|
Version developeé
dune communication prononcee á
une Réunion scientifique de la Societé britannique de
Psychanalyse le 18 janvier 1956.
Publiée au volume 38 de mai-aout 1957, de l' International
Journal of Psychoanalysis
I. INTRODUCTION
Chacun des thèmes abordés dans cet article (1) mériterait un article á lui seul. Les envisager ensemble dans toutes leurs intrications moblige á condenser, prenant ainsi le risque de nêtre pas comprise, en raison de linévitable distorsion et de la perte de clarté qui sensuivront. De plus, cet article en devient long et pesant. Jespère rendre plus tard meilleure justice á mes thèmes, lorsque je pourrai les développer séparément.
Les idées que javance ici font suite á celles que jai précédemment développées dans mon article "Le contre-transfert et la réponse quy apporte le patient ". Elles me sont venues á la fois de lanalyse de mes patients et de ma propre analyse. Je les illustrerai par le matériel issu de lanalyse dun seul patient. La plupart de ceux que jai analysés entrent dans la catégorie connue sous le nom de « psychopathie » et « névrose de caractère », certains de ces patients étant sérieusement malades et perturbés, avec une grande angoisse psychotique. Bien que la plus grande part de ce que jai á dire semble sappliquer plutôt aux patients de cette sorte, je pense que ces assertions ne doivent en aucun cas être limitées á ces derniers, mais sappliquer au contraire á la fois aux névrosés et aux psychanalystes.
II. LE SYMBOLE R
Dans mon précédent article, jai tenté de trouver la définition qui convienne le mieux au terme de "contre-transfert", et jai indiqué quiI est essentiellement utilisé pour signifier tout ou partie de ce qui suit :
1. L attitude inconsciente de lanalyste envers son patient.
2. Les éléments refoulés non analysés chez lanalyste lui-même, quil reporte sur le patient de manière iden tique a celle dont le patient « transfère » sur son analyste des affects éprouvés envers ses parents ou les objets de son enfance : lanalyste considère son patient (momentanément et de façon variable) comme il considérait ses propres parents.
3. Quelque attitude ou mécanisme spécifique par lequel lanalyste rencontre le transfert de son patient.
4. La totalité des attitudes et comportements de lanalyste envers son patient, ceci comportant toutes les attitudes conscientes quelles quelles soient, et toutes les autres.
Humpty Dumpty disait : " Quand je me sers dun mot, il veut dire exactement ce que jai décidé quil voudrait dire - ni plus ni moins ». Et quand Alice lui demanda comment il était possible de faire dire aux mots tant de choses différentes, il répondit : « La question est de savoir qui sera le mai tre - cest tout ». Notre difficulté ici est de trouver un mot qui ne signifie pas autant de choses différentes quil y a de personnes a lutiliser.
Outre la confusion possible entre ces diverses significations, il arrive aussi que le terme de « contre-transfert » soit investi dune charge émotionnelle qui rend la discussion difficile. II est évidemment impossible déviter ou la confusion, ou la charge émotionnelle mais, pour réduire lun et lautre au minimum, jintroduirai un symbole, R, afin de marquer ce dont je parle quand je le définis comme étant la réponse totale de lanalyste aux besoins de son patient, quels que soient les besoins, et quelle que soit la réponse ».
R, dés lors, comprend tout ce qui est conscient et tout ce qui est inconscient - tout ce qui est inconscient consistant en ce qui est refoulé (normalement ou pathologiquement), et bien des choses qui nont jamais été conscientes. En dautres termes, R comprend des éléments qui appartiennent á la fois au moi, au surmoi et au ça de lanalyste. Ce qui correspond á la quatrième définition mentionnée ci-dessus.
Je nutiliserai le terme de « contre-transfert » que pour la seconde de ces définitions, et Ion verra que « contre-transfert » nest dés lors quune
III. DÉFINITION DE LA « RÉPONSE TOTALE»: «BESOINS »
a) réponse totale
En utilisant lexpression « réponse totale », jai délibérément choisi un mot passe-partout, et je tiens a clarifier ma position en ce qui le concerne. ¡e ¡utilise pour regrouper tout ce quun analyste dit, fait, pense, imagine ou ressent au cours de lanalyse, relativement á son patient.
Tout patient qui vient en analyse a certains besoins, et á ceux-ci son analyste répond de diverses manières. La réponse est inévitable et peut sévaluer. Elle est une part indispensable de lanalyse, qui contribue pour beaucoup a sa dynamique. Elle résulte dun équilibre, dune interaction et dune fusion entre lamour et la haine de lanalyste envers son patient.
On distingue souvent ce que dit et ce que fait Ianalyste dans les cures de ses patients, en « interprétation » et « comportement », et la croyance usuelle est que seule linterprétation est dun réel usage pour le patient. Une telle distinction est en soi fausse, car faire une interprétation fait partie du comportement, de même que la forme quon lui donne ou le moment choisi pour la faire, etc. 11 en va de même pour la poignée de main que donne ou refuse lanalyste, les conditions quil définit pour le patient et pour lui-même, son silence, son écoute, ses réactions ou son absence de réaction.
Tout cela est lexpression de ses sentiments, conscients ou inconscients. Si important soit ce dont il est conscient, ce qui demeure inconscient lest toujours beaucoup plus, et exerce une pression plus forte que celle quimprime ce qui est conscient.
On peut simposer des limites, et faire en sorte que le nombre dinterprétations soit maximum, et celui des autres modes de comportement minimum. Mais une trop grande restriction aboutit á la rigidité et au stéréotype.
De telles limitations ne peuvent en aucun cas être absolues ou standardisées. Le pourraient-elles que ce ne serait pas souhaitable, car cela ne ferait quintroduire trop tôt la négation dun principe de base, á savoir la valeur de lindividu (au regard de lui-même comme de la société), que cet individu soit lanalyste ou le patient.
b) besoins
Dans ce contexte, « besoin » est un autre mot passe-partout, tout aussi délibérément choisi. Dans tous les cas, le besoin dernier est bien lacquisition dun discernement et dune évaluation accrus de la réalité. Mais nombre de patients gravement malades ont dautres besoins, qui doivent être 1rencontrés en chemin ; sinon, lanalyse devient impossible. Le plus évident dentre eux est lhospitalisation, mais en outre, lanalyste doit intervenir en bien dautres occasions : dispositions a prendre avec le médecin de famille pour les soins, contrôle des sédatifs, contacts avec lentourage et les amis, contrôle des acting out (souvent nécessaire a la sécurité du malade) tout cela peut répondre a des besoins nécessaires, en dehors de la routine habituelle qui fixe les conditions de lanalyse, telles que les arrangements financiers, lheure des rendez-vous et, bien sur, le choix initial du patient. Sans ces précautions, dans bien des cas, aucune compréhension, aucune interprétation, si juste et si prudente soit-elle, ne permettra que lanalyse soit menée a bien. Grâce a elles, cela devient possible, même si elles peuvent être ressenties, a la fois par lanalyste et par le patient, comme des entraves ou des lenteurs. Seule lissue de lanalyse dira sil en a été ainsi ou non.
IV. RESPONSABILITÉ. ENGAGEMENT. SENTIMENTS. LIMITES.«DÉPASSEMENT».
a. La responsabilité de lanalyste
En analyse, la responsabilité nest pas simple ; lanalyste na pas seulement une responsabilité envers son patient, il en a une envers lui-même, envers la psychanalyse et la communauté analytique.
Son patient, ou la société, aimeraient lui faire endosser maintes responsabilités, mais la sienne a tout de même ses limites.
Pour la totalité de sa réponse aux besoins de son patient, la responsabilité de lanalyste est de cent pour cent. Jai examiné attentivement cette assertion, afin de voir si elle devait être nuancée ou modifiée en quelque manière, et nen ai pu trouver la possibilité.
Les mots, les idées, les sentiments, les actes, les réactions de lanalyste, ses décisions, ses rêves, ses associations lui appartiennent en propre, et il doit en assumer la responsabilité, même sils résultent de processus inconscients. II ne pourra la partager avec quiconque la déléguer daucune façon. Ce me semble être vrai, invariablement pour toute analyse.
Mais la responsabilité de Ianalyste a ses limites : aucun être humain nest capable den supporter plus quune certaine somme. 11 nest pas mutile de rappeler que nul nest tenu de faire un travail analytique, quil sagit dun choix, et que rien ne contraint lanalyste á prendre en charge des patients très perturbés. II a le droit de refuser dentreprendre une cure dans des conditions quil estime inadéquates ou hasardeuses, et de refuser de poursuivre si les conditions changent pour quelque raison après que la cure ait commencé. Les analystes eux-mêmes oublient souvent deux évidences : a limpossible, nul nest tenu, pas plus que davoir une capacité de compréhension et dinterprétation a cent pour cent. Même dans une longue cure, beaucoup déléments demeureront incompris, aussi bien de lanalyste que du patient.
Tout patient a besoin, a un moment ou á un autre, dêtre informé de la responsabilité assumée par lanalyste (quil sagisse ou non de sa vie ou de ses acting out), et u est surprenant de voir combien peu de patients réalisent la vraie responsabilité prise par lanalyste á leur endroit. Plusieurs auteurs, depuis Freud et Ferenczi, ont souligné la façon dont certains patients utilisent lanalyste comme un moi. Phyllis Greeacre le note : « Lanalyste agit comme une fonction extérieure, ou un ensemble de fonctions quil prête, temporairement á lanalysant, pour un usage et un bénéfice ultérieurs ». Je pense que cest aussi vrai en ce qui concerne la fonction de responsabilité de lanalyste que pour toute autre. Léquilibre, dans lanalyse, en dépend, et la capacité ultime du patient á prendre ses propres responsabilités repose sur la possibilité de sidentifier á une personne elle-même responsable et fiable.
b. Lengagement
Prendre ses responsabilités implique dabord de faire une juste évaluation du patient, tant aux niveaux superficiels que plus profonds. Evidemment, cela ne signifie pas pour autant la reconnaissance immédiate de tout ce que contiennent les niveaux plus profonds, mais de leur existence et de la mesure dans laquelle ils contribuent a léchec et au succès de la vie du patient et de ses relations, cest à dire de la proportion et de la manière dont il en est perturbé. II faut que ce savoir soit accru, élargi et approfondi, jusqua ce que le changement soit possible. II en est ainsi quand e changement est redouté et que le patient contrôle la situation, gardant pour lui-même des sentiments non exprimés - cest-à-dire inconscients.
Les véritables sentiments que lanalyste porte à son patient et son désir de laider (il faut quil y ait quelque sentiment, que nous lappelions sympathie, compassion ou intérêt à activer le démarrage ou la poursuite de lanalyse) ont besoin dêtre exprimés clairement et explicitement, à point nommé, quand ils sont réellement éprouvés et peuvent, par conséquent, surgir avec spontanéité et sincérité.
Les patients très malades, et parfois ceux qui le sont moins, sont incapables de faire des déductions appropriées : que les sentiments de lanalyste soient laissés à leur déduction ou quils soient mentionnés na donc pour eux aucune signification. Il leur en faut une expression directe, comment ils surgissent et au moment où ils surgissent (mais pas d n importe quel moment). Dans Souvenirs de la maison des morts, Dostoïevski écrit : « Limpression donnée par la réalité est toujours plus forte que celle que fait une description » - ce qui ma semblé particulièrement vrai ici. Des sentiments feints seraient plus quinutiles, inadéquats. Labsolue retenue de sentiments intenses nest pas plus utile - cest inhumain, et cela fausse le but de lanalyse, qui est de permettre au patient déprouver et dexprimer ses sentiments, en lui donnant limpression quexprimer des sentiments nest permis quaux enfants et aux patients, et interdit dans un monde « normal» ou adulte.
Du côté de lanalyste, une absolue retenue de sentiments nest pas réaliste, et peut provoquer une trop grande demande à son égard. Il doit simposer lui-même sa propre limite, mais ce nest pas du même ordre que de se retenir absolument. Cette difficulté nexiste pas pour les sentiments de moindre intensité, qui peuvent trouver facilement leur expression par des voies indirectes.
Jai plutôt parlé de lexpression consciente des sentiments, quelle soit délibérément prédéterminée ou quil sagisse dune impulsion consciente. Mais « réagir » est différent. A certains moments, une réaction de type tout à fait primitif, non seulement ne sera pas négative, mais apportera une aide positive. Si un patient en colère me menace du poing et que je recule, la réaction elle-même est un souvenir de réalité : elle lui rappelle à la fois quil pourrait effectivement me faire mal, et que je ne suis quà un certain niveau la personne quil veut blesser. Dautres réactions, non pas uniquement physiques, produiront à loccasion un effet semblable, et ne sont pas entièrement à négliger. Elles peuvent quelquefois atteindre le moi par des voies qui sont fermées à linterprétation, tout à fait indépendamment du facteur temps, de leur vitesse.
On a pu faire cette objection : que lanalyste exprime des sentiments constitue, pour le patient, soit une satisfaction excessive, soit un fardeau. Selon et laidera aussi à savoir quelque chose de ce quil peut provoquer chez lautre autrement, il naurait pu le croire. De même que la responsabilité et lengagement, les sentiments envers le patient ont leur limite. Les revendications dautres patients, les exigences de la vie personnelle de lanalyste simposent delles-mêmes. Le matériel change, les sentiments aussi. A moins quil ne soit «amoureux» de son patient, il ny a aucun risque réel que les sentiments de lanalyste se fixent, ou quil doive continuer à les exprimer, ce qui est à craindre Si aucun sentiment nest exprimé.
Le profit, pour le patient, est également limité. Tôt ou tard, il doit réaliser que personne ne peut aimer ou haïr à sa place, il lui faut léprouver pour son propre compte et en assumer la responsabilité. Mais entre-temps, il aura eu en face de lui une personne qui éprouve des sentiments, et la possibilité de sidentifier à elle en projetant sur elle le fait même de ne rien ressentir et en découvrant la projection, et à la fois en introjectant lanalyste qui éprouve des sentiments.
d. Limites jusquau bout
Jai montré que la responsabilité, lengagement et les sentiments ont leur limite. Elle sera évidemment variable selon les différents types de patients traités et la personnalité de lanalyste. Elle est dune très grande importance en tant quelle fournit des points de séparation.
Quant une limite est atteinte et que le patient en prend conscience, ainsi que de limpossibilité daller au-delà, même Si ses besoins et ses demandes se poursuivent, il prend conscience, du même coup, de sa séparabilité. Si Sa capacité à supporter la séparation est très faible, chaque limite sera atteinte trop tôt, ce sera trop demander à son moi, et quelque réaction (par exemple un violent acting out ou une somatisation) peut sensuivre Si la situation nest pas solidement tenue en mains. Les limites qui sont inhérentes aux capacités du moi, dont la logique et la réalité sont à sa portée, fournissent des points et des lieux où le moi peut être renforcé.
A lopposé de ces limites, il y a les cent pour cent de responsabilité, dengagement, et dacceptation des sentiments et des réactions. Ils correspondent au « sans limites » des idées et des mots permis au patient, et aident à en faire une réalité.
Certains patients sont si malades que leur traitement ne peut réussir sans la dépense dun énorme effort, à la fois extensif et intensif. Dans de tels cas, la difficulté est toujours dinciter le patient à aller «jusquau bout » ; et cest seulement sil réalise que son analyste, pour sa part, va «jusquau bout », quil comprendra quil vaut la peine de faire de même.
V. MANIFESTATIONS DE LANALYSTE EN TANT QUE PERSONNE
Chacun de ces éléments, responsabilité, engagement, sentiments, etc. entraîne la manifestation ou laffirmation du self de lanalyste en tant que personne, en tant quun être humain vivant avec qui il est possible davoir un contact et une relation.
Lidée de l~nel ou du miroir a servi et sert encore, un propos très pertinent : isoler le transfert chez des patients névroses Mais elle peut servir de défense, parfois même dune manière quasi concrète, non symbolique, aussi bien au patient quà lanalyste.
Pour les patients qui souffrent dangoisses psychotiques, et en particulier pour ceux qui souffrent dune psychose réelle, un contact plus direct avec lanalyste est nécessaire. Symbolisme et pensée déductive sont indispensables quand le contact direct est restreint, et tous deux font défaut à de tels patients. Leur développement est altéré lorsque les réalités de lenfance du patient coïncident avec les fantasmes dont il a besoin pour la perlaboration. Dans ce cas, la projection est non seulement inutile, mais tout à fait impossible.
Tout patient teste constamment son analyste pour trouver ses points de faiblesse et ses limites. Il doit découvrir que ce qui est vrai pour son analyste lest aussi pour lui, cest-à-dire quil y a inadéquation entre la force du moi et la tension instinctuelle. Sil peut prouver que son analyste est incapable de supporter langoisse, la folie et le désespoir, tant pour lui-même que pour son patient, il aura la certitude que ce quil ressent est obligatoirement vrai. Le monde se brisera et volera en éclats quand sa tension se déchargera, quelle que soit la forme quelle prenne ; et encore une fois, puisque lui-même et son analyste sont le même, il va de soi quils sont un et indivisibles. Çest pourquoi il est pour lui dune importance vitale de découvrir non seulement que lanalyste peut supporter la tension et sa décharge, mais aussi quil assume le fait quil ne peut tout endurer La différence entre langoisse et la panique, et la différence entre sa propre angoisse et la peur de langoisse de son patient, seront claires Si lanalyste est capable de tomber, de se relever, et de poursuivre. Cest ici que la reconnaissance du contre- transfert, au sens littéral du mot (deuxième définition) est de la, plus grande importance. Il sera peut-être nécessaire quil soit reconnu à la fois par le patient et par lanalyste, et son déni par lanalyste, alors même que le patient la aperçu, peut avoir de sérieuses conséquences. (Il est suffisant de simplement ladmettre ; les détails regardent lanalyste, mais quun contre4ransfert affecte lanalyse regarde le patient, et il a le droit de savoir).
Chaque analyste, bien sûr, a ses propres difficultés à laisser les choses venir, particulièrement en lui-même. Cela rejoint le problème du contrôle, mais il peut être essentiel pour certains patients de voir leur analyste réagir ou agir impulsivement. Connaissant lorigine biologique des réactions au stimuli et de la pulsion instinctive, et sachant que lactivité du moi nest pas immédiatement et entièrement consciente, je pense quil est erroné de les considérer lune et lautre comme indésirables ou dangereuses, même dans un travail analytique. Dans tous les cas, quand une analyse évolue vite, et que les idées se succèdent rapidement, ou que les mécanismes changent, il est impossible dêtre toujours dun pas en avant du patient, ou de toujours penser avant de parler ou dagir. Il se trouve quon a dit quelque chose. Si le contact inconscient avec le patient est bon, ce qui a été dit savérera en général. Mais le contretransfert inconscient est la chose la plus propre a précipiter une mauvaise réponse, et la seule garantie a cet égard est que lanalyste sautoanalise continuellement.
Leffet sur le moi de la reconnaissance consciente de lun ou lautre de ces éléments chez une personne connue (aussi distincte dune machine que dun « type » est de le rendre accessible aux interprétations dans le transfert, et aux autres repérages dans la réalité. jai souvent pensé quune telle reconnaissance est un point pivot de lanalyse. Par ce biais, un être humain est découvert, saisi, mangé imagmanement, digéré, absorbé, et construit dans le moi (non pas introjecté magiquement) : une personne qui peut assumer des responsabilités, sengager, éprouver et exprimer spontanément ses sentiments, qui peut supporter tension, limite, échec ou satisfaction et succès.
Le patient est dès lors à lui-même dans son analyse. Son angoisse paranoïde sallège de façon directe, et les interprétations de transfert peuvent signifier quelque chose pour lui. Il commence à rencontrer la réalité, et à pouvoir établir des relations avec des personnes réelles et non plus avec ses seuls fantasmes. Le développement relationnel devient possible, avec ce quil implique : nécessité de supporter la fusion et la séparation, et risque de provoquer des sentiments chez une autre personne, ou den éprouver pour quelquun.
VI. MATERIEL CLINIQUE
Le matériel que jutiliserai pour illustrer mon propos consiste en une demi-douzaine dépisodes dune seule analyse. Cela implique de réduire à dix minutes ce qui sest passé en dix ans, réduction qui ne pourra donner quune image déformée, dont je suis consciente quelle ne sera compréhensible que dans une certaine limite.
En fait, cette condensation de dix années en dix minutes est tout à fait appropriée car ma patiente, Frieda, se montra désorientée dans le temps tout au long de son analyse ; elle utilisait le temps dune manière très personnelle, et qui ne peut être immédiatement comprise. Cette désorientation fut le trait principal de sa régression. Elle ne fit pas de symptômes régressifs, et eut très peu de manifestations régressives pendant les séances.
Elle mavait été adressée pour kleptomanie, bien quelle ne lait pas mentionné pendant plus dun an. Au lieu de quoi, elle parlait de ses difficultés avec son mari et ses enfants. Elle souffrait dun urticaire de la face, de la vulve et de la face intérieure des cuisses. Outre son mari et moi-même, une seule de ses relations était au courant de sa kleptomanie : une assistante sociale en psychiatrie qui sétait trouvée là quand un policier avait interrogé Frieda. Cette femme, layant vue avec le policier, sétait arrangée pour que les effets volés soient restitués et que Frieda trouve une aide psychiatrique. En Allemagne, lenfance de Frieda avait été extrêmement traumatisant. Ses parents étaient juifs. Son pere, un homme très brillant, était cependant vaniteux, égocentrique et mégalomane. Sa croyance magique quaucun mal ne pouvait latteindre le conduisit à rester sur place alors que toute sa famille émigrait, et à trouver ainsi la mort dans un camp de concentration. Sa mère possessive au dernier degré, méchante, est toujours en vie. Elle sest querellée avec les siens pendant trente ans, puis avec son mari, brisant leur ménage. Elle linsultait devant les enfants, et dit maintenant de son mariage quil a toujours été malheureux. Elle adore les disputes, par goût des réconciliations sentimentales.
Les deux parents exploitèrent leurs enfants. Frieda était responsable du plus jeune. Elle était sensée être au service de son père, forcée daccomplir ce fait de son propre chef si elle nen avait pas reçu lordre, car elle laimait beaucoup. Aux exigences de sa mère dans ce sens, son père répondait en punissant chaque révolte ou défaillance par des coups deicra~ quand elle refusait obstinément de sexcuser auprès de sa mère de lui avoir désobéi. Sa mère la punissait en la frappant, en la traînant dans les escaliers par ses longs cheveux, en lenfermant dans un obscur placard à balais. Alors quelle avait quatre ans, elle fut « guérie » de la masturbation par une série de bains froids dun quart dheure. Jamais sa mère na oublié ses crimes, même une fois punis, expiés, et ostensiblement pardonnés.
Gardés « au réfrigérateur », ils en sont ressortis vingt ans plus tard dans leur intensité originelle. Elle tente toujours dexploiter émotionnellement Frieda. Ce portrait des parents a émergé lentement. Ils avaient tout dabord été décrits comme des gens ordinaires, aimants, et cest avec une grande surprise que Frieda découvrit quelle avait enfoui cette autre image.
Frieda était laînée. Elle fut une déception pour ses parents, qui désiraient un fils, quils auraient appelé Friedl, comme le père. Elle navait été allaitée que quelques jours, le lait sétant « taris » après que le père ait plaisanté sa femme de ce que lenfant ressemblait davantage à lun de ses amis quà lui-même. A lécole, elle était malheureuse, la plupart du temps repliée sur elle-même, tourmentée et rêveuse. Un jour, elle dut subir une remontrance de la part dun professeur devant tout le personnel et les élèves, pour avoir apporté des morceaux de pain à lécole et les avoir mangés sous son pupitre. Après lécole, elle eut de nombreuses aventures sexuelles, se maria finalement avec un Russe, et vint sinstaller en Angleterre. Ses amis la trouvaient capable, douée, cultivée, généreuse. Elle est tout cela, mais derrière cette façade, se cache une enfant profondément malheureuse, dune sauvagerie impétueuse, impatiente, qui ne supporte ni tension ni séparation. Ses enfants sont le prolongement de son propre corps, comme elle la été pour sa mère, et sont inconsciemment exploités, comme elle la été elle-même. La kleptomanie apparut progressivement, comme élément dun ensemble de comportements impulsifs qui la mirent véritablement en danger de multiples façons. Les actions impulsives se produisaient sous le coup de nimporte quelle tension. Les sept premières années de son analyse se caractérisèrent par mon incapacité à rendre le transfert réel pour elle daucune manière, ou à l« aider à le découvrir », comme elle le dit plus tard. Lanalyse sest déroulée selon les variantes ordinaires, dans les limites de la technique analytique reconnue. Jai fait beaucoup dinterprétations de transfert, mais elles étaient pour elle entièrement dépourvues de sens, y compris le fait que souvent, elle donnait à ses amis et connaissances des conseils ou commentaires fondés sur ce que javais pu lui dire, parfois en me les attribuant. Ils navaient cependant pas de signification personnelle pour elle, et les changements étaient très minimes. Certes, son état saméliorait ; elle volait moins, et ses relations avec les autres étaient en général bien plus faciles. Nous étions sur le point darrêter, bien que sachant toutes deux que les difficultés essentielles demeuraient. Parfois, jai pu lamener à reconnaître quelle transférait quelque chose sur son mari ou sur lun des enfants, mais jamais quelle transférait sur moi. Son attachement émotionnel a sa mère demeurait inchangée, et elle nétait jamais arrivée à faire le deuil de son père:
Elle me raconta cette histoire : une enfant avait pénétré dans une chambre interdite et surveillée non par Barbe Bleue, mais par la Vierge Marie. Les doigts de lenfant sétaient couverts de lor quelle y avait trouvé, et pour sa punition, elle fut chassée. Mes interprétations relatives à sa curiosité pour son propre corps ou pour moi-même, le fait que je lui dise quelle se faisait de moi lidée dune vierge, punissant et interdisant lor caché, navaient aucun sens pour elle. Il semblait que la clé de sa propre porte fermée soit perdue au-delà du champ de nos découvertes.
Soudain, et de façon dramatique, le paysage a changé. Un jour, elle arrive hors delle, affligée, toute vêtue de noir, le visage ravagé de larmes, véritablement à lagonie : IsIe est morte subitement, après une opération, en Allemagne.
Jai entendu parler dIsle comme de beaucoup dautres amies, dont rien cependant ne la distinguait. Je découvre maintenant que la part essentielle du transfert a été placée sur elle et gardée secrète, sans doute à cause de la culpabilité que provoquaient des sentiments homosexuels à son endroit. Elle appartenait à la génération des parents de Frieda, dont elle avait été lamie, et avait transféré cette amitié sur Frieda lorsque lenfant avait six ans.
Pendant cinq semaines, cet état de détresse aiguë persista, inchangé. Je lui montrai sa culpabilité quant à la mort dIsle, sa colère contre elle, et la peur quelle avait delle. Je lui montrai quelle avait le sentiment que je lui avais volé Isle; quelle en voulait au monde entier, à sa famille et à moi- même; quelle me demandait de comprendre son chagrin, comme IsIe avait compris le malheur de son enfance, et de sympathiser avec elle.
Rien de tout cela ne la touchait. Elle était pratiquement hors datteinte ; elle ne pouvait plus ni manger ni dormir, elle ne parlait que de IsIe, quelle idéalisait, et dont les photos envahissaient toute la maison. Elle voyait IsIe partout, dans les autobus, dans la rue, dans les magasins, elle courait après elle, pour sapercevoir finalement quil sagissait de quelquun dautre. Mes interprétations : quelle attend de moi que je ressuscite magiquement IsIe, quelle veut me punir et punir son entourage de son malheur, tombaient à plat. Elle ne pouvait plus sétendre sur le divan. Elle sa,sseyait quelques minutes, puis se levait et tournait en rond dans le cabinet, pleurant et se tordant les mains.
Il était clair pour moi que sa vie était en danger : risque de suicide ou dépuisement. Dune manière ou dune autre, il me fallait mettre un terme à cette situation. Finalement, je lui dis combien sa détresse est douloureuse, pas seulement pour elle-même et pour sa ~ pour moi-même. Je lui dis que nul ne peut la voir dans cet état sans en être profondément affecté, que jéprouve de la peine, avec elle et pour elle, dans la perte quelle a subie.
Leffet èst ~n5ta~tariaéa~~t< massif. Dans lheure qui suit, elle se calme et ne pleure plus que de tristesse. Elle recommence à soccuper des siens, et quelques mois plus tard, elle trouve lappartement plus vaste dont sa famille avait besoin depuis des années, et quelle a déclaré jusque là introuvable. Elle découvre, à emménager dans ce nouvel appartement et à laménager, un bonheur dont elle navait jamais fait lexpérience auparavant, et qui depuis lors persiste et grandit. Ses impulsions réparatrices sont mises en acte de façon complètement nouvelle.
Javais souvent parlé â propos de sentiments par rapport à moi-même, mais cela navait aucun sens pour elle. Seuls les sentiments vraiment exprimés et manifestés signifiaient quelque chose. Elle ne se souvint que trop clairement avoir dit à sa mère, non sans ironie, quelle laimait, quelle étau désolée de ce quelle avait fait, etc. - et ce, pour navoir rien à dire de h façon ostentatoire dont sa mère exprimait son amour pour le père, amour qui fut dénié par la suite.
Mais javais déjà exprimé mes sentiments en deux autres occasions. L< première fois quand, écoutant pour la centième fois la série interminable de ses plaintes contre sa mère à propos dargent, javais, également pou la centième fois, lutté pour rester éveillée ; je mennuyais et, comme dhabitude, aucune interprétation ne latteignait, quelle concerne le contenu d son discours ou ses mécanismes, le transfert ou ses vux inconscients. Cette fois-là, je lui dis être certaine que la substance de son discours avait peu dimportance, quil sagissait dune défense, et jajoutai que javais de I peine à me tenir éveillée, tant ses répétitions étaient ennuyeuses. Après u silence choqué et horrifié, une explosion de colère chagrine, elle me dit quelle était contente que je le lui aie dit. Dès lors, le compte-rendu des querelles sabrégea, et elle sen excusait, mais leur signification demeurait obscure. Je sais maintenant que jétais alors le père (mort) à qui elle aurait pu dire combien sa mère est mauvaise, et qui laurait aidée, dans son enfance
à supporter la maladie mentale de sa mère. Jétais également lsle, qui laurait accompagnée dans toutes ses difficultés. Mais Si javais fait cette interprétation, je suis sûre quelle naurait pas rencontré plus décho que les autres interprétations de transfert.
La deuxième fois, javais effectué quelques aménagements de décoration : elle prétendit savoir comment les choses auraient dû être faites. Elle me donnait souvent des conseils très paternalistes, que jinterprétais comme une volonté de me gouverner et de posséder ma maison ; de me dire les choses au lieu de se les entendre dire par moi. Ce jour-là, lun après lautre, mes patients mavaient infligé leurs conseils. Le soir venu, jétais fatiguée, et voilà quau lieu de faire une interprétation, sans penser à ce que je dis, jénonce avec humeur « Je me moque complètement de ce que vous en pensez ». Une fois de plus, au silence choqué, succède la fureur, puis les excuses, parfaitement sincères. Peu après, elle reconnut que la plupart des conseils quelle donnait à des amis ou à des personnes quelle croisait à loccasion dans la rue ou dans les boutiques, pouvaient très bien être offensants et que, dans son angoisse à vouloir contrôler le monde, elle était en fait arrogante et aussi agaçante que la mouche du coche.
Quand je lui ai fait part de mes sentiments au moment de la mort dIsle, jai fait le rapprochement avec ces deux autres moments, et elle me confia que pour la première fois depuis le début de son analyse, jétais devenue une vraie personne, tout à fait différente de sa mère. Elle avait eu le sentiment, chaque fois que je commentais ce quelle faisait, que jétais sa mère, lui disant, comme toujours : « Tu es exécrable ». Je savais, et lui en avais fait part, quil sagissait là dune manifestation de transfert, mais tout le sens de cette interprétation était dénié. Elle ne pouvait que signifier : <( Vous êtes exécrable ». Elle mappelait alors la « cinquante-sixième leçon du manuel ». Maintenant, elle peut faire le rapprochement entre le manuel et les magazines féminins que lisait sa mère, y puisant la plupart de ses marottes et de ses chimères. Mes sentiments, visiblement authentiques, diffèrent de ceux, hypocrites, de ses parents. Ils lui donnent, ainsi quà ses entreprises, une valeur quelle na jamais eue, sauf pour IsIe. En dautres termes, au moment où jai exprimé mes sentiments, je suis devenue Isle.
A dater de ce moment, les interprétations de transfert commencent à ~ Désormais, elle les accepte souvent quand je les fais, et ajoute même fréquemment : « Vous me laviez déjà dit, mais jignorais ce que cela voulait dire », ou encore : « Je me souviens vous lavoir entendu dire à plusieurs reprises... maintenant, je comprends. », mettant elle-même en application ce quelle a toujours rejeté.
Peu après, poupr la première fois, un modèle de relation commence à se dessiner à propos du vol et des autres actions impulsives. Je constate quelles ne surviennent maintenant que quand sa mère lui rend visite. Mais elles sont de plus en plus dangereuses. Un jour, elle est heurtée par une voiture et sérieusement blessée, alors quelle rentre chez elle après la séance. Je me demande comment elle na pas été tuée I Une autre fois, un de mes voisins minterpelle : « Cette femme qui se précipite hors de chez vous et traverse la rue sans regarder nest elle pas lune de vos patientes ? Cest un vrai danger public ». Un autre jour, comme je marchais dans la rue principale, non loin de mon domicile, à un endroit où la circulation est intense - japerçois Frieda traversant à vingt mètres du passage piétonnier, louvoyant follement entre les voitures, mettant chacun en danger, y compris elle-même. Comme je lui montre la relation entre ces événements et les visites de sa mère, et leur caractère suicidaire et meurtrier, elle rejette cette idée, comme elle rejette lidée de pouvoir tomber malade, et comme elle a rejeté auparavant toutes les interprétations de transfert.
Quelques semaines plus tard, alors que sa mère séjourne chez elle, elle est prise à voyager sans billet - elle était pressée, et navait pas de monnaie ce qui signifie une comparution devant le tribunal. Je lui procure une attestation établissant quelle est en traitement pour son comportement impulsif, mais nen est pas moins une personne honnête et recommandable (ce qui est vrai). Cela, ainsi que lexpression de mes sentiments, lui a fait grande impression, car je disais exactement le contraire de ce que disaient ses parents quand ils la traitaient de « menteuse >) et de « voleuse ». Son père avait même menacé de la tuer sil apprenait quelle était une voleuse.
Elle commence alors à reconnaître ses dangereux actings out, sen trouve effraYée, mais néanmoins persiste. Quand sa mère revient, elle vole encore, et je lui dis que je me demande Si je ne dois pas refuser de prendre la responsabilité de poursuivre lanalyse Si elle reçoit encore sa mère. Je lui ai déjà dis à plusieurs reprises que je pense quelle prend des risques en le faisant. Mais sa mère est revenue, elle a encore une fois volé, et je nai pu que réitérer mes propos. Je lui montre quelle na pas davantage cru au danger, à la réalité de sa maladie, quà la vérité de mes dires. Je lui assure que je dis vrai, que Si elle reçoit encore sa mère, je ne pourrai prendre la responsabilité de la garder; jinterromprai lanalyse.
A cette époque, elle me parle pendant plusieurs séances du méchant comportement dun enfant quelle reçoit chez elle. Elle ma déjà parlé de la désobéissance de sa petite fille, et je lui ai demandé pourquoi elle ne peut pas être ferme, et empêcher les enfants de faire toujours les mêmes bêtises. Cest une histoire ancienne. Elle est incapable de se faire obéir de ses enfants sans entrer dans une rage violente qui les terrorise. Elle les laisse donc Taire ce quils veulent, rationalisant cette attitude en la déclarant « moderne » ou « avancée » ; ils veillent tard le soir, manquent lécole, etc., sans quelle- même ni son mari ne soient capables de sy opposer. En fait, inconsciemment, ils les encouragent.
Je lui demande alors ce qui va arriver Si je refuse de la laisser continuer à me raconter ces sornettes, dont je suis aussi fatiguée quelle peut lêtre de lattitude des enfants. Elle « ne sait pas », et se lance dans une autre histoire. Je dis : <~ Je vous ai prévenue je ne saurai en écouter davantage ». Après un silence, elle ricane et dit : « Cest exécrable. Cest magnifique de vous entendre dire une chose pareille. Personne ne ma jamais parlé ainsi auparavant. Jignorais quil put en être ainsi. Vous mavez souvent dit quil convenait de signifier aux enfants que je nacceptais pas quils fassent telle ou telle chose, mais je ne savais tout simplement pas comment le faire ». De ce moment, Frieda fut capable à la fois daccepter le « non » pour elle-même, et de le dire.
Maintenant, quand je la menace dinterrompre lanalyse Si elle autorise sa mère à revenir, je lui rappelle que ce jour-là, elle a trouvé mon attitude magnifique. Les trois jours qui ont suivi cette séance ont été pleins de panique et de confusion. Une fois calmée, elle a passé son temps à imaginer comment elle pourrait refuser à sa mère de la recevoir. Elle a pu la tenir à distance pendant quelques semaines, puis la question sest de nouveau posée. Lui dirai-je ce quelle doit dire ? Peut-elle laisser sa mère venir, et aller dormir chez des amis ? Je lui montre que ce nest pas la solution, quil lui faut trouver sa propre manière de régler la situation. Après un regain de panique et de fureur, elle dit à sa mère quelle est en analyse, et que jai interdit sa venue. Ce qui revient à lui dire : Tu es exécrable ».
Le lendemain, elle éprouve la tentation de voler des pommes dans le jardin du voisin ; au moment de se glisser à travers la haie avec son panier, elle sarrête et, un peu plus tard, envoie un des enfants en demander quelques unes : elle est ravie et surprise quon les lui donne.
Je lui montre quen voyant sa mère, elle ma ostensiblement défiée, mais quelle ma obéi aussi bien, et que lalternance de son attitude au sujet des pommes reflétait le fait quelle avait pu accepter un « non » de ma part, et de dire « non >) à sa mère. Elle avait pris au sérieux à la fois ce que je lui avais dit au sujet de ce « non », et le fait que sil mavait fallu interrompre lanalyse, je nen aurais pas été fâchée pour autant. Elle a fini par croire
VII- LE CONTRE-TRANSFERT
à ces vérités quelle avait déniées. A partir de ce moment, ses sentiments envers lanalyse changent radicalement. Elle a commencé à souffrir vraiment, surtout pendant les week-ends. Une heure de séance ne suffit plus, elle me veut tout le temps, et, tout en faisant son travail plus efficacement et en vivant sa vie différemment, elle vit dans son analyse toute la journée.
Enfin, le transfert devient réalité pour elle. Elle a du mal à plier la couverture du divan après la séance, à décider sil lui faut ou non rentrer les bouteilles de lait quelle trouve à ma porte.. Ce sont d anciennes difficultés, et elle saperçoit quelle souhaite faire tout le contraire. Là, jai pu lui faire toucher du doigt combien ses sentiments à mon égard avaient été reportés sur ces objets. Elle se dit écartelée (selon sa propre expression, je ne lai jamais utilisée moi-même), et, écartant les mains lune de lautre, elle me montre comment les morceaux sont dispersés. Je lui rappelle quà un moment de sa vie, une part de sa personne était là, alors que lautre était restée en Allemagne, en IsIe. Elle découvre quelle voulait me regarder « à la déro-4 bée », et quelle a eu à mon égard deux croyances, lune que jétais sa mère, lautre que jétais Isle. Elle avait conservé les deux avec la force de lillusion et une qualité hallucinatoire quelle peut maintenant commencer à dissiper c en vérifiant consciemment la réalité. Le vol est alors entré directement dans le transfert, et elle sest surprise à voyager sans payer pour venir aux séances.
A cette époque, elle éprouva la haine que je ressentais pour elle de manière plus intime quauparavant, dune façon qui signifiait quelque chose dauthentique pour elle. Un jour, nous nous sommes rencontrées par hasard au concert, et, à sa grande surprise, elle ma trouvée ensuite dans la loge des musiciens : « Jignorais que vous connaissiez X », dit-elle, furieuse. Elle a découvert le lendemain quelle avait voulu dire : « Quel droit avez-vous dêtre là ? » Dès lors, je peux lui montrer (3avais souvent essayé) comme elle a tenté de me contrôler magiquement et de mavoir partout avec elle. La plupart de ses sorties au concert signifiaient y aller avec moi : my trouver vraiment avait dérangé son fantasme. Je lui montre aussi ce quaurait signifié pour moi de ly rencontrer souvent, davoir à lutter contre sa possessivité, car dans lidée quelle se faisait delle-même, exprimée dans son attitude et dans ces dernières paroles, elle ne sappropriait pas seulement ma personne, mais le concert entier - artistes et compositeurs compris.
La reconnaissance de son fantasme de toute puissance la ainsi amenée à réaliser quelle avait attendu de son analyste quelque chose dinaccessible et de magique. Elle avait cru que lanalyste renverrait son man, ses enfants, sa mère, ses frères et sa sur dans son enfance, et ramènerait à la vie son père et IsIe. Ses regards « à la dérobée » lui permettent vraiment, pour la première fois, de me voir comme une personne : « jai découvert quelque chose, cest très pénible et pourtant, je suis si heureuse. Jai découvert que je ne savais rien de vous. Quelle idiote jai été de faire tant defforts pour faire de vous ce que vous nêtes pas. Quoi que jai pu penser en savoir, quelque lutte que jai pu mener pour comprendre, en lisant Freud et Mélanie Klein, cétait tellement futile ! Je me sens si stupide. Jessayais de vous contraindre. Jen suis tellement désolée ! »
Je lui dis quelle na pas à lêtre. Elle me foudroie du regard et explose : « Je le serai si je veux ». Puis elle me fait part de son jeu secret d« associations » : elle pense à un parfum, à un immeuble, à un livre, etc., pour « associer » avec moi. Maintenant, ses « coups dil à la dérobée » lui montrent combien tout cela a été irréel.
Le lendemain, javais pris froid, ce quelle ressent comme une impossibilité à parler, comme Si tout ce quelle dirait pouvait matteindre. Elle reconnaît quelle veut quelque chose de magique, deux choses contradictoires, à la fois être là et partir, me protéger et me détruire. Elle a vu désormais quen aucun cas, lanalyse ne pourrait rendre cela possible. Je lui parle du monde intérieur de son imagination, et de celui de la réalité extérieure ; cest seulement dans un monde intérieur quil peut en être ainsi, et bien que son monde intérieur et le mien puissent parfois se rencontrer, ils ne pourront jamais être le même. Elle reste silencieuse et, à ce que jen crois, presque endormie. Elle se cache sous la couverture. Quand elle en émerge, elle dit quelle a fait lessai - elle a pensé : « Si je reste calme, je peux être ici et ne pas y être. Et vous, dormez, ma chère, Si vous voulez ! » Elle se sent soulagée et complète car cela a marché. Je lui dis quelle a relié le monde intérieur et le monde extérieur, sautorisant à posséder le sien propre, et moi le mien. Elle a été une personne complètement et sest séparée de moi.
Le jour suivant, elle constate quelle a pu faire quelque chose dimprévu à limpromptu, et le bien faire. Cela na jamais semblé possible auparavant. Elle a découvert une nouvelle sorte de sentiment, quelle ne comprend pas ; elle a éprouvé de la gratitude pour quelquun quelle naime pas, et a pu aider quelquun dautre dune façon nouvelle. Elle sen est sentie différente, tant à légard dautrui que delle-même. Avant, elle était « arrogante », maintenant, elle peut être amicale et saimer elle-même. Je remarque quelle a découvert quelle pouvait aimer et détester la même personne, et quelle na donc pas besoin de me couper en deux pour évoquer une partie de moi-même.
Elle me rapporte alors un incident survenu quand elle avait quatre ans. Elle était sortie avec son père et tenait à la main un petit bâton de la taille dun pénis. Il le lui prit, le jeta dans le torrent, et le lui montra flottant sous le pont. Il lui dit que cétait son mauvais caractère. Elle ne pensait pas
que cela puisse avoir le moindre rapport avec elle, car elle nétait pas de méchante humeur à ce moment-là. Elle voit maintenant quelle avait vraiment cru que cétait le pénis de son père ; et elle avait été irritée et déçue quil le lui prenne. Elle sait maintenant quil est vrai, comme je le lui ai dit, quelle na jamais pu faire le deuil de son père, car sa mort na « aucun rapport avec elle )>, elle « ne la pas provoquée par sa colère )> mais elle croyait quand même lavoir fait.
A ce point, nous pouvions voir beaucoup plus clairement que, dans la première partie de son analyse, beaucoup de difficultés avaient surgi de par son inaptitude à symboliser. Par exemple, elle avait souvent lutté contre elle-même pour décider Si elle devait ou non rentrer les bouteilles de lait quelle trouvait sur le pas de ma porte. Il lui avait été absolument impossible den décider, et de mon côté, inutile den interpréter quoi que ce soit, ou de lui dire quil était sans importance quelle le fasse ou non. Maintenant, elle peut voir que pour elle, les bouteilles de lait non seulement me « représentaient >~ (comme je le lui avais dit>, mais étaient moi, et quelle avait souhaité les éjecter dun coup de pied, comme elle avait été éjectée par ses parents et par la voiture qui lavait renversée. Mais, dans son illusion, cela voulait vraiment dire éjecter. La couverture avait eu la même signification. Maintenant, enfin, elle en est libérée, quelquun dautre peut plier la couverture et me monter le lait. Elle nen est plus responsable.
Son ambivalence est devenue plus nette. « Je vous hais parce que je vous aime tant », dit-elle ; et aussi : « Soyez damnée, soyez brisée, soyez bénie de ce que je vous aime tant ! »
La séparation est donc acceptée ; la fusion et la perte didentité font plus de difficultés. Elle a du mal à ladmettre, ce qui va de pair avec sa difficulté à se permettre de seulement maimer ou seulement me haïr de tout son cur, maintenant que je suis celle envers qui elle éprouve ces deux sentiments, au lieu dêtre la personne aimée alors que sa mère est haïe, ou la personne haïe alors que IsIe est aimée.
Elle décrit comment elle se sent « à lintérieur dune capsule », dont elle essaye de sortir, mais en même temps perdue quand elle en sort. La capsule est transparente et même invisible. Ce souvenir lui revient : alors quelle avait dix ans, elle avait dessiné du pied un cercle sur le sable ; se croyant seule, elle sétait mise à danser à lintérieur, et elle avait été complètement abasourdie lorsque quelquun avait décrit devant elle de quoi elle avait lair en le faisant. La même chose sétait produite plusieurs années après à lécole, quand elle avait mangé des morceaux de pain Sans savoir quelle pouvait être vue.
Ici enfin, se fonde, selon ses propres dires, lillusion sur laquelle elle a vécu, et qui a constitué sa vraie défense contre lanalyse.
Je fais alors le rapprochement avec une observation que javais faite quelques temps auparavant : je pensais que, empêchée par quelque écran de la voir directement, elle avait été témoin dune scène primitive dans un miroir. Javais parlé de la difficulté, pour une enfant, à comprendre le miroir, Si quelquun nest pas là pour lui montrer son image réfléchie, où sil ny a pas un objet familier et identifiable quelle puisse voir à la fois dans le miroir et en dehors. Elle dit : « Vous mavez déjà parlé de cette vision de mes parents dans le miroir, et je ne lai jamais cru. Je ne men souviens pas, mais je sais de quel côté est mon berceau : il est à droite, et je le sais. Je vois une chambre, dont les meubles me sont inconnus, je nen reconnais aucun. » Puis elle se souvient avoir entendu dire que, lorsquelle avait deux ans, son père avait pris un nouvel emploi, et que la famille avait alors habité à lhôtel pendant un court laps de temps. Pour autant quelle se souvienne, cétait la seule fois où elle avait dormi dans la chambre de ses parents, et le souvenir en avait été dénié.
La « capsule », parmi dautres choses, représente son identification au père, ce père magique que rien ne pouvait atteindre. Elle représente aussi le pénis invisible et magique grâce auquel elle pouvait faire un avec sa mère et avec IsIe. Elle avait gardé IsIe invisible - jusquà ce que sa mort brise la capsule et la révèle. Mon identification à Frieda dans son chagrin et sa perte restaura la capsule, mais avec moi à lintérieur à la place de IsIe.
Cest ce qui rendit possible le deuil de son père et celui de IsIe, à travers lanalyse du transfert, qui avait été jusque là impossible.
Pour elle, briser la « capsule » - dissiper ses illusions - avait signifié être annihilée, à la fois par séparation et par fusion. Ce nest que Si quelquun dextérieur pouvait la briser par la force et sans dommage, quelle pourrait sen sortir comme une personne vivante et ayant des sentiments, et seule une personne ayant des sentiments authentiques pouvait le faire, en mobilisant ses propres sentiments. Chaque chose devait rester fixée, magiquement et de façon invisible, hors datteinte des impulsions amour-haine primitives et destructrices. Maintenant, elle est assise sur les ruines du monde quelle a détruit, et cherche les moyens de le reconstruire - non pas en essayant de ramener à la vie son père et IsIe, ou de faire ses parents heureux il y a quarante ans et plus, mais en le reconstituant imaginairement par de nouvelles activités créatrices, déjà au travail chez elle, que nous appelons sublimation.
Elle est désormais plus heureuse quelle ne la jamais été, et plus malheureuse à la fois. Son deuil nest pas encore accompli, mais elle est sur la bonne voie. Sa maison est un endroit plus solide pour son mari et pour ses enfants, car elle peut affirmer une chose et sy tenir, elle peut avoir un différend avec son mari sans faire de furieux éclats devant les enfants comme elle le faisait auparavant, et permettre à chacun dêtre un individu particulier.
Sa vie sexuelle était jadis perturbée, elle peut maintenant y prendre plaisir, et avoir un orgasme génital. Les éruptions épidermiques sont rares, et le monde dans lequel elle vit devient sain et normal (bien que puissent sy passer des folies) au lieu dêtre hostile, antisémite et fou. Elle sait que cest grâce à la mort dIsle quelle se sent mieux. Elle a accepté davoir pris plaisir à la mort dIsle, elle a accepté sa haine, son amour destructeur et sa tristesse.
Je nai pas étudié ici la psychopathologie très complexe de ce cas. Pour lheure, il me suffit de dire que sa capacité à développer un sens de la réalité a été sérieusement réparée. Symbolisation et déduction ont été remplacées par une pensée concrète. Auparavant, elle était incapable de faire la part des impressions visuelles et auditives réelles et des hallucinations, ou de la réalité et de lillusion. De léclatement de son moi alors quil nétait encore quun moi corporel, avait résulté une incapacité permanente à séparer perceptions et déductions exactes de celles quelle avait imaginées. En conséquence, tous ses transferts étaient illusoires, et toutes ses relations étaient fondées sur eux.
Il fallait traverser ces couches successives déclatement et de déni, et ainsi latteindre au niveau dune dépendance sans espoir, et dune non-séparation, au niveau de son illusion paranoïde. Comme toutes les autres illusions, celle~i nétait pas susceptible dune interprétation de transfert. Elle devait être brisée le plus directement possible, cest-à-dire par lanalyste en tant que personne dans la réalité.
VII. IMPLICATIONS TECHNIQUES
Nous constatons de plus que beaucoup de patients sont incapables de faire des interprétations de transfert avant que ne soit intervenu un changement qui le rende accessible. Cela nous conduit à poser la question : quelles sont les modifications nécessaires dans la technique ? Et par ailleurs dans la théorie de la technique ?
Les difficultés à faire accepter au patient les interprétations de transfert, le surgissement de tensions soudaines et imprévisibles qui souvent aboutissent à un violent acting-out - cela, et bien dautres choses, a été considéré comme résultant dune insuffisance chez lanalyste : analyse insuffisante, refus dadmettre ses propres angoisses, acting-out de sa part.
Verbalisation, compréhension et interprétation ont été considérées comme tout à fait importantes. Mais le besoin dune perlaboration a été reconnu depuis longtemps comme un processus nécessaire en analyse. Il est très important de comprendre ce qui se passe dans ce processus et Si quelque chose peut être fait pour laider.
A considérer des cas comme celui que jai décrit, nous découvrons que les patients dont le sens de la réalité est sérieusement perturbé, qui ne peuvent distinguer illusion ou hallucination de la réalité, sont dans limpossibilité dutiliser les interprétations de transfert, parce que le transfert lui-même est de nature illusoire. Linterprétation du transfert appelle lutilisation de la pensée déductive, de la symbolisation, et lacceptation de substituts. Il est impossible de transférer ce qui, nétant pas là, ne peut lêtre, et lexpérience infantile na pas permis à ces patients de pouvoir construire ce qui a besoin dêtre transféré, ou une image de quelquun sur qui le transfert soit possible. Ils vivent encore dans le monde primitif de la prime enfance et leurs besoins sont à situer à ce niveau, soit au niveau du narcissisme primaire et de lillusion.
Il faut trouver le moyen de présenter la réalité à ces patients ; la plupart dentre eux sont incapables de lutiliser telle quelle se présente dans leur vie quotidienne.
La réalité qui est présente, sûre, dans toute analyse, est lanalyste lui-même, sa fonction, sa personne et sa personnalité. Cest à lui de trouver ses propres moyens de les utiliser pour rencontrer les besoins individuels de ses patients, de trouver ce qui est faisable, et de définir ses propres limites à maîtriser les angoisses de ses patients, autant que possible en déterminant consciemment ce quil fera ou ne fera pas, mais en étant déterminé à agir sur les impulsions et, à loccasion, à réagir. Cest, pour une part, son acceptation de lui-même tel quil est.
Dans les premiers temps de lanalyse, aucun analyste navait une expérience analytique personnelle, ou très peu (que ce soit pour lui-même ou pour les autres). Et à cette époque, l(< analyse sauvage » a certainement conduit à des situations dangereuses, qui ne pouvaient plus être maîtrisées. Mais aujourdhui, les conditions diffèrent, et laffirmation que certaines choses sont dangereuses ou font obstacle à lanalyse, peut être mise à lépreuve.
Beaucoup de Ces affirmations semblent relever du caractère mythique et superstitieux des jugements du surmoi.
Il nous faut reconnaître dans lanalyse le même paradoxe que celui qui surgit dans dautres domaines de la vie - la même chose peut à la fois être bonne ou mauvaise, ce qui semble le plus sûr peut aussi bien être dangereux ou inutile. Cest aussi vrai de linterprétation du transfert que peut lêtre, pour lanalyste, de répondre aux questions du patient, dexprimer ses sentiments, dagir sur la tendance, etc. Le plus important est de garder une attitude souple et confiante, et la force (en tant que le contraire de la rigidité) et la volonté dutiliser toutes les ressources disponibles.
Ce que jai tenté de montrer, cest que nous pouvons obtenir les résultats que nous cherchons tous à obtenir et que nous attendons, Si nous sommes disposés à considérer lattitude de lanalyste à légard de son patient sous un nouvel angle, et à admettre quelques unes des choses qui ont en fait lieu dans lanalyse, mais que souvent nous méconnaissons ou ne vouIons pas admettre.
Je ne les ai moi-même reconnues que progressivement. Jai développé ma méthode de travail depuis 1937, avant de devenir didacticienne. Plus tard, jai tenté dabandonner le parti que javais déjà pris, pour me livrer à une technique plus classique, ou moins « in orthodoxe», et jai échoué avec nombre de patients dont je sens encore que jaurais pu et que jaurais dû les guérir. En pratique, ce que je fais varie beaucoup dun patient à lautre. Cest en soi une expression de la personnalité du patient, et la confirmation que je ne lui impose pas quelque chose qui ne lui appartiendrait pas mais mappartiendrait en propre. Cette approche a des avantages, et aussi des inconvénients. Une mesure quantitative nest jamais possible en analyse, mais les tests usuels et les contrôles peuvent sy appliquer, comme à notre travail tout entier.
La première estimation de la maladie dun patient peut-être réévaluée à la lumière de sa réponse aux interprétations de transfert. ~i de telles interprétations sont ressenties par lui comme dénuées de sens, même Si en fait il montre que quelque part, elles signifient quand même quelque chose pour lui ; ou Si, au contraire, elles sont acceptées, mais sans changer son comportement ou sa manière de penser, je considérerais lun et lautre cas comme pathognomonique, les défenses étant plus importantes dans le second cas que dans le premier.
Cela signifie quil faut trouver les manières de rendre le moi accessible aux interprétations de transfert, et, quelles quelles soient, il faudra les soumettre à un examen minutieux.
Mes questions seraient les suivantes :
1- Pourquoi fais-je ou dis-je cela ?
2- Comment cela se rapporte-t-il à ce qui est en moi conscient ou inconscient ?
3- Pourquoi cela vaut-il pour W et pas pour Y ?
4- Ferais-je ou dirais-je cela à ce patient en dautres circonstances, un autre jour, à un autre moment ? Quel effet en résulte, et pourquoi ? Est-ce suivi de lapport dun matériel nouveau ?
5- Y a-t-il quelque vrai développement du moi ? Les mêmes résultats pourraient-ils être obtenus autrement ? Plus vite ? Mieux?
6- Sil en est ainsi, comment et pourquoi? Et pourquoi nai-je pas fait quelque chose de différent ?
On ne peut toujours répondre parfaitement à ses propres questions. Parfois, les réponses se montrent erronées. Parfois, on ne trouve pas de réponse, sauf que cest tombé au bon moment, ou que cétait la seule chose que lon a trouvé à dire au moment où il fallait dire quelque chose. Habituellement, ce qui sensuit montre Si cétait juste ou non ; et quand nous constatons quune analyse avance bien là où lon a fait quelque chose dinhabituel, notre confiance dans nos propres processus inconscients saccroît. Il semble que nos contre-résistances cèdent plus vite ; le travail analytique se poursuit souvent à un niveau plus élevé, et la plus grande spontanéité de lanalyste aide le patient à laisser tomber sa rigidité et sa stéréotypie.
La difficulté essentielle vient de ce quil sagit là dune situation générale imprévisible. Cela ne veut pas dire que tout échappe au contrôle, bien que le patient le ressente souvent ainsi. Cest plutôt une situation dans laquelle tout peut arriver. Le risque, naturellement, est que peut survenir un soudain « déclenchement » chez le patient, ou chez lanalyste quand apparaît un acteur inconnu. Il sagit là, encore une fois, de quelque chose qui peut arriver dans toute analyse et qui doit, dans ce cas, être traité.
Le compte rendu que je viens de faire de lanalyse dune patiente, condensé comme il a dû lêtre, pourrait prêter à malentendu. Les variations dans la technique que jy ai mises en évidence ne sont pas toujours claires quand elles le sont, leffet est exactement celui dune interprétation juste. Elles produiront dabord un rejet, pour être acceptées plus tard, ou seront immédiatement acceptées, à moins que ne se produise apparemment aucun effet immédiat, et quil apparaisse plus tard quil y en avait eu un. Quand ces variations ne sont pas manifestes, à nouveau, quelque chose peut se produire, ou non, comme avec les interprétations habituelles. De même, les interprétations ordinaires, Si elles viennent au bon moment et Si elles sont appropriées, ont un effet juste. Si ce nest pas le cas, leffet est négatif, et il y a faute, semblable à toute autre faute. Dans lanalyse de Frieda, les variations que jai soulignées ont réussi. Ce nétaient pas des erreurs. Je pense quil ne sagissait pas non plus dun coup de chance, car jai fait lexpérience de choses semblables dans nombre dautres analyses, avec des résultats similaires.
Le but de ces variations est tout à fait clair: il est de rendre le moi du patient accessible a linterprétation de transfert en cassant un transfert illusoire.
Linterprétation na pas dinfluence sur lillusion. La seule chose qui en ait, est la présentation de la réalité dune manière comparable à léveil dun rêve : on saperçoit que ce que lon a cru être vrai ne lest pas, en le confrontant à ce qui est vrai. Cela ne fait pas de linterprétation ordinaire une redondance, ce nen est pas non plus un substitut. Cela ne liquide pas toute résistance. Le travail dinterprétation habituel doit se faire avant des épisodes tels que ceux que j ai décrits, se poursuivre pendant quils ont lieu, et après, et reste toujours la part essentielle de lanalyse. Sans lui, le reste serait inutile, mais, dans le cas où le transfert lui-même est de nature illusoire, ces variations sont la seule possibilité de donner à linterprétation de transfert sens et utilité, car cest à partir delles que lon peut mettre à jour un être humain derrière les interprétations.
VIII. CONCLUSION
Jai essayé de mettre en évidence certains éléments que, pour une part, je considère comme essentiels de la réponse totale de lanalyste aux besoins de ses patients, quelques voies possibles pour les utiliser directement, et le genre deffets que jai constatés en en faisant ainsi usage. Je pense quil y a, dans toute analyse, des éléments qui doivent, jusquà un certain point, être éclaircis. Ils apparaissent de façon plus manifeste dans lanalyse de patients très perturbés, mais aussi dans celle des névrosés. Ils sont là, implicites ou explicites, dans toute analyse bien menée et réussie, et certains le sont même dans toute analyse partiellement réussie. La haine totale ou lamour total de lanalyste pour son patient, qui donne force et élan à sa réponse totale, comporte à la fois des éléments de base, invariables, et dautres, qui ne le sont pas. Lanalyse, aussi loin que la participation de lanalyste est en cause, dépend pour lessentiel de la qualité des éléments de base invariables. Cette qualité, à son tour, dépend du point jusquoù le monde dans lequel vit lanalyste est sam et chaleureux - cest-à-dire jusquà quel point lanalyste a été capable de négocier ses propres angoisses paranoïdes et sa dépression - lesquelles sont inséparables du travail quil effectue. Sil peut compter sur ces éléments invariables, et par conséquent sur lui-même, les patients considèreront probablement quil est sans danger de faire de même, et y viendront progressivement. Dans le cas contraire, ce sera non seulement dangereux à leurs yeux, mais aussi impossible.
Cest ce facteur de base invariable qui assure la stabilité de lanalyse (encore une fois, pour autant que lanalyste est en jeu>. Les éléments variables, les contre-transferts inconscients, les variations au jour le jour ou dheure en heure dans les tensions quil porte en lui, sa santé, ses intérêts extérieurs - tout cela aura tendance à faire difficulté, surtout Si le champ de variation est trop étendu. Ces éléments font également partie de la responsabilité de lanalyste. Il doit veiller à ce que leur champ de variation ne soit pas trop large, et à ce que ces variations ne se fixent pas ou ne se modifient pas trop. Mais ces éléments, comme tous ceux auxquels jai fait référence, peuvent aussi bien être bénéfiques que nuisibles. Ils font partie de la vie de lanalyste, et ils font la vie et le mouvement de lanalyse.
Car lanalyse est chose vivante, et comme tout être vivant, elle est en perpétuel changement. Même Si la psychanalyse nexiste que depuis peu, nous pouvons déjà constater les nombreux changements quelle a subis, surtout dans le domaine de la technique. Nous traitons aujourdhui des patients que lon aurait dits inanalysables il y a seulement quelques années. Mme Klein nous a rappelé récemment que lanalyse denfants et linterprétation du transfert étaient jadis tout à fait désapprouvées. Nous ne pouvons prévoir ce que deviendra lanalyse. Nous ne pouvons que savoir quelle changera, que nous contribuons à son avenir, et que les changements qui sont en train de se produire paraîtront tout autres à ceux qui nous succéderont.
Le « contre-transfert », aux sens multiples du terme, est un phénomène familier. Dabord, tout comme le transfert, il fut considéré comme dangereux, indésirable, mais malgré tout inévitable. De nos jours, il est même respectable
Mais jai le sentiment quil devrait être beaucoup plus. Nous ne connaissons pas assez ce que sont nos réponses à nos patients, et nous avons mis (en toute sagesse) beaucoup de prudence à en faire usage. Mais, quon
le veuille ou non, elles contiennent une très grande quantité dénergie psychique, et Si nous voulons tirer le meilleur bénéfice de cette énergie, il nous faudra bien en faire lexpérience, et même prendre certains risques.
Je suis certaine quune telle expérimentation, conduite par des analystes formés et compétents, est capitale pour la diffusion et le développement de la psychanalyse, mais il est indispensable de lappuyer sur un fond de responsabilité, de reconnaître le contre-transfert, et de laccepter volontairement.
BIBLIOGRAPHIE
I. BALINT Alice et BALINT Michael (1939), « On Transference and Counter-transference». Int. J. Psycho-AnaL. 20.
2. FREUD Sigmund, L interprétation des rêves (I 930).
3. Id., la Technique psychanalytique, PUF.
III. « Perspective davenir de la thérapeutique analytique » (1910).
IV. « A propos de la Psychanalyse dite sauvage » (1910).
VI. « La dynamique du transfert » (1912).
VII. « Conseils aux médecins sur le traitement analytique » (1912).
XII. « Les voies nouvelles de la thérapeutique psychanalytique » (1919).
4. Ferenczi Sandor, Oeuvres complètes, T.IV,
III. « Elasticité de la technique psychanalytique » (1928).
IV. « Principe de relaxation et néocatharsis » (1930).
VII. « Analyse denfants avec des adultes « (1931).
IX. « Confusion de langue entre les adultes et lenfant » (1933).
X. « Réflexions sur le traumatisme » (non daté).
XXI. « Notes et fragments »
5. HULL LEWIS B., Psycho-Therapeutic Intervention in Schizophrenia (1955).
6. LITTLE Margaret, « Le contre-transfert et la réponse quy apporte le patient » (1951).
7. ORR Douat 5 W., « Transference and Countertransference : A Historical Suivey » (1954), J. Arn. Psychoanal. Ass., 2.