pu construire, la classe de phrases que lon a pu construire et, de ce point de vue, le système transformationnel na plus de structure de départ sur laquelle il aura à opérer des modifications.
Deuxième divergence possible concernant les transformations elles-mêmes, disons lensemble de la grammaire dite transformationnelle : étant donnée une transformation ou étant donnée toute assertion grammaticale, de la théorie grammaticale, on pourra lenvisager soit en extension, soit en intention. Par exemple, en extension, une transformation consiste en une paire de phrases que lon affirme être liées, par exemple la phrase active et la phrase passive, et la transformation ne sera rien dautre que le couple que lon aura pu construire : phrase active phrase passive.
Si lon adopte le point de vue intentionnel, eh bien la transformation ne se réduit pas à la paire de phrases mais devient une propriété de cette paire qui ne se confond pas avec la paire elle-même. Cette opposition, cette divergence peut entraîner un certain nombre de différences tout à fait sensibles dans la théorie. Prenons par exemple une structure comme il en existe beaucoup dans les langues où la présence dun élément peut être prévue à partir de la présence dun autre. Par exemple, en français, il ny a pas darticle qui ne soit suivi, de près ou de loin, enfin immédiatement ou non, dun substantif. Autrement dit, lorsquon dit dune structure quelle comporte un article, on dit la même chose que lorsquon dit que cette structure comporte un article suivi dun substantif, bien évidemment. Autrement dit encore, la classe des séquences comportant un article est identique à la classe des séquences comportant un article plus un substantif.
Dans une approche extentionnelle, toute expression ayant la même extension quune autre expression peut être librement substituée à cette autre expression. Dans le cas particulier cela voudra dire quune expression du type structure comportant un article sera librement substituable à structure comportant un article plus un substantif.
Mais dans lapproche intentionnelle, il nest pas nécessairement vrai que deux expressions ayant la même extension soient substituables. Par exemple, pour prendre un exemple de Quine, entre la propriété être un animal marin vivant en 1940, et la propriété être un cétacé vivant en 1940, lextension pourra bien être la même, admettons, mais il nest pas évident pour autant que les deux propriétés soient les mêmes et soient substituables lune à lautre en préservant la synonymie des énoncés.
Par conséquent dans le cas qui nous occupe, il peut très bien y avoir une différence entre la propriété être analysable en un article, et la propriété être analysable entre article plus nom. Et lon peut parfaitement imaginer des règles qui seront correctement présentées suivant lune de ces propositions et ne le seraient pas suivant lautre de ces propositions.
Jacques Lacan mammifère !
Jean-Claude Milner Oui cest ça Mammifère, ah oui ! Pour être complet, il faudrait ajouter les pinnipèdes aux cétacés. Il y a deux, deux sous-groupes parmi les animaux mammifères marins.
Autrement dit, là encore on a une bifidité, un clivage entre deux interprétations possibles de la notion de transformation. En général, les théories linguistiques combinent le point de vue intentionnel sur les transformations et le point de vue réaliste concernant la structure profonde. Et celle qui adopte le point de vue extentionnel concernant les transformations adoptent le point de vue nominaliste sur la structure profonde. Je ne mattarderai pas sur ce fait, il nest sûrement pas dû au hasard, je prendrai simplement la situation telle quelle est.
On a donc deux possibilités pour la théorie linguistique transformationnelle, dune part être intentionnelle réaliste, et dautre part être extentionnelle nominaliste.
Si on adopte le point de vue extentionnel réaliste, le point de vue extentionnel nominaliste, pardon, la structure profonde devient, étant simplement une classe, les règles de la grammaire étant purement extentionnelles sont elles aussi purement des classes, autrement dit les démonstrations de cette théorie consisteront tout simplement à trouver des procédures de construction des classes bien formées. Et on aura démontré une thèse dans cette grammaire si lon a trouvé la procédure constructiv e, effective, permettant de montrer que la classe visée est bien formée, est exhaustive, etc..
Inversement dans lautre hypothèse, la version donc intentionnelle nominaliste 136, la structure profonde est une structure réelle et cest de plus une structure cachée. Pour la reconstituer, on est obligé de sappuyer sur des indices donnés par lobservation. Dautre part, les transformations sont formulées en termes de propriétés, essentiellement à partir de lénoncé suivant, le principe suivant : deux phrases sont en relation de transformation si elles ont les mêmes propriétés. Il faudra donc toute une série de raisonnements montrant que telle propriété est bien représentée sur deux phrases, que cette propriété est la même dans les deux cas, que dautre part le fait que cette propriété soit la même est un argument suffisant pour combiner les deux phrases par une transformation, etc..
Autrement dit la forme de la démonstration sera non pas de lordre de la construction des classes mais de lordre de largumentation à partir dindices ou à partir de réseaux. Le type de certitude dans un cas sera donc de lordre des dénombrements exhaustifs, dans lautre cas il sera de lordre des raisons combinées de la force relative des indices, etc.
Conclusion, il ny a pas, de même quil ny a pas donc une interprétation univoque des notions fondamentales de la linguistique, de même il ny a pas de type unique de démonstration et de certitude.
Est-ce que, néanmoins, on peut maintenir que sur la notion de propriété du langage, nous avons vu quelle était singulière dans la théorie transformationnelle, est-ce que lon peut dire qu il y a accord ? Le problème est dimportance dans la mesure où, si lon admet que le langage a des propriétés spécifiques, lobjet de la linguistique sera évidemment de découvrir ces propriétés spécifiques, et il ne peut pas y en avoir dautres. Si donc il apparaît que sur la notion de propriété du langage il y a ambivalence, ambiguïté, on en sera amené à conclure quil ny a pas de notion univoque de lobjet de la linguistique.
Eh bien en fait, on peut effectivement montrer quil y a ambivalence de la notion même de propriété.
Prenons lexemple des transformations. Cest une spécificité, admettons-le, des systèmes linguistiques, que dêtre articulables en termes de transformations. Eh bien il existe une interprétation suivant laquelle on dira : ce qui me garantit que cest une propriété cest justement que lon puisse imaginer a priori toute une série de systèmes formels non pourvus de transformations, autrement dit a priori rien ne mempêche de représenter un système par des transformations, mais en fait, eh bien cest comme ça, il y a des transformations en des noms. La notion de propriété est alors liée au cest comme ça, à lindéductible a priori et à lobservable a posteriori. Cest en particulier la position de Chomsky, et pour ceux qui pratiquent les raisonnements, enfin les argumentations, les discussions de la grammaire du type chomskien, ils reconnaîtront très fréquemment des arguments du genre : il ny a aucune raison a priori pour que telle structure soit présente dans les langues, or elle y est présente, donc jai une propriété, et ayant une propriété reconnaissable à ce critère quelle est indéductible a priori, j ai atteint la thèse ultime de ma théorie et jai atteint mon objet.
Mais on peut imaginer une interprétation tout à fait différente qui dira : eh bien il ny a aucune raison de ne pas appliquer le principe de raison au phénomène que lon a découvert, par exemple lexistence des transformations, et lon cherchera à dire : eh bien sil y a des transformations dans les langues, eh bien cela tient à leur essence quelle que soit cette essence, par exemple celle dêtre des instruments de communication, ou par exemple celle de représenter des situations objectives ou toute essence quon pourrait simaginer de ce côté là. Peu importe le détail, ce qui est important cest que dans une interprétation de ce genre, le critère dune propriété ce nest pas quelle soit indéductible a priori, mais cest quelle soit au contraire déductible à partir dun principe fondamental qui articulerait n est-ce pas, qui formulerait lessence même de la langue prise comme telle.
Vous voyez que dans ce cas là on a deux théories linguistiques tout à fait différentes et que lobjet de la linguistique ne se formulera pas du tout de la même façon, puisque dans un cas l objet de la linguistique sera denregistrer, de chercher à découvrir tout lensemble des propriétés en quelque sorte inexplicables, a priori, des langues que lon peut simplement enregistrer comme des données, dans lautre cas lobjet de la linguistique sera dessayer de ramener lensemble des propriétés que lon aura pu découvrir objectivement à une essence du langage quelle quen soit la définition.
Eh bien, me semble-t-il, lorsque dans une théorie, on a divergence sur lobjet, quon a divergence sur la nature des démonstrations sur la nature de la certitude, il y a manifestement quelque chose qui est en cause. Eh bien si lon observe ce qui se passe, on saperçoit que, pour choisir entre les diverses interprétations, à chaque moment de lambivalence, des ambivalences successives, le linguiste, les linguistes nont dautre principe, en tout cas quon puisse reconnaître, que leur propre vision du monde. Ils choisiront par exemple sur le dernier point lhypothèse de l inexplicable a priori ou au contraire de lexplicable a priori uniquement en fonction de leur conception du principe de raison. Et ainsi de suite, concernant le choix entre le nominalisme ou le réalisme, bien des discussions de cet ordre reviennent simplement à une sélection en termes de vision du monde : quest-ce que je préfère, le nominalisme ou le réalisme ? Ou, quest-ce que je préfère, lextension ou lintention ? Ceci peut être masqué par un certain nombre dassertions sur la nature de la science qui doit être ou mesurable ou pas mesurable etc., peu importe, le fond cest une question de vision du monde.
Il me semble que lon peut avancer sans linvraisemblance la thèse que lorsque dans un champ appartenant à la science, la sélection entre des théories concurrentes se fait en termes de vision du monde, on peut appeler ça une crise. Eh bien cette crise on pourrait simplement la constater, il me semble que le noyau, le principe fondamental peut néanmoins en être articulé plus précisément.
Quelque chose est en cause en ce moment dans le système de la théorie linguistique qui met en question sa nature même de science. Entre le passage, disons dans le passage du saussurisme au transformationnalisme, dont nous avons vu qu il repose sur des inversions de propositions, il y avait quelque chose que je nai pas décrit, qui est resté intangible, cest ce que je pourrais appeler le modèle du sujet syntaxique. Quest-ce que cest que ce modèle, eh bien Saussure le décrit de façon très simple, cest une relation à deux termes entre le locuteur et linterlocuteur. On connaît, tout le monde connaît le schéma saussurien : on a un point de départ qui est A, un point darrivée qui est B. Le propre de ce modèle cest que un interlocuteur ne fonctionne comme tel dans le système que sil prouve quil a la capacité dêtre à son tour un locuteur à un autre moment du système. Autrement dit on a deux termes qui sont symétriques et différents, à peu près comme la main droite et la main gauche, mais qui sont, comme la main droite et la main gauche, dun certain point de vue, homogènes. Et lon peut parler de linterlocuteur ou du locuteur linguistique au singulier, ayant comme propriété distinctive de se rédupliquer dans la réalité, dans la réalité des corps, de même que lon peut parler de la main au singulier, dont chacun sait que la propriété de se rédupliquer dans le corps humain. Eh bien ce passage, enfin cette structure, ce modèle est absolument inchangé dans le chomskisme, la référence que Chomsky dailleurs fait à Saussure sur ce point est explicite, et lon peut montrer de façon assez simple que, en dehors dun tel modèle, lintégration du langage à la science, au champ de la science, est absolument impossible.
La question qui se pose ça nest pas tellement de savoir quest-ce quon fait tomber lorsque lon propose un tel modèle, parce quaprès tout pratiquement on peut montrer sur tous les discours scientifiques quils payent un certain prix qui est le prix de leur scientificité. Ça nest pas là le problème, le problème cest de savoir si dans le mouvement même de son exploration positive du champ des phénomènes langagiers, donc en sappuyant sur ce qui rend possible cette exploration positive, donc ce modèle, la linguistique nest pas amenée à être confrontée devant des données qui sont proprement inexplicables, impossibles à élucider si elles continuent de sappuyer sur ce modèle. Autrement dit le point cest de savoir si dans le mouvement même de son exploration scientifique, la linguistique ne rencontre pas de quoi dissoudre ce qui avait rendu cette exploration scientifique possible.
Eh bien, sans entrer dans les détails, il semble que cest bien là la situation.
Autrement dit, on peut montrer, on pourrait montrer que la linguistique, et cest en ce moment que cela se passe, est mise en passe par simplement le mouvement de son exploration syntaxique, donc la plus positive possible, est mise en passe de phénomènes incontournables et dont la pure syntaxe, la syntaxe fondée sur la formalisation si jose dire, sur le, disons le formalisme, dont la pure syntaxe ne peut pas rendre compte si elle continue à poser deux sujets absolument symétriques, absolument homogènes l un à lautre dont lun sera le locuteur et lautre linterlocuteur. Je renvoie sur, pour une illustration de ce genre de problème, au récent livre de Ducrot Dire et ne pas dire 137, qui montre à lévidence quil y a toute une série de phénomènes parfaitement repérables en termes positifs, qui se repèrent en termes de structure grammaticale, de mots, de choses tout à fait enregistrables par des données, que tous ces phénomènes ne peuvent pas être compris si lon ne pose pas au moins deux sujets, hétérogènes lun à lautre, dont lun exerce sur lautre ce que Ducrot appelle une relation de pouvoir, un exercice de pouvoir.
Autrement dit, le point de la crise cest que pour continuer lexploration quelle est nécessitée à faire, de par sa définition même, cest-à-dire comme intégration du langage au champ des sciences, la linguistique doit maintenant, est en passe de payer un prix qui lui est impossible de payer, parce que si elle le paye cest en fait sa déconstruction en tant que science qui commence.
Comme, que dire pour conclure, eh bien, quelque chose comme ceci cest que le jour approche où la linguistique, et cest déjà présent chez Ducrot, commence, commencera à se percevoir comme contemporaine de la psychanalyse, mais que il n est pas évident que ce jour venu, la linguistique soit toujours là pour le voir.
Jacques Lacan Bon, euh alors Je serais très heureux de concentrer aujourdhui les interventions que, que je puisse souhaiter. Euh. Je pense que François Récanati va bien vouloir, puisque en somme lorateur qui le précède est resté dans des limites de temps très étroites à son intention je serais heureux de savoir ce quil peut apporter aujourdhui comme contribution.
François Récanati 138 Je ne reviendrai pas sur ce qui vient dêtre dit. Je pense quun certain temps de méditation est un peu nécessaire. Mais il me paraît évident que ce qui a été présenté ici comme conception du monde réglant dune certaine manière le destin actuel, cest-à-dire non pas lévolution de ce qui se présente comme science, comme la linguistique, ces choix qui doivent se faire entre nominalisme et réalisme dune part, et d autre part deux principes de raison, ou plutôt un principe qui est lindéductibilité a priori et lautre le vieux principe de raison, ceci précisément relève dune certaine manière de ce quon peut appeler linguisterie, mais à un niveau en quelque sorte où cest ces choix qui se constituent, dans la mesure où ils sarticulent, ces choix se constituent comme objets.
Et dune certaine manière, ce que je vais dire là qui nétait pas prévu pour sarticuler à ce qui vient de se dire, néanmoins ça aura un certain rapport avec la possibilité de ces choix, avec le fonctionnement de quelque chose comme justement lindéductibilité a priori fonctionnant comme principe de raison.
Ceci peut-être apparaîtra-t-il tout seul, je ne chercherai pas particulièrement à le montrer. En général, je signale que ça va avoir trait à tout ce qua développé ces derniers temps Lacan à propos du pas toute et de la jouissance féminine, et que plus particulièrement il sagit dune question que je voudrais poser, et afin de la poser, je vais tâcher de lillustrer, ce qui ne va pas sans risque dans la mesure où précisément il sagit du mode de figuration possible dun rapport, et que cette illustration que je tâcherai peut-être un peu métaphoriquement de donner, dune certaine manière peut-être empiète-t-elle un peu sur le fait même de cette figuration que jattends. Je vais dabord tracer un schéma :
SCHÉMA 1
SCHÉMA 2
Oui jen ai un autre mais il va venir un peu plus tard ! Alors la question que jai posée au docteur Lacan et quici je vais illustrer, cest précisément celle-ci : comment articuler le rapport entre la fonction père dune part, la fonction père comme supportant luniversalité de la fonction phallique chez lhomme, et dautre part la jouissance féminine supplémentaire qui sépingle de ce LS (A) constituant ce quon pourrait appeler linuniversalité ou plutôt linexhaustivité, et ce nest pas exactement le même sens, de la femme au regard de F ainsi que sa position dans le désir de lhomme sous les espèces de lobjet petit a.
Comment figurer ces deux termes dont la biglerie, a dit Lacan, est quils se conjoignent tous deux au lieu de lAutre ? Comment peut-on les figurer ? Et dautre part, peut-on dire queffectivement, cest à peu près la même chose que la première question, queffectivement ils soient deux si tant est que, si Régine avait un Dieu, peut-être nétait-il pas le même, certainement pas le même que celui de Kierkegaard. Mais dautre part, a dit Lacan, il nest pas sûr non plus que on puisse dire quils étaient deux.
Je vais donner là quelques jalons qui seront pas exactement des jalons pour labord de cette question que je pose, mais plus précisément pour labord que je voudrais éviter. Dans la mesure où, dès quil est question du pas toute, je crois quil y a deux manières de lenvisager, et que précisément une de ces manières est complètement silencieuse dans la mesure où dès quon y accède, en quelque sorte, il y a un silence, il nen est plus question, et une autre de ces manières évacue en quelque sorte le problème, et cest la manière qui évacue que je vais d abord, par certains jalons, rappeler pour montrer quelle laisse tout à fait intacte la question de la jouissance féminine.
Vous vous souvenez que ce il existe x qui dise non, tel que non phi de x (:!), cest ce qui permet à luniversel pour tout x phi de x (" x F x) de tenir. Cest la limit e, cest la fonction bordante, cest lenveloppement par le Un qui permet à un ensemble de se poser en rapport à la castration.
Selon une symétrie inversée, et qui nest dailleurs pas une symétrie, cest parce que rien chez la femme ne vient dire non, ne vient dénier la fonction F que rien précisément de décisif ne peut chez elle sinstaurer. Dans la mesure où il nexiste pas dx tel que non phi de x (/§ ), la femme étant à plein dans la fonction F, elle ne se signale que par ce qui de supplémentaire dépasse cette fonction. Rien nobjecte à la fonction F, cest-à-dire il nexiste pas dx qui dise non à phi de x (/§) implique que la femme se situe par rapport à autre chose que la limite de luniversel masculin qui est la fonction père : il existe x tel que non phi de x (:§). Cette autre chose sépingle de son rapport à lAutre comme barré, A . Au regard de la fonction F, la femme ne peut sinscrire que comme pas toute.
Mais ce il existe x tel que non phi de x (:§) est dans la position dune altérité radicale par rapport à F, dans une position décrochée, certes cest une existence nécessaire, mais elle se pose aussi bien nécessairement en dehors du champ couvert par F.
Dans la fonction père, la fonction F, dans la mesure où cest sur elle que porte la négation, est vidée de ne pouvoir plus sindicier daucune vérité logique.
A lopposé, dans il nexiste pas dx tel que non phi de x (/§), la fonction est plus que remplie, elle déborde, et le jeu du vrai et du faux de la même façon est rendu impossible.
Dans les deux cas que je voudrais signaler comme étant les deux cas dexistence, lexistence est dans une position excentrique par rapport à ce qui dans F a valeur régulatrice, cest-à-dire la fonction de vérité qui peut sy investir.
Ce qui se joue, ai-je dit, entre il existe x tel que non phi de x (:§) et dautre part il nexiste pas dx tel que non phi de x (/§) cest lexistence, et lexistence se pose dans ce double décrochement de par rapport à F.
Lexistence sort certainement de la contradiction entre les deux, entre la fonction père et entre ce quon pourrait dire peut-être la fonction vierge, cest-à-dire il nexiste pas dx tel que non phi de x (/§). Les deux se signalent par leur inessentialité au regard de F. Lun ne peut pas sinscrire dans F, lautre ne peut pas ne pas sy inscrire. Dun côté le nécessaire il existe x tel que non phi de x (:§), de lautre je dis là limpossible pour aller vite, en fait il y aurait une variante à y ajouter : il nexiste pas dx tel que non phi de x (/§). Limpossible est bien plutôt ce qui se passe entre les deux, et il nexiste pas dx tel que non phi de x (/§) pourrait sappeler l impuissance si ce terme navait pas déjà servi à dautres fins.
La disjonction entre les deux est radicale. Tous deux ne sont pas décrochés lun davec lautre, mais tous deux sont décrochés par rapport à F, et les deux décrochements eux-mêmes sont en discordance. En aucune façon ils ne sont commensurables.
On peut même dire plus : tant que L femme, L femme toujours ce la barré, reste définie par ce il nexiste pas dx tel que non phi de x (/§) elle se situe entre zéro et un, entre centre et absence, et nest pas dénombrable. Elle ne peut en aucune façon saccrocher au Un du il existe x tel que non phi de x (:§), même pas de la façon déjà tordue dont le pour tout x phi de x (" x F x) sy accroche, pour tout x phi de x (" x F x) si jai appelé il existe x tel que non phi de x (:§) le Un, pourquoi ne pas lappeler le zéro, donc même pas de la façon déjà tordue dont le zéro sy accroche, cest-à-dire par ce que jai appelé là le déni.
Cest ici quil faut situer, à regarder le schéma dà côté, la vérité quil ny a pas de rapport sexuel, mais ce pourquoi jai avancé ceci était afin de marquer que lexistence ne se pose par rapport à F que dans cette altérité. Et le fait que lun et lautre, existence et altérité, soient à ce point dissociables, implique les errements qui vont suivre, notamment le destin du désir de lhomme.
Si lon examine maintenant les rapports verticaux entre les formules, et en reprenant ces marques que jai dites zéro et Un, le Un du il existe x tel que non phi de x (:§ permet par sa nécessité, à pour tout x phi de x (" x F x), de se constituer comme possible, disons au titre de zéro.
Il nen va absolument pas de même de lautre côté malgré la symétrie apparente, car de lautre côté cest du il nexiste pas dx tel que non phi de x (/§ ) que sorigine pas tout x phi de x (.§). Or ici, cest bien plutôt le il nexiste pas dx tel que non phi de x (/§) qui joue le rôle de l indéterminé, cest-à-dire du zéro avant sa constitution par le Un, cest-à-dire dune sorte de non-zéro, de pas tout à fait zéro. Et de ce point de vue là, cest le pas tout x phi de x (.!) qui jouerait, au conditionnel, le rôle du Un, cest-à-dire la possibilité, louverture de quelque chose comme une supplémentarité, dun Un en plus possible. Mais bien sûr, ce pseudo Un en plus sabîme immédiatement dans lindétermination du il nexiste pas dx tel que non phi de x (/§) quaucune existence, aucun support ne vient soutenir, quaucun dire-que-non ne vient soutenir.
Tant quaucun x ne viendra nier phi de x pour L femme, le Un en plus dont le « pas tout » se sent porteur reste fantomatique. Aucune production nest possible à partir du il nexiste pas dx tel que non phi de x (/§), mais seulement une circulation de lindéterminé initial.
Entre les deux termes il nexiste pas dx tel que non phi de x (/§) et pas tout x phi de x (.!), il y a lindécidable. Lindécidable en question se cristallise de la façon suivante : la femme napproche pas lUn, elle nest pas lUn, ce qui nimplique pas quelle soit lAutre. En un mot, elle est dans un rapport indécidable à lAutre barré, elle nest ni lUn ni lAutre, avec deux majuscules. Le pas toute est supporté par le pas Un. Puisque il neiste pas d x tel que non phi de x (/§) ça ne veut pas dire autre chose que pas Un. Et le tout homme, le " x F x, qui lui se supporte justement du Un, de lexistence de ce Un du il existe x tel que non phi de x (:§) le tout homme se sert de L femme en tant que pas toute pour avoir précisément rapport à lUn, ou plutôt rapport à lAutre, selon un procédé tout à fait particulier.
Puisque le Un est banni de son tout dans le temps qui le constitue, il considère les deux comme antinomiques en répétant une négation, alors que cette négation porte sur ce que jappellerai un complexe, cest-à-dire le complexe de lexistence et de laltérité et toujours elle se voit déplacée de par rapport à la visée du " x. Il croit, à travers le pas toute de L femme, retrouver lAutre, alors quen aucune manière on ne peut identifier les deux négations de lUn. Car dun côté cest lexistence nécessaire du Un qui fonde, qui borne lespace du " x, tandis que de lautre cest linexistence, cest la négation de lexistence du Un qui supporte lindécidable de la relation de L femme à lAutre barré.
Cest ici que se situe la relation imaginaire de lhomme à la femme. Lhomme comme " x est en proie constituante à laltérité de lexistence du Un. Nous avons vu que les deux sont indissociables. En répétant le détachement constitutif du il existe x tel que non phi de x (:§), mais à lenvers, se crée en quelque sorte le modèle imaginaire dun Autre de lAutre et, dans ce temps en quelque sorte intermédiaire, la femme est pour lhomme le signifiant de lAutre en tant quelle nest pas toute dans la fonction F. Cest-à-dire quun rapport est sur le point de sétablir entre ce tout et ce pas toute, mais entre tout et pas toute, entre le tout homme et le pas toute de L femme, il y a une absence, il y a une faille qui est nommément labsence de toute existence qui supporte ce rapport. Lhomme nappréhende L femme que dans le défilé des objets petit a, au terme de quoi seulement est censé se trouver lAutre. Cest-à-dire que cest après lépuisement du rapport à L femme, cest-à-dire après la résorption impossible des objets petit a que lhomme est censé accéder à l Autre, et par la suite L femme devient le signifiant de lAutre barré comme barré, de lAutre barré en tant que barré, cest-à-dire de ce cursus infini.
Jacques Lacan Vous nous avez indiqué, de ce ?
François Récanati cursus infini. Le fantasme de Don Juan, je ne le cite que pour ce qui va venir, illustre très bien cette quête infinie et son terme hypothétique aussi bien, soit précisément le retour dune statue, de ce qui ne devrait nêtre que statue à la vie, et le châtiment immédiat pour lauteur du réveil.
Javais posé une question en quelque sorte subsidiaire au docteur Lacan à propos du rapport entre la jouissance de Don Juan présentée comme ceci, et dautre part la fonction constituante de ce quil a appelé la jouissance de lidiot, cest-à-dire la masturbation.
Dans ce développement que je viens de résumer, certes il est question du pas toute, mais cest plus précisément de la fonction de ce pas toute dans limaginaire masculin, si lon peut sexprimer ainsi, quil sest agi, alors que ma question initiale, que je maintiens, portait sur le rapport entre la jouissance féminine supplémentaire et la fonction père du point de vue de L femme, ce qui, dune certaine manière, pose avant tout lautre question : y a-t-il un point de vue de L femme, ce qui en pose encore une autre : peut-on parler de perspectives en psychanalyse, y a-t-il des points de vue, notamment quen est-il de limaginaire chez la femme, puisque son rapport au grand Autre napparaît privilégié que du point de vue de lhomme qui la considère comme le représentant, sil ne les confond pas tous les deux ?
Peut-être, bien sûr, cette question est celle qui na pas de réponse, ce qui, si cétait décidable, serait certainement fructueux en ce sens quon pourrait au moins détecter les réponses qui sont fausses.
L femme comme pas toute, nous lavons vu, cest le signifiant du complexe : existence, Un, Autre, Autre barré bien sûr, pour lhomme. La triade du désir de lhomme peut ainsi sécrire avec le triangle sémiotique, et cest mon troisième schéma.
Si jai pris ce schéma là cest parce que vous vous souvenez j espère de ce quil supporte, donc je naurai pas à y revenir et je pourrai me contenter dun certain nombre dallusions, non pas que je transporte les termes du problème dans la configuration sémiotique pour y voir en quelque sorte ce qui reste posé comme problématique à lendroit de la jouissance féminine.
Mais je veux quand même prendre quelquun, quon peut appeler un sémioticien, disons que cest un des plus importants théoriciens modernes de larbitraire du signe, je veux parler de Berkeley. Que dit-il ? qu il y a du langage, cest-à-dire des signifiants, qui ont des effets de signifié. Or à partir du moment où ils ont des effets de signifié, ce qui ne va pas du tout de soi pour Berkeley, ces signifiants, quand Berkeley dit signifiant, enfin quand il ne le dit pas mais quand je le dis à sa place, ça veut dire nimporte quoi, chose, etc., ces signifiants sont tenus de déployer, dès lors quils ont des effets de signifié, leur existence ailleurs que sur la scène du signifié. Lévacuation matérielle des signifiants permet aux signifiés de continuer leur ronde.
La chaîne signifiante est leffet, toujours selon Berkeley, de la rencontre fortuite , la chaîne des signifiés, peut-être nai-je pas dit, jai dit des signifiants, la chaîne des signifiés est leffet de la rencontre fortuite entre la chaîne des signifiants dune part et dautre part quoi, certainement pas la chaîne des signifiés puisquon voit quelle en est originaire, mais bien plutôt ce quon pourrait appeler les sujets, cest-à-dire ce qui devient, à partir de cette rencontre, des sujets, et qui nétaient jusque là que des signifiants comme les autres. Dès que des signifiants rencontrent des sujets, cest-à-dire dès quil y a production de sujets par un choc de signifiants, ceux-ci sont décalés, les sujets sont décalés par rapport à lexistence qui est lexistence matérielle des signifiants. Ils cessent de participer de la vie matérielle des signifiants pour rentrer dans le domaine du signifié, cest-à-dire pour être assujettis aux signifiants qui, comme on la vu, leur sont devenus excentriques et ina ccessibles.
La perte des signifiants pour le sujet borne lespace de ce que Berkeley appelle la signification, signification qui suniversalise. Du point de vue universel de la signification, lévacuation du signifiant dans ses effets est quelque chose dabsolument nécessaire, cest un a priori du champ de la signification. Mais du point de vue du nécessaire lui-même, cest-à-dire du signifiant, rien nest plus contingent, rien nest plus supplétif que la signification elle-même. Du point de vue de la nécessité intrinsèque du signifiant, la signification est même impossible, cest le mot quemploie Berkeley, cest-à-dire quelle est sans aucun rapport avec la raison interne du signifiant. Mais cette impossibilité se réalise quand même. De même, dit Berkeley à la première page du Traité sur la vision, la distance est imperceptible et pourtant elle est perçue.
La distance est imperceptible, cest-à-dire que rien, dans le signifiant distance ne nousmène, à écrire en un seul mot comme vous le faites, ne nousmène à la signification de cette distance, cest-à-dire à lexclusion interne du sujet à ce signifiant, le signifiant distance. Rien ne nous y mène. La distance est imperceptible, et néanmoins elle est perçue. Comment comprendre cela sinon, à la façon de Berkeley, suivant un schéma triadique ?
Du point de vue de la signification comme donnée, le détachement directif du signifiant est quelque chose de nécessaire, du point de vue du signifiant lui-même, son expansion en signification est absolument impossible. Il y a là une disjonction à quoi Lacan nous a habitués, celle du pas-sans, cest-à-dire pas lun sans lautre, mais lautre sans lun. Vous vous souvenez que lexemple qui était donné de cette troisième figure de la disjonction était la bourse ou la vie, cest-à-dire il ny a pas lun sans lautre, mais lautre sans lun.
Cette figure que Berkeley a remarquablement isolée, il lappelle larbitraire, cest larbitraire des signes qui nest autre, dit-il, que larbitraire divin. Bien plus : larbitraire des signes est une preuve, pour Berkeley, de lexistence de Dieu, cest même la preuve fondamentale de son système. Quelque chose est impossible et pourtant cest effectif. Cela signifie que la conjonction de limpossibilité et de la réalité effective, qui est lespace humain, est une manifestation de la Providence, cest tout à fait providentiel que ces deux trucs divergents se réunissent quand même, et que linterprétation de ce rapport, interprétation de ce rapport suivant le schéma triadique, cest-à-dire deux termes posés ici et cette interprétation infinie, à son terme inaccessible, conduit à Dieu. Mais aussi, et pour des raisons évidentes, lhomme ne peut en aucune manière mener à son terme cette interprétation infinie qui serait une transgression de son espace, puisque lui-même est originaire, en quelque sorte, du mouvement de la convergence de ces deux termes posés au départ comme séparés. Tout ce quil peut faire est didéaliser un point de convergence et den former ce que Berkeley appelle une idée de Dieu.
Nous nous trouvons maintenant en présence dun système quaternaire qui est le classique système quaternaire du signe dont javais déjà parlé. Les quatre termes sont là : le signifiant matériel dune part, le signifié dautre part, lidée de Dieu, et Dieu.
Le signifiant, je résume un peu les positions de Berkeley, le signifiant cest le matériel, lêtre ponctuel de la chose brute. Le signifié
Jacques Lacan lêtre ponctuel ?
François Récanati de la chose brute. Le signifié cest lappropriation distanciée du matériel idéalisé, corrélative du détachement limite de la perte du signifiant, cest le langage, le langage compris dans ses effets, bien sûr, la temporalité opposée à la ponctualité. Dieu cest la ponctualité temporelle, la temporalité condensée, cest léternité, lépanouissement supérieur des contradictions. Quant à lidée de Dieu cest le signifiant de léternité, cest-à-dire la renonciation au langage par le langage, la prise en vue temporelle de léternité. Cest linstant mystique de la grâce, la répétition de la renonciation au signifiant, en renonciation à cette renonciation même. Cest un déni de la temporalité qui est présentée comme si elle nexistait pas. Cest-à-dire que la prise en vue langagière de léternité se veut absente de léternité représentée, tout en étant bien sûr assez présente pour que celle-ci, cest-à-dire léternité représentée, vaille comme pseudo-transgression comme le prouve assez que, de cet instant mystique, de cet instant supérieur de la grâce, on en jouisse. Or linstant de la grâce cest très exactement la représentation, du point de vue temporel du langage, de la ponctualité perdue du signifiant.
Jacques Lacan de la ?
François Récanati de la ponctualité perdue du signifiant. Luniversel du langage et de la signification ne tient même que par cette traduction ratée du ponctuel sans cesse recommencée. Cest ici que se résoud le paradoxe de limpossible au réalisé, et il se résoud dune façon qui a marqué la philosophie moderne, qui est le fait en partie de Berkeley, en partie également de Locke.
Le ponctuel ou le signifiant ne peut pas avoir de rapport à ce qui serait le temporel ou le signifié. Ce rapport, dans la mesure où ils nont rien de commun, est impossible. Mais ils peuvent avoir un rapport à ce rapport lui-même. Or quest-il, ce rapport, sinon limpossibilité ? Cest-à-dire que les figures imaginaires de la mystique ne sont ainsi que la série limite des représentations perverses de cet impossible quenrobe le langage, cest-à-dire de ce trou qui passe entre luniversel de la signification et la corporalité fermée du signifiant.
LAutre barré apparaît donc comme le point de convergence de la série des figures de labsence de lUn existant, la série de la dérive, en quelque sorte, de la fonction père, la dérivation infinie de ses effets à partir dune rupture initiale.
Le trajet du mystique vers Dieu cest donc lépuisement impossible de ce qui déjà, entre l universel et lexistence exclue qui le fonde, entre le zéro et le Un, de ce qui déjà y passe.Or bien sûr
Jacques Lacan entre le zéro et le Un ?
François Récanati de ce qui déjà passe entre l universel et lexistence, entre le zéro et le Un. Javais oublié le verbe, je lai réintroduis ! C est bien sûr là puisque je parle de zéro et de Un pour vous faire sentir une analogie, cest bien sûr là que le mystique rencontre L femme, comme signifiant justement de ce pas toute qui supporte sa quête. Mais on voit que ça na strictement rien changé à ce nouveau développement, et que la question se repose telle quelle était initialement, cest-à-dire quest-ce donc que cette jouissance féminine supplémentaire, à part le signifiant de ce fatum masculin ?
On peut prendre les choses dun autre biais pour voir que toujours la question
Jacques Lacan à part le signifiant de ce ?
François Récanati fatum masculin. La question dun autre biais, en considérant peut-être quelque chose qui, on est déjà approché de la mystique, et qui va nous servir, je veux parler de Kierkegaard et de son histoire avec Régine. Peut-être aussi Régine avait-elle un Dieu, nous a dit Lacan, qui aurait été autre que celui de Kierkegaard. Ce qui va de soi, cest que ce nest pas Kierkegaard qui nous le dira, mais à prendre en quelque sorte sa position à lui, telle quil la longuement développée, on pourra voir la place quil réserve à Régine, et que cette place nest pas si erronée quelle y paraît.
Jacques Lacan nest pas ?
François Récanati si erronée quelle y paraît. Il faut, dit-il, se situer, cest Kierkegaard qui dit ça, se situer ou bien dans la perspective temporelle, ou bien dans la perspective éternelle. Cette distinction prend ses effets dans la temporalité même, cest-à-dire dans la vie sociale, cest-à-dire par rapport à ce quil appelle la masse. Soit on est un simple individu et lon se reconnaît comme participant de la masse, de lordre établi, et grâce à cette reconnaissance, on sévite dêtre confondu avec elle, soit on est ce que Kierkegaard appelle de différents noms, soit génie, soit individu particulier, soit individu extraordinaire, soit lon est un individu extraordinaire et alors on a le devoir, au regard de léternité, de dire non à la masse, à lordre établi, car cest seulement par lintermédiaire de ces génies qui font son histoire que la masse reste en relation avec léternité. La génialité se présente comme la répétition de lacte du Christ par où il sest séparé de la masse, ou encore la répétition de lacte du propre père de Kierkegaard qui aurait, nous laisse-t-on entendre, en transgressant la loi du noli tangere matrem, provoqué Dieu à garder sans cesse le regard sur lui et ainsi à le particulariser.
Lindividu extraordinaire est dans un rapport personnel avec Dieu. Or Kierkegaard pensait avoir reçu de son père ce rapport quil devait assumer par le génie. Or cest précisément là pour lui lexplication de la rupture des fiançailles avec Régine. Cest que sil sétait marié, dit-il, avec Régine, après le mariage il aurait été forcé ou bien de faire entrer Régine dans le secret de ce rapport personnel à Dieu, et çeut été trahir ce rapport, ou bien de nen rien faire, et çeut été trahir le rapport du couple à Dieu. Devant ce paradoxe, Kierkegaard a décidé de rompre quand même, et le génie de Régine a été de lui en faire reproche justement au nom, ce qui lui était permis, au nom du Christ et du père de Kierkegaard, cest-à-dire quil y avait là une double impasse dont il était impossible pour Kierkegaard de sortir.
Ce que montre toute cette histoire, cest que sans doute il ny a pas deux Dieux, celui de Régine et celui de Kierkegaard, mais du moins y a-t-il, pour Kierkegaard seulement, deux voies à suivre, et lopposition est celle du deux à un, cest-à-dire pour Kierkegaard il y a deux voies à suivre, pas pour Régine, cest-à-dire les deux voies sont soit se mettre, pour Kierkegaard, dans la position de lexclu, dire non au tout x et vivre comme sil était déjà mort, déjà sujet de léternité, soit chercher Dieu dans la relation médiate, par lintermédiaire de son semblable. Jespère que ça vous rappelle quelque chose.
Limportant dans ce dilemme, mais cest surtout que Kierkegaard reproche à Régine de nen être pas la proie, cest-à-dire de ne pas choisir dans lalternative quil propose comme étant celle de léthique et de lesthétique. Or ce choix, on le voit en lisant par exemple la biographie de Kierkegaard, cest tout simplement dêtre ou de ne pas être dans F. On comprend bien sûr quil ne se soit pas posé à Régine qui, comme femme, y est sans y être.
Jacques Lacan qui comme femme ?
François Récanati qui comme femme y est sans y être. Autrement dit, là encore le silence. Quand Kierkegaard parle du Dieu de Régine, il croit quelle a déjà fait le choix de lesthétique contre léthique. Il dit pour elle, Dieu est une espèce de grand-père débonnaire, assez bienveillant. Alors quen fait, ce choix ne se pose pas, elle est en-deça ou au-delà de ce choix qui se pose à Kierkegaard seulement.
La question que pose Kierkegaard et quaprès lui je répéterai au docteur Lacan, cest y a-t-il une alternative pour L femme, L barré, et quelle est-elle ? Le choix passe-t-il entre le savoir et le semblant, entre être ou ne pas être hystérique ? La disjonction qui passe entre lhomme et la femme, entre le tout et le « pas tout », risque de rester, tant que naura pas été déterminée la relation imaginaire de la femme à lAutre, et la place de lhomme dans cette relation, risque de rester en singulière analogie avec ce que jai nommé la troisième figure de la disjonction, la disjonction de la bourse ou la vie, cest-à-dire pas de relation de lhomme à l Autre sans le pas toute de la femme, mais par contre une jouissance féminine supplémentaire, rapport privilégié à lAutre, une jouissance personnelle de Dieu.
Jacques Lacan Quelle heure est-il ? Oui, il me reste un quart dheure, il me reste un quart dheure, je ne sais pas ce que, ce que je peux faire dans ce quart dheure, et je pense que cest une, cest une notion éthique, nest-ce pas, léthique, comme vous pouvez peut-être enfin lentrevoir enfin, ou tout au moins ceux qui mont entendu parler autrefois de léthique, ouais, léthique bien sûr a le plus grand rapport avec, euh, notre habitation du langage, comme je le disais tout à lheure à ce cher Jean-Claude Milner, comme ça sur le ton de la, de la confidence, et puis frayé aussi par un certain auteur que je réévoquerai une autre fois, léthique cest de lordre du geste. Quand on habite le langage, il y a des gestes quon fait, gestes de salutation, de, de prosternation à loccasion, de, dadmiration quand il sagit de, dun autre point de fuite, le Beau, ce que je disais là implique que ça, ça ne va pas au-delà. On fait un geste et puis on se conduit comme tout le monde cest-à-dire comme le reste des canailles. Mmh. Néanmoins enfin il y a geste et geste, et le premier geste qui mest littéralement dicté par ce, cette référence éthique, ça doit être celui de remercier premièrement Jean-Claude Milner pour ce quil nous a donné enfin du, du point présent de la faille enfin qui souvre dans la linguistique elle-même et, peut-être quaprès tout qui, qui nous justifie enfin de, dans un certain nombre de conduites que nous ne devons peut-être, je parle de moi, que nous ne devons peut-être quà une certaine distance où nous étions de cette science en ascension quand elle croyait pouvoir le devenir. Il est certain que la référence que nous y avons prise était pour nous de toute urgence parce que il est quand même très difficile de, de ne pas sapercevoir que, pour ce qui est de la technique analytique, euh, si il ne dit rien le sujet qui est en face de nous cest une difficulté le moins quon puisse dire tout à fait spéciale.
Ce que nous a indiqué en particulier Jean-Claude Milner concernant la différence radicale, cest celle que jai essayé de vous faire surgir la, lannée dernière en écrivant lalangue en un seul mot, cest ce que javançais sous ce, ce chef, ce chef dun accolement entre ces deux mots, cétait bien là ce par quoi, ce par quoi je me distingue, et ça, ça me paraît être une des nombreuses lumières qua projetées Jean-Claude Milner, en quoi je le distingue du structuralisme, et nommément pour autant quil intégrerait le langage à la sémiologie, que comme lindique le petit livre que je vous ai fait lire sous le titre du Titre de la lettre 139, cest bien dune subordination de ce signe au regard du signifiant quil sagit, quil sagit dans tout ce que jai avancé. Je ne peux pas métendre là-dessus, soyez sûrs que jy reviendrai. Il faut aussi que je prenne le temps de faire hommage à Récanati qui, assurément, euh ma prouvé enfin que, que jétais bien entendu. On ne peut, on ne peut voir dans tout ce quil a avancé comme questions en pointe qui sont celles en quelque sorte qui, dans lesquelles il me reste, cette fin dannée, à faire le frayage, autrement dit à vous fournir ce que jai dès maintenant comme réponse, nest-ce pas, quil ait terminé sur la question de, de Kierkegaard et de Régine est absolument exemplaire, et comme je ny ai fait quune brève allusion, cest bien là de son cru. On ne peut pas mieux je pense illustrer au point où jen suis enfin de ce frayage que je fais devant vous, on ne peut pas mieux illustrer enfin cet effet de résonance qui est simplement que quelquun pige, mmh, pige de quoi il s agit, et par les questions quil ma proposées assurément, je serai aidé dans ce que jai à vous dire dans la suite, je lui demanderai, je lui dis dès à présent, son texte pour que je puisse très précisément my référer quand il se trouvera que je puisse y répondre.
Quil se soit référé à Berkeley, euh par contre, euh, il nen avait aucune indication dans ce que jai énoncé devant vous, et cest bien en quoi je lui suis, alors, encore plus reconnaissant sil est possible, parce que pour, pour tout vous dire enfin jai même pris soin tout récemment de me procurer une édition, originale figurez-vous parce que je suis aussi bibliophile, mais jai cette sorte de bibliophilie qui, qui, qui me tient que il ny a que les livres que jai envie de lire que jessaye de me procurer dans leur original. Jai revu à cette occasion dimanche dernier ce, je sais plus, je ne sais pas très bien comment ça se prononce en anglais, minute, ce menu philosophe, ce minute philosopher, Alciphron encore quon lappelle, euh, à quoi assurément enfin il est certain que si Berkeley navait pas été de ma nourriture la plus ancienne, probablement que bien des choses, y compris ma désinvolture à me servir des références linguistiques, nauraient pas été possibles.
Il me reste encore deux minutes. Je voudrais quand même, je voudrais quand même dire quelque chose, quelque chose concernant le schéma que malheureusement que Récanati a dû effacer tout à lheure. Cest, cest vraiment la question enfin être hystérique ou pas, y en a-t-il Un ou pas, en dautres termes ce pas toute, ce pas toute dans une logique qui est la logique classique, semble impliquer lexistence du Un qui fait exception. De sorte que ça serait là que nous verrions le surgissement, euh le surgissement en abîme, et vous allez voir pourquoi je le qualifie ainsi, le surgissement de ce, cette existence, cette au-moins-une existence qui, au regard de la fonction F x sinscrit pour la dire, car le propre du dit cest lêtre, je vous disais tout à lheure, mais le propre du dire cest, cest, cest dex-sister par rapport à quelque dit que ce soit.
Mais alors la question de savoir, en effet, si dun « pas tout », dune objection à luniversel peut résulter ceci qui sénoncerait de, dune particularité qui y contredit, vous voyez là que je reste au niveau de la logique aristotélicienne.
Seulement voilà, si, quon puisse écrire pas tout x < . > ne sinscrit dans phi de x <Fx>, que il puisse sen déduire par voie dimplication quil y a un x qui y contredit, cest vrai mais à une seule condition, cest que, dans le tout ou le « pas tout » dont il sagit, il sagisse du fini. Pour ce qui est du fini, il y a non seulement implication mais équivalence, il suffit quil y en ait un qui y contredise, à la formule universalisante, pour que nous devions labolir et la transformer en particulière. Ce « pas tout » devient léquivalent de la, ce qui en logique aristotélicienne sénonce du particulier, il y a lexception, seulement cest justement du fait que nous pouvons avoir affaire non pas à quoi que ce soit de fini, mais au contraire que nous soyons dans linfini, à savoir que le pas toute, là ce nest plus du côté de lextension que nous devons le prendre, et c est bien en effet de cela quil sagit quand je dis que L femme nest pas toute et que cest pour ça que je ne peux pas dire la femme, c est précisément parce que cest ce que je mets en question, à savoir dune jouissance qui au regard de tout ce qui se sert dans la fonction du phi de x est de lordre de linfini. Or dès que vous avez affaire à un ensemble infini, vous ne sauriez poser que « pas tout » comporte lex-sistence de quelque chose qui se produise dune négation, dune contradiction. Vous pouvez à la rigueur le poser comme dune existence tout à fait indéterminée, seulement on sait par lextension de la logique mathématique, celle qui se qualifie précisément dintuitionniste que, pour poser un il existe, il faut aussi pouvoir le construire, cest-à-dire savoir trouver où est cette ex-sistence . Cest sur ce pied que je me fonde pour produire cet écartèlement, à la ligne supérieure de ce que je pose d une ex-sistence très, très bien qualifiée par Récanati dexcentrique à la vérité, mmh, cest entre le il existe x tout simple et le il nexiste pas dx ( / ) marqué dune barre que se situe la suspension de cette indétermination entre une existence qui se trouve, se trouve de saffirmer, L femme en ceci peut être dite quelle ne se trouve pas ce que confirme le cas de Régine.
Et pour terminer, mon Dieu, je vous dirai quelque chose qui va faire comme ça, selon mon mode, un tout petit peu énigme, si vous relisez quelque part cette chose que jai écrite sous le nom de La Chose freudienne 140, entendez-y ceci que il ny a quune manière de pouvoir écrire, sans barrer le la de larticle dont on vous parlait tout à lheure, de pouvoir écrire la femme sans avoir à barrer le la, c est au niveau où la femme cest la vérité. Et cest pour ça quon ne peut quen mi-dire.
Notes
135 Jean-Claude Milner, Arguments linguistiques, Paris, Mame, 1973, pp. 179-217.
136 Sans doute un lapsus de Milner. Lire : réaliste.
137 Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire, Paris, Hermann, collection savoir, 1972.
138 Que nous remercions davoir bien voulu relire son texte et en vérifier la ponctuation.
139 P. Lacoue-Labarthe, J. L. Nancy, Le titre de la lettre. Une lecture de Lacan, Paris, Galilée, 1973 et 1990.
140 «La Chose freudienne ou Sens du retour à Freud en psychanalyse », 7 novembre 1955, in Écrits, pp. 401-436.