Acheronta  - Revista de Psicoanálisis y Cultura
"R" - La réponse totale de l'analyste aux besoins de son patient
Margaret Little

Version developeé d’une communication prononcee á
une Réunion scientifique de la Societé britannique de Psychanalyse le 18 janvier 1956.
Publiée au volume 38 de mai-aout 1957, de l' International Journal of Psychoanalysis

I. INTRODUCTION

Chacun des thèmes abordés dans cet article (1) mériterait un article á lui seul. Les envisager ensemble dans toutes leurs intrications m’oblige á condenser, prenant ainsi le risque de n’être pas comprise, en raison de l’inévitable distorsion et de la perte de clarté qui s’ensuivront. De plus, cet article en devient long et pesant. J’espère rendre plus tard meilleure justice á mes thèmes, lorsque je pourrai les développer séparément.

Les idées que j’avance ici font suite á celles que j’ai précédemment développées dans mon article "Le contre-transfert et la réponse qu’y apporte le patient ". Elles me sont venues á la fois de l’analyse de mes patients et de ma propre analyse. Je les illustrerai par le matériel issu de l’analyse d’un seul patient. La plupart de ceux que j’ai analysés entrent dans la catégorie connue sous le nom de « psychopathie » et « névrose de caractère », certains de ces patients étant sérieusement malades et perturbés, avec une grande angoisse psychotique. Bien que la plus grande part de ce que j’ai á dire semble s’appliquer plutôt aux patients de cette sorte, je pense que ces assertions ne doivent en aucun cas être limitées á ces derniers, mais s’appliquer au contraire á la fois aux névrosés et aux psychanalystes.

II. LE SYMBOLE ‘R’

Dans mon précédent article, j’ai tenté de trouver la définition qui convienne le mieux au terme de "contre-transfert", et j’ai indiqué qu’iI est essentiellement utilisé pour signifier tout ou partie de ce qui suit :

1. L ‘attitude inconsciente de l’analyste envers son patient.

2. Les éléments refoulés non analysés chez l’analyste lui-même, qu’il reporte sur le patient de manière iden tique a celle dont le patient « transfère » sur son analyste des affects éprouvés envers ses parents ou les objets de son enfance : l’analyste considère son patient (momentanément et de façon variable) comme il considérait ses propres parents.

3. Quelque attitude ou mécanisme spécifique par lequel l’analyste rencontre le transfert de son patient.

4. La totalité des attitudes et comportements de l’analyste envers son patient, ceci comportant toutes les attitudes conscientes quelles qu’elles soient, et toutes les autres.

Humpty Dumpty disait : " Quand je me sers d’un mot, il veut dire exactement ce que j’ai décidé qu’il voudrait dire - ni plus ni moins ». Et quand Alice lui demanda comment il était possible de faire dire aux mots tant de choses différentes, il répondit : « La question est de savoir qui sera le mai tre - c’est tout ». Notre difficulté ici est de trouver un mot qui ne signifie pas autant de choses différentes qu’il y a de personnes a l’utiliser.

Outre la confusion possible entre ces diverses significations, il arrive aussi que le terme de « contre-transfert » soit investi d’une charge émotionnelle qui rend la discussion difficile. II est évidemment impossible d’éviter ou la confusion, ou la charge émotionnelle mais, pour réduire l’un et l’autre au minimum, j’introduirai un symbole, ‘R’, afin de marquer ce dont je parle quand je le définis comme étant la réponse totale de l’analyste aux besoins de son patient, quels que soient les besoins, et quelle que soit la réponse ».

‘R’, dés lors, comprend tout ce qui est conscient et tout ce qui est inconscient - tout ce qui est inconscient consistant en ce qui est refoulé (normalement ou pathologiquement), et bien des choses qui n’ont jamais été conscientes. En d’autres termes, ‘R’ comprend des éléments qui appartiennent á la fois au moi, au surmoi et au ça de l’analyste. Ce qui correspond á la quatrième définition mentionnée ci-dessus.

Je n’utiliserai le terme de « contre-transfert » que pour la seconde de ces définitions, et I’on verra que « contre-transfert » n’est dés lors qu’une

III. DÉFINITION DE LA « RÉPONSE TOTALE»: «BESOINS »

a) réponse totale

En utilisant l’expression « réponse totale », j’ai délibérément choisi un mot passe-partout, et je tiens a clarifier ma position en ce qui le concerne. ¡e ¡’utilise pour regrouper tout ce qu’un analyste dit, fait, pense, imagine ou ressent au cours de l’analyse, relativement á son patient.

Tout patient qui vient en analyse a certains besoins, et á ceux-ci son analyste répond de diverses manières. La réponse est inévitable et peut s’évaluer. Elle est une part indispensable de l’analyse, qui contribue pour beaucoup a sa dynamique. Elle résulte d’un équilibre, d’une interaction et d’une fusion entre l’amour et la haine de l’analyste envers son patient.

On distingue souvent ce que dit et ce que fait I’analyste dans les cures de ses patients, en « interprétation » et « comportement », et la croyance usuelle est que seule l’interprétation est d’un réel usage pour le patient. Une telle distinction est en soi fausse, car faire une interprétation fait partie du comportement, de même que la forme qu’on lui donne ou le moment choisi pour la faire, etc. 11 en va de même pour la poignée de main que donne ou refuse l’analyste, les conditions qu’il définit pour le patient et pour lui-même, son silence, son écoute, ses réactions ou son absence de réaction.

Tout cela est l’expression de ses sentiments, conscients ou inconscients. Si important soit ce dont il est conscient, ce qui demeure inconscient l’est toujours beaucoup plus, et exerce une pression plus forte que celle qu’imprime ce qui est conscient.

On peut s’imposer des limites, et faire en sorte que le nombre d’interprétations soit maximum, et celui des autres modes de comportement minimum. Mais une trop grande restriction aboutit á la rigidité et au stéréotype.

De telles limitations ne peuvent en aucun cas être absolues ou standardisées. Le pourraient-elles que ce ne serait pas souhaitable, car cela ne ferait qu’introduire trop tôt la négation d’un principe de base, á savoir la valeur de l’individu (au regard de lui-même comme de la société), que cet individu soit l’analyste ou le patient.

b) besoins

Dans ce contexte, « besoin » est un autre mot passe-partout, tout aussi délibérément choisi. Dans tous les cas, le besoin dernier est bien l’acquisition d’un discernement et d’une évaluation accrus de la réalité. Mais nombre de patients gravement malades ont d’autres besoins, qui doivent être 1rencontrés en chemin ; sinon, l’analyse devient impossible. Le plus évident d’entre eux est l’hospitalisation, mais en outre, l’analyste doit intervenir en bien d’autres occasions : dispositions a prendre avec le médecin de famille pour les soins, contrôle des sédatifs, contacts avec l’entourage et les amis, contrôle des acting out (souvent nécessaire a la sécurité du malade) tout cela peut répondre a des besoins nécessaires, en dehors de la routine habituelle qui fixe les conditions de l’analyse, telles que les arrangements financiers, l’heure des rendez-vous et, bien sur, le choix initial du patient. Sans ces précautions, dans bien des cas, aucune compréhension, aucune interprétation, si juste et si prudente soit-elle, ne permettra que l’analyse soit menée a bien. Grâce a elles, cela devient possible, même si elles peuvent être ressenties, a la fois par l’analyste et par le patient, comme des entraves ou des lenteurs. Seule l’issue de l’analyse dira s’il en a été ainsi ou non.

 

IV. RESPONSABILITÉ. ENGAGEMENT. SENTIMENTS. LIMITES.«DÉPASSEMENT».

a. La responsabilité de l’analyste

En analyse, la responsabilité n’est pas simple ; l’analyste n’a pas seulement une responsabilité envers son patient, il en a une envers lui-même, envers la psychanalyse et la communauté analytique.

Son patient, ou la société, aimeraient lui faire endosser maintes responsabilités, mais la sienne a tout de même ses limites.

Pour la totalité de sa réponse aux besoins de son patient, la responsabilité de l’analyste est de cent pour cent. J’ai examiné attentivement cette assertion, afin de voir si elle devait être nuancée ou modifiée en quelque manière, et n’en ai pu trouver la possibilité.

Les mots, les idées, les sentiments, les actes, les réactions de l’analyste, ses décisions, ses rêves, ses associations lui appartiennent en propre, et il doit en assumer la responsabilité, même s’ils résultent de processus inconscients. II ne pourra la partager avec quiconque la déléguer d’aucune façon. Ce me semble être vrai, invariablement pour toute analyse.

Mais la responsabilité de I’analyste a ses limites : aucun être humain n’est capable d’en supporter plus qu’une certaine somme. 11 n’est pas mutile de rappeler que nul n’est tenu de faire un travail analytique, qu’il s’agit d’un choix, et que rien ne contraint l’analyste á prendre en charge des patients très perturbés. II a le droit de refuser d’entreprendre une cure dans des conditions qu’il estime inadéquates ou hasardeuses, et de refuser de poursuivre si les conditions changent pour quelque raison après que la cure ait commencé. Les analystes eux-mêmes oublient souvent deux évidences : a l’impossible, nul n’est tenu, pas plus que d’avoir une capacité ‘de compréhension et d’interprétation a cent pour cent. Même dans une longue cure, beaucoup d’éléments demeureront incompris, aussi bien de l’analyste que du patient.

Tout patient a besoin, a un moment ou á un autre, d’être informé de la responsabilité assumée par l’analyste (qu’il s’agisse ou non de sa vie ou de ses acting out), et u est surprenant de voir combien peu de patients réalisent la vraie responsabilité prise par l’analyste á leur endroit. Plusieurs auteurs, depuis Freud et Ferenczi, ont souligné la façon dont certains patients utilisent l’analyste comme un moi. Phyllis Greeacre le note : « L’analyste agit comme une fonction extérieure, ou un ensemble de fonctions qu’il prête, temporairement á l’analysant, pour un usage et un bénéfice ultérieurs ». Je pense que c’est aussi vrai en ce qui concerne la fonction de responsabilité de l’analyste que pour toute autre. L’équilibre, dans l’analyse, en dépend, et la capacité ultime du patient á prendre ses propres responsabilités repose sur la possibilité de s’identifier á une personne elle-même responsable et fiable.

b. L’engagement

Prendre ses responsabilités implique d’abord de faire une juste évaluation du patient, tant aux niveaux superficiels que plus profonds. Evidemment, cela ne signifie pas pour autant la reconnaissance immédiate de tout ce que contiennent les niveaux plus profonds, mais de leur existence et de la mesure dans laquelle ils contribuent a l’échec et au succès de la vie du patient et de ses relations, c’est à dire de la proportion et de la manière dont il en est perturbé. II faut que ce savoir soit accru, élargi et approfondi, jusqu’a ce que le changement soit possible. II en est ainsi quand e changement est redouté et que le patient contrôle la situation, gardant pour lui-même des sentiments non exprimés - c’est-à-dire inconscients.

Les véritables sentiments que l’analyste porte à son patient et son désir de l’aider (il faut qu’il y ait quelque sentiment, que nous l’appelions sympathie, compassion ou intérêt à activer le démarrage ou la poursuite de l’analyse) ont besoin d’être exprimés clairement et explicitement, à point nommé, quand ils sont réellement éprouvés et peuvent, par conséquent, surgir avec spontanéité et sincérité.

Les patients très malades, et parfois ceux qui le sont moins, sont incapables de faire des déductions appropriées : que les sentiments de l’analyste soient laissés à leur déduction ou qu’ils soient mentionnés n’a donc pour eux aucune signification. Il leur en faut une expression directe, comment ils surgissent et au moment où ils surgissent (mais pas d n ‘importe quel moment). Dans Souvenirs de la maison des morts, Dostoïevski écrit : « L’impression donnée par la réalité est toujours plus forte que celle que fait une description » - ce qui m’a semblé particulièrement vrai ici. Des sentiments feints seraient plus qu’inutiles, inadéquats. L’absolue retenue de sentiments intenses n’est pas plus utile - c’est inhumain, et cela fausse le but de l’analyse, qui est de permettre au patient d’éprouver et d’exprimer ses sentiments, en lui donnant l’impression qu’exprimer des sentiments n’est permis qu’aux enfants et aux patients, et interdit dans un monde « normal» ou adulte.

Du côté de l’analyste, une absolue retenue de sentiments n’est pas réaliste, et peut provoquer une trop grande demande à son égard. Il doit s’imposer lui-même sa propre limite, mais ce n’est pas du même ordre que de se retenir absolument. Cette difficulté n’existe pas pour les sentiments de moindre intensité, qui peuvent trouver facilement leur expression par des voies indirectes.

J’ai plutôt parlé de l’expression consciente des sentiments, qu’elle soit délibérément prédéterminée ou qu’il s’agisse d’une impulsion consciente. Mais « réagir » est différent. A certains moments, une réaction de type tout à fait primitif, non seulement ne sera pas négative, mais apportera une aide positive. Si un patient en colère me menace du poing et que je recule, la réaction elle-même est un souvenir de réalité : elle lui rappelle à la fois qu’il pourrait effectivement me faire mal, et que je ne suis qu’à un certain niveau la personne qu’il veut blesser. D’autres réactions, non pas uniquement physiques, produiront à l’occasion un effet semblable, et ne sont pas entièrement à négliger. Elles peuvent quelquefois atteindre le moi par des voies qui sont fermées à l’interprétation, tout à fait indépendamment du facteur temps, de leur vitesse.

On a pu faire cette objection : que l’analyste exprime des sentiments constitue, pour le patient, soit une satisfaction excessive, soit un fardeau. Selon et l’aidera aussi à savoir quelque chose de ce qu’il peut provoquer chez l’autre autrement, il n’aurait pu le croire. De même que la responsabilité et l’engagement, les sentiments envers le patient ont leur limite. Les revendications d’autres patients, les exigences de la vie personnelle de l’analyste s’imposent d’elles-mêmes. Le matériel change, les sentiments aussi. A moins qu’il ne soit «amoureux» de son patient, il n’y a aucun risque réel que les sentiments de l’analyste se fixent, ou qu’il doive continuer à les exprimer, ce qui est à craindre Si aucun sentiment n’est exprimé.

Le profit, pour le patient, est également limité. Tôt ou tard, il doit réaliser que personne ne peut aimer ou haïr à sa place, il lui faut l’éprouver pour son propre compte et en assumer la responsabilité. Mais entre-temps, il aura eu en face de lui une personne qui éprouve des sentiments, et la possibilité de s’identifier à elle en projetant sur elle le fait même de ne rien ressentir et en découvrant la projection, et à la fois en introjectant l’analyste qui éprouve des sentiments.

d. Limites jusqu’au bout

J’ai montré que la responsabilité, l’engagement et les sentiments ont leur limite. Elle sera évidemment variable selon les différents types de patients traités et la personnalité de l’analyste. Elle est d’une très grande importance en tant qu’elle fournit des points de séparation.

Quant une limite est atteinte et que le patient en prend conscience, ainsi que de l’impossibilité d’aller au-delà, même Si ses besoins et ses demandes se poursuivent, il prend conscience, du même coup, de sa séparabilité. Si Sa capacité à supporter la séparation est très faible, chaque limite sera atteinte trop tôt, ce sera trop demander à son moi, et quelque réaction (par exemple un violent acting out ou une somatisation) peut s’ensuivre Si la situation n’est pas solidement tenue en mains. Les limites qui sont inhérentes aux capacités du moi, dont la logique et la réalité sont à sa portée, fournissent des points et des lieux où le moi peut être renforcé.

A l’opposé de ces limites, il y a les cent pour cent de responsabilité, d’engagement, et d’acceptation des sentiments et des réactions. Ils correspondent au « sans limites » des idées et des mots permis au patient, et aident à en faire une réalité.

Certains patients sont si malades que leur traitement ne peut réussir sans la dépense d’un énorme effort, à la fois extensif et intensif. Dans de tels cas, la difficulté est toujours d’inciter le patient à aller «jusqu’au bout » ; et c’est seulement s’il réalise que son analyste, pour sa part, va «jusqu’au bout », qu’il comprendra qu’il vaut la peine de faire de même.

 

V. MANIFESTATIONS DE L’ANALYSTE EN TANT QUE PERSONNE

Chacun de ces éléments, responsabilité, engagement, sentiments, etc. entraîne la manifestation ou l’affirmation du self de l’analyste en tant que personne, en tant qu’un être humain vivant avec qui il est possible d’avoir un contact et une relation.

L’idée de l~nel ou du miroir a servi et sert encore, un propos très pertinent : isoler le transfert chez des patients névroses Mais elle peut servir de défense, parfois même d’une manière quasi concrète, non symbolique, aussi bien au patient qu’à l’analyste.

Pour les patients qui souffrent d’angoisses psychotiques, et en particulier pour ceux qui souffrent d’une psychose réelle, un contact plus direct avec l’analyste est nécessaire. Symbolisme et pensée déductive sont indispensables quand le contact direct est restreint, et tous deux font défaut à de tels patients. Leur développement est altéré lorsque les réalités de l’enfance du patient coïncident avec les fantasmes dont il a besoin pour la perlaboration. Dans ce cas, la projection est non seulement inutile, mais tout à fait impossible.

Tout patient teste constamment son analyste pour trouver ses points de faiblesse et ses limites. Il doit découvrir que ce qui est vrai pour son analyste l’est aussi pour lui, c’est-à-dire qu’il y a inadéquation entre la force du moi et la tension instinctuelle. S’il peut prouver que son analyste est incapable de supporter l’angoisse, la folie et le désespoir, tant pour lui-même que pour son patient, il aura la certitude que ce qu’il ressent est obligatoirement vrai. Le monde se brisera et volera en éclats quand sa tension se déchargera, quelle que soit la forme qu’elle prenne ; et encore une fois, puisque lui-même et son analyste sont le même, il va de soi qu’ils sont un et indivisibles. Ç’est pourquoi il est pour lui d’une importance vitale de découvrir non seulement que l’analyste peut supporter la tension et sa décharge, mais aussi qu’il assume le fait qu’il ne peut tout endurer La différence entre l’angoisse et la panique, et la différence entre sa propre angoisse et la peur de l’angoisse de son patient, seront claires Si l’analyste est capable de tomber, de se relever, et de poursuivre. C’est ici que la reconnaissance du contre- transfert, au sens littéral du mot (deuxième définition) est de la, plus grande importance. Il sera peut-être nécessaire qu’il soit reconnu à la fois par le patient et par l’analyste, et son déni par l’analyste, alors même que le patient l’a aperçu, peut avoir de sérieuses conséquences. (Il est suffisant de simplement l’admettre ; les détails regardent l’analyste, mais qu’un contre4ransfert affecte l’analyse regarde le patient, et il a le droit de savoir).

Chaque analyste, bien sûr, a ses propres difficultés à laisser les choses venir, particulièrement en lui-même. Cela rejoint le problème du contrôle, mais il peut être essentiel pour certains patients de voir leur analyste réagir ou agir impulsivement. Connaissant l’origine biologique des réactions au stimuli et de la pulsion instinctive, et sachant que l’activité du moi n’est pas immédiatement et entièrement consciente, je pense qu’il est erroné de les considérer l’une et l’autre comme indésirables ou dangereuses, même dans un travail analytique. Dans tous les cas, quand une analyse évolue vite, et que les idées se succèdent rapidement, ou que les mécanismes changent, il est impossible d’être toujours d’un pas en avant du patient, ou de toujours penser avant de parler ou d’agir. Il se trouve qu’on a dit quelque chose. Si le contact inconscient avec le patient est bon, ce qui a été dit s’avérera en général. Mais le contretransfert inconscient est la chose la plus propre a précipiter une mauvaise réponse, et la seule garantie a cet égard est que l’analyste s’autoanalise continuellement.

L’effet sur le moi de la reconnaissance consciente de l’un ou l’autre de ces éléments chez une personne connue (aussi distincte d’une machine que d’un « type » est de le rendre accessible aux interprétations dans le transfert, et aux autres repérages dans la réalité. j’ai souvent pensé qu’une telle reconnaissance est un point pivot de l’analyse. Par ce biais, un être humain est découvert, saisi, mangé imagmanement, digéré, absorbé, et construit dans le moi (non pas introjecté magiquement) : une personne qui peut assumer des responsabilités, s’engager, éprouver et exprimer spontanément ses sentiments, qui peut supporter tension, limite, échec ou satisfaction et succès.

Le patient est dès lors à lui-même dans son analyse. Son angoisse paranoïde s’allège de façon directe, et les interprétations de transfert peuvent signifier quelque chose pour lui. Il commence à rencontrer la réalité, et à pouvoir établir des relations avec des personnes réelles et non plus avec ses seuls fantasmes. Le développement relationnel devient possible, avec ce qu’il implique : nécessité de supporter la fusion et la séparation, et risque de provoquer des sentiments chez une autre personne, ou d’en éprouver pour quelqu’un.

 

VI. MATERIEL CLINIQUE

Le matériel que j’utiliserai pour illustrer mon propos consiste en une demi-douzaine d’épisodes d’une seule analyse. Cela implique de réduire à dix minutes ce qui s’est passé en dix ans, réduction qui ne pourra donner qu’une image déformée, dont je suis consciente qu’elle ne sera compréhensible que dans une certaine limite.

En fait, cette condensation de dix années en dix minutes est tout à fait appropriée car ma patiente, Frieda, se montra désorientée dans le temps tout au long de son analyse ; elle utilisait le temps d’une manière très personnelle, et qui ne peut être immédiatement comprise. Cette désorientation fut le trait principal de sa régression. Elle ne fit pas de symptômes régressifs, et eut très peu de manifestations régressives pendant les séances.

Elle m’avait été adressée pour kleptomanie, bien qu’elle ne l’ait pas mentionné pendant plus d’un an. Au lieu de quoi, elle parlait de ses difficultés avec son mari et ses enfants. Elle souffrait d’un urticaire de la face, de la vulve et de la face intérieure des cuisses. Outre son mari et moi-même, une seule de ses relations était au courant de sa kleptomanie : une assistante sociale en psychiatrie qui s’était trouvée là quand un policier avait interrogé Frieda. Cette femme, l’ayant vue avec le policier, s’était arrangée pour que les effets volés soient restitués et que Frieda trouve une aide psychiatrique. En Allemagne, l’enfance de Frieda avait été extrêmement traumatisant. Ses parents étaient juifs. Son pere, un homme très brillant, était cependant vaniteux, égocentrique et mégalomane. Sa croyance magique qu’aucun mal ne pouvait l’atteindre le conduisit à rester sur place alors que toute sa famille émigrait, et à trouver ainsi la mort dans un camp de concentration. Sa mère possessive au dernier degré, méchante, est toujours en vie. Elle s’est querellée avec les siens pendant trente ans, puis avec son mari, brisant leur ménage. Elle l’insultait devant les enfants, et dit maintenant de son mariage qu’il a toujours été malheureux. Elle adore les disputes, par goût des réconciliations sentimentales.

Les deux parents exploitèrent leurs enfants. Frieda était responsable du plus jeune. Elle était sensée être au service de son père, forcée d’accomplir ce fait de son propre chef si elle n’en avait pas reçu l’ordre, car elle l’aimait beaucoup. Aux exigences de sa mère dans ce sens, son père répondait en punissant chaque révolte ou défaillance par des coups deicra~ quand elle refusait obstinément de s’excuser auprès de sa mère de lui avoir désobéi. Sa mère la punissait en la frappant, en la traînant dans les escaliers par ses longs cheveux, en l’enfermant dans un obscur placard à balais. Alors qu’elle avait quatre ans, elle fut « guérie » de la masturbation par une série de bains froids d’un quart d’heure. Jamais sa mère n’a oublié ses crimes, même une fois punis, expiés, et ostensiblement pardonnés.

Gardés « au réfrigérateur », ils en sont ressortis vingt ans plus tard dans leur intensité originelle. Elle tente toujours d’exploiter émotionnellement Frieda. Ce portrait des parents a émergé lentement. Ils avaient tout d’abord été décrits comme des gens ordinaires, aimants, et c’est avec une grande surprise que Frieda découvrit qu’elle avait enfoui cette autre image.

Frieda était l’aînée. Elle fut une déception pour ses parents, qui désiraient un fils, qu’ils auraient appelé Friedl, comme le père. Elle n’avait été allaitée que quelques jours, le lait s’étant « taris » après que le père ait plaisanté sa femme de ce que l’enfant ressemblait davantage à l’un de ses amis qu’à lui-même. A l’école, elle était malheureuse, la plupart du temps repliée sur elle-même, tourmentée et rêveuse. Un jour, elle dut subir une remontrance de la part d’un professeur devant tout le personnel et les élèves, pour avoir apporté des morceaux de pain à l’école et les avoir mangés sous son pupitre. Après l’école, elle eut de nombreuses aventures sexuelles, se maria finalement avec un Russe, et vint s’installer en Angleterre. Ses amis la trouvaient capable, douée, cultivée, généreuse. Elle est tout cela, mais derrière cette façade, se cache une enfant profondément malheureuse, d’une sauvagerie impétueuse, impatiente, qui ne supporte ni tension ni séparation. Ses enfants sont le prolongement de son propre corps, comme elle l’a été pour sa mère, et sont inconsciemment exploités, comme elle l’a été elle-même. La kleptomanie apparut progressivement, comme élément d’un ensemble de comportements impulsifs qui la mirent véritablement en danger de multiples façons. Les actions impulsives se produisaient sous le coup de n’importe quelle tension. Les sept premières années de son analyse se caractérisèrent par mon incapacité à rendre le transfert réel pour elle d’aucune manière, ou à l’« aider à le découvrir », comme elle le dit plus tard. L’analyse s’est déroulée selon les variantes ordinaires, dans les limites de la technique analytique reconnue. J’ai fait beaucoup d’interprétations de transfert, mais elles étaient pour elle entièrement dépourvues de sens, y compris le fait que souvent, elle donnait à ses amis et connaissances des conseils ou commentaires fondés sur ce que j’avais pu lui dire, parfois en me les attribuant. Ils n’avaient cependant pas de signification personnelle pour elle, et les changements étaient très minimes. Certes, son état s’améliorait ; elle volait moins, et ses relations avec les autres étaient en général bien plus faciles. Nous étions sur le point d’arrêter, bien que sachant toutes deux que les difficultés essentielles demeuraient. Parfois, j’ai pu l’amener à reconnaître qu’elle transférait quelque chose sur son mari ou sur l’un des enfants, mais jamais qu’elle transférait sur moi. Son attachement émotionnel a sa mère demeurait inchangée, et elle n’était jamais arrivée à faire le deuil de son père:

Elle me raconta cette histoire : une enfant avait pénétré dans une chambre interdite et surveillée non par Barbe Bleue, mais par la Vierge Marie. Les doigts de l’enfant s’étaient couverts de l’or qu’elle y avait trouvé, et pour sa punition, elle fut chassée. Mes interprétations relatives à sa curiosité pour son propre corps ou pour moi-même, le fait que je lui dise qu’elle se faisait de moi l’idée d’une vierge, punissant et interdisant l’or caché, n’avaient aucun sens pour elle. Il semblait que la clé de sa propre porte fermée soit perdue au-delà du champ de nos découvertes.

Soudain, et de façon dramatique, le paysage a changé. Un jour, elle arrive hors d’elle, affligée, toute vêtue de noir, le visage ravagé de larmes, véritablement à l’agonie : IsIe est morte subitement, après une opération, en Allemagne.

J’ai entendu parler d’Isle comme de beaucoup d’autres amies, dont rien cependant ne la distinguait. Je découvre maintenant que la part essentielle du transfert a été placée sur elle et gardée secrète, sans doute à cause de la culpabilité que provoquaient des sentiments homosexuels à son endroit. Elle appartenait à la génération des parents de Frieda, dont elle avait été l’amie, et avait transféré cette amitié sur Frieda lorsque l’enfant avait six ans.

Pendant cinq semaines, cet état de détresse aiguë persista, inchangé. Je lui montrai sa culpabilité quant à la mort d’Isle, sa colère contre elle, et la peur qu’elle avait d’elle. Je lui montrai qu’elle avait le sentiment que je lui avais volé Isle; qu’elle en voulait au monde entier, à sa famille et à moi- même; qu’elle me demandait de comprendre son chagrin, comme IsIe avait compris le malheur de son enfance, et de sympathiser avec elle.

Rien de tout cela ne la touchait. Elle était pratiquement hors d’atteinte ; elle ne pouvait plus ni manger ni dormir, elle ne parlait que de IsIe, qu’elle idéalisait, et dont les photos envahissaient toute la maison. Elle voyait IsIe partout, dans les autobus, dans la rue, dans les magasins, elle courait après elle, pour s’apercevoir finalement qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre. Mes interprétations : qu’elle attend de moi que je ressuscite magiquement IsIe, qu’elle veut me punir et punir son entourage de son malheur, tombaient à plat. Elle ne pouvait plus s’étendre sur le divan. Elle s’a,sseyait quelques minutes, puis se levait et tournait en rond dans le cabinet, pleurant et se tordant les mains.

Il était clair pour moi que sa vie était en danger : risque de suicide ou d’épuisement. D’une manière ou d’une autre, il me fallait mettre un terme à cette situation. Finalement, je lui dis combien sa détresse est douloureuse, pas seulement pour elle-même et pour sa ~ pour moi-même. Je lui dis que nul ne peut la voir dans cet état sans en être profondément affecté, que j’éprouve de la peine, avec elle et pour elle, dans la perte qu’elle a subie.

L’effet èst ~n5t’a~tariaéa~~t< massif. Dans l’heure qui suit, elle se calme et ne pleure plus que de tristesse. Elle recommence à s’occuper des siens, et quelques mois plus tard, elle trouve l’appartement plus vaste dont sa famille avait besoin depuis des années, et qu’elle a déclaré jusque là introuvable. Elle découvre, à emménager dans ce nouvel appartement et à l’aménager, un bonheur dont elle n’avait jamais fait l’expérience auparavant, et qui depuis lors persiste et grandit. Ses impulsions réparatrices sont mises en acte de façon complètement nouvelle.

J’avais souvent parlé â propos de sentiments par rapport à moi-même, mais cela n’avait aucun sens pour elle. Seuls les sentiments vraiment exprimés et manifestés signifiaient quelque chose. Elle ne se souvint que trop clairement avoir dit à sa mère, non sans ironie, qu’elle l’aimait, qu’elle étau désolée de ce qu’elle avait fait, etc. - et ce, pour n’avoir rien à dire de h façon ostentatoire dont sa mère exprimait son amour pour le père, amour qui fut dénié par la suite.

Mais j’avais déjà exprimé mes sentiments en deux autres occasions. L< première fois quand, écoutant pour la centième fois la série interminable de ses plaintes contre sa mère à propos d’argent, j’avais, également pou la centième fois, lutté pour rester éveillée ; je m’ennuyais et, comme d’habitude, aucune interprétation ne l’atteignait, qu’elle concerne le contenu d son discours ou ses mécanismes, le transfert ou ses vœux inconscients. Cette fois-là, je lui dis être certaine que la substance de son discours avait peu d’importance, qu’il s’agissait d’une défense, et j’ajoutai que j’avais de I peine à me tenir éveillée, tant ses répétitions étaient ennuyeuses. Après u silence choqué et horrifié, une explosion de colère chagrine, elle me dit qu’elle était contente que je le lui aie dit. Dès lors, le compte-rendu des querelles s’abrégea, et elle s’en excusait, mais leur signification demeurait obscure. Je sais maintenant que j’étais alors le père (mort) à qui elle aurait pu dire combien sa mère est mauvaise, et qui l’aurait aidée, dans son enfance

à supporter la maladie mentale de sa mère. J’étais également lsle, qui l’aurait accompagnée dans toutes ses difficultés. Mais Si j’avais fait cette interprétation, je suis sûre qu’elle n’aurait pas rencontré plus d’écho que les autres interprétations de transfert.

La deuxième fois, j’avais effectué quelques aménagements de décoration : elle prétendit savoir comment les choses auraient dû être faites. Elle me donnait souvent des conseils très paternalistes, que j’interprétais comme une volonté de me gouverner et de posséder ma maison ; de me dire les choses au lieu de se les entendre dire par moi. Ce jour-là, l’un après l’autre, mes patients m’avaient infligé leurs conseils. Le soir venu, j’étais fatiguée, et voilà qu’au lieu de faire une interprétation, sans penser à ce que je dis, j’énonce avec humeur « Je me moque complètement de ce que vous en pensez ». Une fois de plus, au silence choqué, succède la fureur, puis les excuses, parfaitement sincères. Peu après, elle reconnut que la plupart des conseils qu’elle donnait à des amis ou à des personnes qu’elle croisait à l’occasion dans la rue ou dans les boutiques, pouvaient très bien être offensants et que, dans son angoisse à vouloir contrôler le monde, elle était en fait arrogante et aussi agaçante que la mouche du coche.

Quand je lui ai fait part de mes sentiments au moment de la mort d’Isle, j’ai fait le rapprochement avec ces deux autres moments, et elle me confia que pour la première fois depuis le début de son analyse, j’étais devenue une vraie personne, tout à fait différente de sa mère. Elle avait eu le sentiment, chaque fois que je commentais ce qu’elle faisait, que j’étais sa mère, lui disant, comme toujours : « Tu es exécrable ». Je savais, et lui en avais fait part, qu’il s’agissait là d’une manifestation de transfert, mais tout le sens de cette interprétation était dénié. Elle ne pouvait que signifier : <( Vous êtes exécrable ». Elle m’appelait alors la « cinquante-sixième leçon du manuel ». Maintenant, elle peut faire le rapprochement entre le manuel et les magazines féminins que lisait sa mère, y puisant la plupart de ses marottes et de ses chimères. Mes sentiments, visiblement authentiques, diffèrent de ceux, hypocrites, de ses parents. Ils lui donnent, ainsi qu’à ses entreprises, une valeur qu’elle n’a jamais eue, sauf pour IsIe. En d’autres termes, au moment où j’ai exprimé mes sentiments, je suis devenue Isle.

A dater de ce moment, les interprétations de transfert commencent à ~ Désormais, elle les accepte souvent quand je les fais, et ajoute même fréquemment : « Vous me l’aviez déjà dit, mais j’ignorais ce que cela voulait dire », ou encore : « Je me souviens vous l’avoir entendu dire à plusieurs reprises... maintenant, je comprends. », mettant elle-même en application ce qu’elle a toujours rejeté.

Peu après, poupr la première fois, un modèle de relation commence à se dessiner à propos du vol et des autres actions impulsives. Je constate qu’elles ne surviennent maintenant que quand sa mère lui rend visite. Mais elles sont de plus en plus dangereuses. Un jour, elle est heurtée par une voiture et sérieusement blessée, alors qu’elle rentre chez elle après la séance. Je me demande comment elle n’a pas été tuée I Une autre fois, un de mes voisins m’interpelle : « Cette femme qui se précipite hors de chez vous et traverse la rue sans regarder n’est elle pas l’une de vos patientes ? C’est un vrai danger public ». Un autre jour, comme je marchais dans la rue principale, non loin de mon domicile, à un endroit où la circulation est intense - j’aperçois Frieda traversant à vingt mètres du passage piétonnier, louvoyant follement entre les voitures, mettant chacun en danger, y compris elle-même. Comme je lui montre la relation entre ces événements et les visites de sa mère, et leur caractère suicidaire et meurtrier, elle rejette cette idée, comme elle rejette l’idée de pouvoir tomber malade, et comme elle a rejeté auparavant toutes les interprétations de transfert.

Quelques semaines plus tard, alors que sa mère séjourne chez elle, elle est prise à voyager sans billet - elle était pressée, et n’avait pas de monnaie ce qui signifie une comparution devant le tribunal. Je lui procure une attestation établissant qu’elle est en traitement pour son comportement impulsif, mais n’en est pas moins une personne honnête et recommandable (ce qui est vrai). Cela, ainsi que l’expression de mes sentiments, lui a fait grande impression, car je disais exactement le contraire de ce que disaient ses parents quand ils la traitaient de « menteuse >) et de « voleuse ». Son père avait même menacé de la tuer s’il apprenait qu’elle était une voleuse.

Elle commence alors à reconnaître ses dangereux actings out, s’en trouve effraYée, mais néanmoins persiste. Quand sa mère revient, elle vole encore, et je lui dis que je me demande Si je ne dois pas refuser de prendre la responsabilité de poursuivre l’analyse Si elle reçoit encore sa mère. Je lui ai déjà dis à plusieurs reprises que je pense qu’elle prend des risques en le faisant. Mais sa mère est revenue, elle a encore une fois volé, et je n’ai pu que réitérer mes propos. Je lui montre qu’elle n’a pas davantage cru au danger, à la réalité de sa maladie, qu’à la vérité de mes dires. Je lui assure que je dis vrai, que Si elle reçoit encore sa mère, je ne pourrai prendre la responsabilité de la garder; j’interromprai l’analyse.

A cette époque, elle me parle pendant plusieurs séances du méchant comportement d’un enfant qu’elle reçoit chez elle. Elle m’a déjà parlé de la désobéissance de sa petite fille, et je lui ai demandé pourquoi elle ne peut pas être ferme, et empêcher les enfants de faire toujours les mêmes bêtises. C’est une histoire ancienne. Elle est incapable de se faire obéir de ses enfants sans entrer dans une rage violente qui les terrorise. Elle les laisse donc Taire ce qu’ils veulent, rationalisant cette attitude en la déclarant « moderne » ou « avancée » ; ils veillent tard le soir, manquent l’école, etc., sans qu’elle- même ni son mari ne soient capables de s’y opposer. En fait, inconsciemment, ils les encouragent.

Je lui demande alors ce qui va arriver Si je refuse de la laisser continuer à me raconter ces sornettes, dont je suis aussi fatiguée qu’elle peut l’être de l’attitude des enfants. Elle « ne sait pas », et se lance dans une autre histoire. Je dis : <~ Je vous ai prévenue je ne saurai en écouter davantage ». Après un silence, elle ricane et dit : « C’est exécrable. C’est magnifique de vous entendre dire une chose pareille. Personne ne m’a jamais parlé ainsi auparavant. J’ignorais qu’il put en être ainsi. Vous m’avez souvent dit qu’il convenait de signifier aux enfants que je n’acceptais pas qu’ils fassent telle ou telle chose, mais je ne savais tout simplement pas comment le faire ». De ce moment, Frieda fut capable à la fois d’accepter le « non » pour elle-même, et de le dire.

Maintenant, quand je la menace d’interrompre l’analyse Si elle autorise sa mère à revenir, je lui rappelle que ce jour-là, elle a trouvé mon attitude magnifique. Les trois jours qui ont suivi cette séance ont été pleins de panique et de confusion. Une fois calmée, elle a passé son temps à imaginer comment elle pourrait refuser à sa mère de la recevoir. Elle a pu la tenir à distance pendant quelques semaines, puis la question s’est de nouveau posée. Lui dirai-je ce qu’elle doit dire ? Peut-elle laisser sa mère venir, et aller dormir chez des amis ? Je lui montre que ce n’est pas la solution, qu’il lui faut trouver sa propre manière de régler la situation. Après un regain de panique et de fureur, elle dit à sa mère qu’elle est en analyse, et que j’ai interdit sa venue. Ce qui revient à lui dire : Tu es exécrable ».

Le lendemain, elle éprouve la tentation de voler des pommes dans le jardin du voisin ; au moment de se glisser à travers la haie avec son panier, elle s’arrête et, un peu plus tard, envoie un des enfants en demander quelques unes : elle est ravie et surprise qu’on les lui donne.

Je lui montre qu’en voyant sa mère, elle m’a ostensiblement défiée, mais qu’elle m’a obéi aussi bien, et que l’alternance de son attitude au sujet des pommes reflétait le fait qu’elle avait pu accepter un « non » de ma part, et de dire « non >) à sa mère. Elle avait pris au sérieux à la fois ce que je lui avais dit au sujet de ce « non », et le fait que s’il m’avait fallu interrompre l’analyse, je n’en aurais pas été fâchée pour autant. Elle a fini par croire

VII- LE CONTRE-TRANSFERT

à ces vérités qu’elle avait déniées. A partir de ce moment, ses sentiments envers l’analyse changent radicalement. Elle a commencé à souffrir vraiment, surtout pendant les week-ends. Une heure de séance ne suffit plus, elle me veut tout le temps, et, tout en faisant son travail plus efficacement et en vivant sa vie différemment, elle vit dans son analyse toute la journée.

Enfin, le transfert devient réalité pour elle. Elle a du mal à plier la couverture du divan après la séance, à décider s’il lui faut ou non rentrer les bouteilles de lait qu’elle trouve à ma porte.. Ce sont d anciennes difficultés, et elle s’aperçoit qu’elle souhaite faire tout le contraire. Là, j’ai pu lui faire toucher du doigt combien ses sentiments à mon égard avaient été reportés sur ces objets. Elle se dit écartelée (selon sa propre expression, je ne l’ai jamais utilisée moi-même), et, écartant les mains l’une de l’autre, elle me montre comment les morceaux sont dispersés. Je lui rappelle qu’à un moment de sa vie, une part de sa personne était là, alors que l’autre était restée en Allemagne, en IsIe. Elle découvre qu’elle voulait me regarder « à la déro-4 bée », et qu’elle a eu à mon égard deux croyances, l’une que j’étais sa mère, l’autre que j’étais Isle. Elle avait conservé les deux avec la force de l’illusion et une qualité hallucinatoire qu’elle peut maintenant commencer à dissiper c en vérifiant consciemment la réalité. Le vol est alors entré directement dans le transfert, et elle s’est surprise à voyager sans payer pour venir aux séances.

A cette époque, elle éprouva la haine que je ressentais pour elle de manière plus intime qu’auparavant, d’une façon qui signifiait quelque chose d’authentique pour elle. Un jour, nous nous sommes rencontrées par hasard au concert, et, à sa grande surprise, elle m’a trouvée ensuite dans la loge des musiciens : « J’ignorais que vous connaissiez X », dit-elle, furieuse. Elle a découvert le lendemain qu’elle avait voulu dire : « Quel droit avez-vous d’être là ? » Dès lors, je peux lui montrer (3’avais souvent essayé) comme elle a tenté de me contrôler magiquement et de m’avoir partout avec elle. La plupart de ses sorties au concert signifiaient y aller avec moi : m’y trouver vraiment avait dérangé son fantasme. Je lui montre aussi ce qu’aurait signifié pour moi de l’y rencontrer souvent, d’avoir à lutter contre sa possessivité, car dans l’idée qu’elle se faisait d’elle-même, exprimée dans son attitude et dans ces dernières paroles, elle ne s’appropriait pas seulement ma personne, mais le concert entier - artistes et compositeurs compris.

La reconnaissance de son fantasme de toute puissance l’a ainsi amenée à réaliser qu’elle avait attendu de son analyste quelque chose d’inaccessible et de magique. Elle avait cru que l’analyste renverrait son man, ses enfants, sa mère, ses frères et sa sœur dans son enfance, et ramènerait à la vie son père et IsIe. Ses regards « à la dérobée » lui permettent vraiment, pour la première fois, de me voir comme une personne : « j’ai découvert quelque chose, c’est très pénible et pourtant, je suis si heureuse. J’ai découvert que je ne savais rien de vous. Quelle idiote j’ai été de faire tant d’efforts pour faire de vous ce que vous n’êtes pas. Quoi que j’ai pu penser en savoir, quelque lutte que j’ai pu mener pour comprendre, en lisant Freud et Mélanie Klein, c’était tellement futile ! Je me sens si stupide. J’essayais de vous contraindre. J’en suis tellement désolée ! »

Je lui dis qu’elle n’a pas à l’être. Elle me foudroie du regard et explose : « Je le serai si je veux ». Puis elle me fait part de son jeu secret d’« associations » : elle pense à un parfum, à un immeuble, à un livre, etc., pour « associer » avec moi. Maintenant, ses « coups d’œil à la dérobée » lui montrent combien tout cela a été irréel.

Le lendemain, j’avais pris froid, ce qu’elle ressent comme une impossibilité à parler, comme Si tout ce qu’elle dirait pouvait m’atteindre. Elle reconnaît qu’elle veut quelque chose de magique, deux choses contradictoires, à la fois être là et partir, me protéger et me détruire. Elle a vu désormais qu’en aucun cas, l’analyse ne pourrait rendre cela possible. Je lui parle du monde intérieur de son imagination, et de celui de la réalité extérieure ; c’est seulement dans un monde intérieur qu’il peut en être ainsi, et bien que son monde intérieur et le mien puissent parfois se rencontrer, ils ne pourront jamais être le même. Elle reste silencieuse et, à ce que j’en crois, presque endormie. Elle se cache sous la couverture. Quand elle en émerge, elle dit qu’elle a fait l’essai - elle a pensé : « Si je reste calme, je peux être ici et ne pas y être. Et vous, dormez, ma chère, Si vous voulez ! » Elle se sent soulagée et complète car cela a marché. Je lui dis qu’elle a relié le monde intérieur et le monde extérieur, s’autorisant à posséder le sien propre, et moi le mien. Elle a été une personne complètement et s’est séparée de moi.

Le jour suivant, elle constate qu’elle a pu faire quelque chose d’imprévu à l’impromptu, et le bien faire. Cela n’a jamais semblé possible auparavant. Elle a découvert une nouvelle sorte de sentiment, qu’elle ne comprend pas ; elle a éprouvé de la gratitude pour quelqu’un qu’elle n’aime pas, et a pu aider quelqu’un d’autre d’une façon nouvelle. Elle s’en est sentie différente, tant à l’égard d’autrui que d’elle-même. Avant, elle était « arrogante », maintenant, elle peut être amicale et s’aimer elle-même. Je remarque qu’elle a découvert qu’elle pouvait aimer et détester la même personne, et qu’elle n’a donc pas besoin de me couper en deux pour évoquer une partie de moi-même.

Elle me rapporte alors un incident survenu quand elle avait quatre ans. Elle était sortie avec son père et tenait à la main un petit bâton de la taille d’un pénis. Il le lui prit, le jeta dans le torrent, et le lui montra flottant sous le pont. Il lui dit que c’était son mauvais caractère. Elle ne pensait pas

que cela puisse avoir le moindre rapport avec elle, car elle n’était pas de méchante humeur à ce moment-là. Elle voit maintenant qu’elle avait vraiment cru que c’était le pénis de son père ; et elle avait été irritée et déçue qu’il le lui prenne. Elle sait maintenant qu’il est vrai, comme je le lui ai dit, qu’elle n’a jamais pu faire le deuil de son père, car sa mort n’a « aucun rapport avec elle )>, elle « ne l’a pas provoquée par sa colère )> mais elle croyait quand même l’avoir fait.

A ce point, nous pouvions voir beaucoup plus clairement que, dans la première partie de son analyse, beaucoup de difficultés avaient surgi de par son inaptitude à symboliser. Par exemple, elle avait souvent lutté contre elle-même pour décider Si elle devait ou non rentrer les bouteilles de lait qu’elle trouvait sur le pas de ma porte. Il lui avait été absolument impossible d’en décider, et de mon côté, inutile d’en interpréter quoi que ce soit, ou de lui dire qu’il était sans importance qu’elle le fasse ou non. Maintenant, elle peut voir que pour elle, les bouteilles de lait non seulement me « représentaient >~ (comme je le lui avais dit>, mais étaient moi, et qu’elle avait souhaité les éjecter d’un coup de pied, comme elle avait été éjectée par ses parents et par la voiture qui l’avait renversée. Mais, dans son illusion, cela voulait vraiment dire éjecter. La couverture avait eu la même signification. Maintenant, enfin, elle en est libérée, quelqu’un d’autre peut plier la couverture et me monter le lait. Elle n’en est plus responsable.

Son ambivalence est devenue plus nette. « Je vous hais parce que je vous aime tant », dit-elle ; et aussi : « Soyez damnée, soyez brisée, soyez bénie de ce que je vous aime tant ! »

La séparation est donc acceptée ; la fusion et la perte d’identité font plus de difficultés. Elle a du mal à l’admettre, ce qui va de pair avec sa difficulté à se permettre de seulement m’aimer ou seulement me haïr de tout son cœur, maintenant que je suis celle envers qui elle éprouve ces deux sentiments, au lieu d’être la personne aimée alors que sa mère est haïe, ou la personne haïe alors que IsIe est aimée.

Elle décrit comment elle se sent « à l’intérieur d’une capsule », dont elle essaye de sortir, mais en même temps perdue quand elle en sort. La capsule est transparente et même invisible. Ce souvenir lui revient : alors qu’elle avait dix ans, elle avait dessiné du pied un cercle sur le sable ; se croyant seule, elle s’était mise à danser à l’intérieur, et elle avait été complètement abasourdie lorsque quelqu’un avait décrit devant elle de quoi elle avait l’air en le faisant. La même chose s’était produite plusieurs années après à l’école, quand elle avait mangé des morceaux de pain Sans savoir qu’elle pouvait être vue.

Ici enfin, se fonde, selon ses propres dires, l’illusion sur laquelle elle a vécu, et qui a constitué sa vraie défense contre l’analyse.

Je fais alors le rapprochement avec une observation que j’avais faite quelques temps auparavant : je pensais que, empêchée par quelque écran de la voir directement, elle avait été témoin d’une scène primitive dans un miroir. J’avais parlé de la difficulté, pour une enfant, à comprendre le miroir, Si quelqu’un n’est pas là pour lui montrer son image réfléchie, où s’il n’y a pas un objet familier et identifiable qu’elle puisse voir à la fois dans le miroir et en dehors. Elle dit : « Vous m’avez déjà parlé de cette vision de mes parents dans le miroir, et je ne l’ai jamais cru. Je ne m’en souviens pas, mais je sais de quel côté est mon berceau : il est à droite, et je le sais. Je vois une chambre, dont les meubles me sont inconnus, je n’en reconnais aucun. » Puis elle se souvient avoir entendu dire que, lorsqu’elle avait deux ans, son père avait pris un nouvel emploi, et que la famille avait alors habité à l’hôtel pendant un court laps de temps. Pour autant qu’elle se souvienne, c’était la seule fois où elle avait dormi dans la chambre de ses parents, et le souvenir en avait été dénié.

La « capsule », parmi d’autres choses, représente son identification au père, ce père magique que rien ne pouvait atteindre. Elle représente aussi le pénis invisible et magique grâce auquel elle pouvait faire un avec sa mère et avec IsIe. Elle avait gardé IsIe invisible - jusqu’à ce que sa mort brise la capsule et la révèle. Mon identification à Frieda dans son chagrin et sa perte restaura la capsule, mais avec moi à l’intérieur à la place de IsIe.

C’est ce qui rendit possible le deuil de son père et celui de IsIe, à travers l’analyse du transfert, qui avait été jusque là impossible.

Pour elle, briser la « capsule » - dissiper ses illusions - avait signifié être annihilée, à la fois par séparation et par fusion. Ce n’est que Si quelqu’un d’extérieur pouvait la briser par la force et sans dommage, qu’elle pourrait s’en sortir comme une personne vivante et ayant des sentiments, et seule une personne ayant des sentiments authentiques pouvait le faire, en mobilisant ses propres sentiments. Chaque chose devait rester fixée, magiquement et de façon invisible, hors d’atteinte des impulsions amour-haine primitives et destructrices. Maintenant, elle est assise sur les ruines du monde qu’elle a détruit, et cherche les moyens de le reconstruire - non pas en essayant de ramener à la vie son père et IsIe, ou de faire ses parents heureux il y a quarante ans et plus, mais en le reconstituant imaginairement par de nouvelles activités créatrices, déjà au travail chez elle, que nous appelons sublimation.

Elle est désormais plus heureuse qu’elle ne l’a jamais été, et plus malheureuse à la fois. Son deuil n’est pas encore accompli, mais elle est sur la bonne voie. Sa maison est un endroit plus solide pour son mari et pour ses enfants, car elle peut affirmer une chose et s’y tenir, elle peut avoir un différend avec son mari sans faire de furieux éclats devant les enfants comme elle le faisait auparavant, et permettre à chacun d’être un individu particulier.

Sa vie sexuelle était jadis perturbée, elle peut maintenant y prendre plaisir, et avoir un orgasme génital. Les éruptions épidermiques sont rares, et le monde dans lequel elle vit devient sain et normal (bien que puissent s’y passer des folies) au lieu d’être hostile, antisémite et fou. Elle sait que c’est grâce à la mort d’Isle qu’elle se sent mieux. Elle a accepté d’avoir pris plaisir à la mort d’Isle, elle a accepté sa haine, son amour destructeur et sa tristesse.

Je n’ai pas étudié ici la psychopathologie très complexe de ce cas. Pour l’heure, il me suffit de dire que sa capacité à développer un sens de la réalité a été sérieusement réparée. Symbolisation et déduction ont été remplacées par une pensée concrète. Auparavant, elle était incapable de faire la part des impressions visuelles et auditives réelles et des hallucinations, ou de la réalité et de l’illusion. De l’éclatement de son moi alors qu’il n’était encore qu’un moi corporel, avait résulté une incapacité permanente à séparer perceptions et déductions exactes de celles qu’elle avait imaginées. En conséquence, tous ses transferts étaient illusoires, et toutes ses relations étaient fondées sur eux.

Il fallait traverser ces couches successives d’éclatement et de déni, et ainsi l’atteindre au niveau d’une dépendance sans espoir, et d’une non-séparation, au niveau de son illusion paranoïde. Comme toutes les autres illusions, celle~i n’était pas susceptible d’une interprétation de transfert. Elle devait être brisée le plus directement possible, c’est-à-dire par l’analyste en tant que personne dans la réalité.

VII. IMPLICATIONS TECHNIQUES

Nous constatons de plus que beaucoup de patients sont incapables de faire des interprétations de transfert avant que ne soit intervenu un changement qui le rende accessible. Cela nous conduit à poser la question : quelles sont les modifications nécessaires dans la technique ? Et par ailleurs dans la théorie de la technique ?

Les difficultés à faire accepter au patient les interprétations de transfert, le surgissement de tensions soudaines et imprévisibles qui souvent aboutissent à un violent acting-out - cela, et bien d’autres choses, a été considéré comme résultant d’une insuffisance chez l’analyste : analyse insuffisante, refus d’admettre ses propres angoisses, acting-out de sa part.

Verbalisation, compréhension et interprétation ont été considérées comme tout à fait importantes. Mais le besoin d’une perlaboration a été reconnu depuis longtemps comme un processus nécessaire en analyse. Il est très important de comprendre ce qui se passe dans ce processus et Si quelque chose peut être fait pour l’aider.

A considérer des cas comme celui que j’ai décrit, nous découvrons que les patients dont le sens de la réalité est sérieusement perturbé, qui ne peuvent distinguer illusion ou hallucination de la réalité, sont dans l’impossibilité d’utiliser les interprétations de transfert, parce que le transfert lui-même est de nature illusoire. L’interprétation du transfert appelle l’utilisation de la pensée déductive, de la symbolisation, et l’acceptation de substituts. Il est impossible de transférer ce qui, n’étant pas là, ne peut l’être, et l’expérience infantile n’a pas permis à ces patients de pouvoir construire ce qui a besoin d’être transféré, ou une image de quelqu’un sur qui le transfert soit possible. Ils vivent encore dans le monde primitif de la prime enfance et leurs besoins sont à situer à ce niveau, soit au niveau du narcissisme primaire et de l’illusion.

Il faut trouver le moyen de présenter la réalité à ces patients ; la plupart d’entre eux sont incapables de l’utiliser telle qu’elle se présente dans leur vie quotidienne.

La réalité qui est présente, sûre, dans toute analyse, est l’analyste lui-même, sa fonction, sa personne et sa personnalité. C’est à lui de trouver ses propres moyens de les utiliser pour rencontrer les besoins individuels de ses patients, de trouver ce qui est faisable, et de définir ses propres limites à maîtriser les angoisses de ses patients, autant que possible en déterminant consciemment ce qu’il fera ou ne fera pas, mais en étant déterminé à agir sur les impulsions et, à l’occasion, à réagir. C’est, pour une part, son acceptation de lui-même tel qu’il est.

Dans les premiers temps de l’analyse, aucun analyste n’avait une expérience analytique personnelle, ou très peu (que ce soit pour lui-même ou pour les autres). Et à cette époque, l’(< analyse sauvage » a certainement conduit à des situations dangereuses, qui ne pouvaient plus être maîtrisées. Mais aujourd’hui, les conditions diffèrent, et l’affirmation que certaines choses sont dangereuses ou font obstacle à l’analyse, peut être mise à l’épreuve.

Beaucoup de Ces affirmations semblent relever du caractère mythique et superstitieux des jugements du surmoi.

Il nous faut reconnaître dans l’analyse le même paradoxe que celui qui surgit dans d’autres domaines de la vie - la même chose peut à la fois être bonne ou mauvaise, ce qui semble le plus sûr peut aussi bien être dangereux ou inutile. C’est aussi vrai de l’interprétation du transfert que peut l’être, pour l’analyste, de répondre aux questions du patient, d’exprimer ses sentiments, d’agir sur la tendance, etc. Le plus important est de garder une attitude souple et confiante, et la force (en tant que le contraire de la rigidité) et la volonté d’utiliser toutes les ressources disponibles.

Ce que j’ai tenté de montrer, c’est que nous pouvons obtenir les résultats que nous cherchons tous à obtenir et que nous attendons, Si nous sommes disposés à considérer l’attitude de l’analyste à l’égard de son patient sous un nouvel angle, et à admettre quelques unes des choses qui ont en fait lieu dans l’analyse, mais que souvent nous méconnaissons ou ne vouIons pas admettre.

Je ne les ai moi-même reconnues que progressivement. J’ai développé ma méthode de travail depuis 1937, avant de devenir didacticienne. Plus tard, j’ai tenté d’abandonner le parti que j’avais déjà pris, pour me livrer à une technique plus classique, ou moins « in orthodoxe», et j’ai échoué avec nombre de patients dont je sens encore que j’aurais pu et que j’aurais dû les guérir. En pratique, ce que je fais varie beaucoup d’un patient à l’autre. C’est en soi une expression de la personnalité du patient, et la confirmation que je ne lui impose pas quelque chose qui ne lui appartiendrait pas mais m’appartiendrait en propre. Cette approche a des avantages, et aussi des inconvénients. Une mesure quantitative n’est jamais possible en analyse, mais les tests usuels et les contrôles peuvent s’y appliquer, comme à notre travail tout entier.

La première estimation de la maladie d’un patient peut-être réévaluée à la lumière de sa réponse aux interprétations de transfert. ~i de telles interprétations sont ressenties par lui comme dénuées de sens, même Si en fait il montre que quelque part, elles signifient quand même quelque chose pour lui ; ou Si, au contraire, elles sont acceptées, mais sans changer son comportement ou sa manière de penser, je considérerais l’un et l’autre cas comme pathognomonique, les défenses étant plus importantes dans le second cas que dans le premier.

Cela signifie qu’il faut trouver les manières de rendre le moi accessible aux interprétations de transfert, et, quelles qu’elles soient, il faudra les soumettre à un examen minutieux.

Mes questions seraient les suivantes :

1- Pourquoi fais-je ou dis-je cela ?

2- Comment cela se rapporte-t-il à ce qui est en moi conscient ou inconscient ?

3- Pourquoi cela vaut-il pour W et pas pour Y ?

4- Ferais-je ou dirais-je cela à ce patient en d’autres circonstances, un autre jour, à un autre moment ? Quel effet en résulte, et pourquoi ? Est-ce suivi de l’apport d’un matériel nouveau ?

5- Y a-t-il quelque vrai développement du moi ? Les mêmes résultats pourraient-ils être obtenus autrement ? Plus vite ? Mieux?

6- S’il en est ainsi, comment et pourquoi? Et pourquoi n’ai-je pas fait quelque chose de différent ?

On ne peut toujours répondre parfaitement à ses propres questions. Parfois, les réponses se montrent erronées. Parfois, on ne trouve pas de réponse, sauf que c’est tombé au bon moment, ou que c’était la seule chose que l’on a trouvé à dire au moment où il fallait dire quelque chose. Habituellement, ce qui s’ensuit montre Si c’était juste ou non ; et quand nous constatons qu’une analyse avance bien là où l’on a fait quelque chose d’inhabituel, notre confiance dans nos propres processus inconscients s’accroît. Il semble que nos contre-résistances cèdent plus vite ; le travail analytique se poursuit souvent à un niveau plus élevé, et la plus grande spontanéité de l’analyste aide le patient à laisser tomber sa rigidité et sa stéréotypie.

La difficulté essentielle vient de ce qu’il s’agit là d’une situation générale imprévisible. Cela ne veut pas dire que tout échappe au contrôle, bien que le patient le ressente souvent ainsi. C’est plutôt une situation dans laquelle tout peut arriver. Le risque, naturellement, est que peut survenir un soudain « déclenchement » chez le patient, o’u chez l’analyste quand apparaît un acteur inconnu. Il s’agit là, encore une fois, de quelque chose qui peut arriver dans toute analyse et qui doit, dans ce cas, être traité.

Le compte rendu que je viens de faire de l’analyse d’une patiente, condensé comme il a dû l’être, pourrait prêter à malentendu. Les variations dans la technique que j’y ai mises en évidence ne sont pas toujours claires quand elles le sont, l’effet est exactement celui d’une interprétation juste. Elles produiront d’abord un rejet, pour être acceptées plus tard, ou seront immédiatement acceptées, à moins que ne se produise apparemment aucun effet immédiat, et qu’il apparaisse plus tard qu’il y en avait eu un. Quand ces variations ne sont pas manifestes, à nouveau, quelque chose peut se produire, ou non, comme avec les interprétations habituelles. De même, les interprétations ordinaires, Si elles viennent au bon moment et Si elles sont appropriées, ont un effet juste. Si ce n’est pas le cas, l’effet est négatif, et il y a faute, semblable à toute autre faute. Dans l’analyse de Frieda, les variations que j’ai soulignées ont réussi. Ce n’étaient pas des erreurs. Je pense qu’il ne s’agissait pas non plus d’un coup de chance, car j’ai fait l’expérience de choses semblables dans nombre d’autres analyses, avec des résultats similaires.

Le but de ces variations est tout à fait clair: il est de rendre le moi du patient accessible a l’interprétation de transfert en cassant un transfert illusoire.

L’interprétation n’a pas d’influence sur l’illusion. La seule chose qui en ait, est la présentation de la réalité d’une manière comparable à l’éveil d’un rêve : on s’aperçoit que ce que l’on a cru être vrai ne l’est pas, en le confrontant à ce qui est vrai. Cela ne fait pas de l’interprétation ordinaire une redondance, ce n’en est pas non plus un substitut. Cela ne liquide pas toute résistance. Le travail d’interprétation habituel doit se faire avant des épisodes tels que ceux que j ‘ai décrits, se poursuivre pendant qu’ils ont lieu, et après, et reste toujours la part essentielle de l’analyse. Sans lui, le reste serait inutile, mais, dans le cas où le transfert lui-même est de nature illusoire, ces variations sont la seule possibilité de donner à l’interprétation de transfert sens et utilité, car c’est à partir d’elles que l’on peut mettre à jour un être humain derrière les interprétations.

VIII. CONCLUSION

J’ai essayé de mettre en évidence certains éléments que, pour une part, je considère comme essentiels de la réponse totale de l’analyste aux besoins de ses patients, quelques voies possibles pour les utiliser directement, et le genre d’effets que j’ai constatés en en faisant ainsi usage. Je pense qu’il y a, dans toute analyse, des éléments qui doivent, jusqu’à un certain point, être éclaircis. Ils apparaissent de façon plus manifeste dans l’analyse de patients très perturbés, mais aussi dans celle des névrosés. Ils sont là, implicites ou explicites, dans toute analyse bien menée et réussie, et certains le sont même dans toute analyse partiellement réussie. La haine totale ou l’amour total de l’analyste pour son patient, qui donne force et élan à sa réponse totale, comporte à la fois des éléments de base, invariables, et d’autres, qui ne le sont pas. L’analyse, aussi loin que la participation de l’analyste est en cause, dépend pour l’essentiel de la qualité des éléments de base invariables. Cette qualité, à son tour, dépend du point jusqu’où le monde dans lequel vit l’analyste est sam et chaleureux - c’est-à-dire jusqu’à quel point l’analyste a été capable de négocier ses propres angoisses paranoïdes et sa dépression - lesquelles sont inséparables du travail qu’il effectue. S’il peut compter sur ces éléments invariables, et par conséquent sur lui-même, les patients considèreront probablement qu’il est sans danger de faire de même, et y viendront progressivement. Dans le cas contraire, ce sera non seulement dangereux à leurs yeux, mais aussi impossible.

C’est ce facteur de base invariable qui assure la stabilité de l’analyse (encore une fois, pour autant que l’analyste est en jeu>. Les éléments variables, les contre-transferts inconscients, les variations au jour le jour ou d’heure en heure dans les tensions qu’il porte en lui, sa santé, ses intérêts extérieurs - tout cela aura tendance à faire difficulté, surtout Si le champ de variation est trop étendu. Ces éléments font également partie de la responsabilité de l’analyste. Il doit veiller à ce que leur champ de variation ne soit pas trop large, et à ce que ces variations ne se fixent pas ou ne se modifient pas trop. Mais ces éléments, comme tous ceux auxquels j’ai fait référence, peuvent aussi bien être bénéfiques que nuisibles. Ils font partie de la vie de l’analyste, et ils font la vie et le mouvement de l’analyse.

Car l’analyse est chose vivante, et comme tout être vivant, elle est en perpétuel changement. Même Si la psychanalyse n’existe que depuis peu, nous pouvons déjà constater les nombreux changements qu’elle a subis, surtout dans le domaine de la technique. Nous traitons aujourd’hui des patients que l’on aurait dits inanalysables il y a seulement quelques années. Mme Klein nous a rappelé récemment que l’analyse d’enfants et l’interprétation du transfert étaient jadis tout à fait désapprouvées. Nous ne pouvons prévoir ce que deviendra l’analyse. Nous ne pouvons que savoir qu’elle changera, que nous contribuons à son avenir, et que les changements qui sont en train de se produire paraîtront tout autres à ceux qui nous succéderont.

Le « contre-transfert », aux sens multiples du terme, est un phénomène familier. D’abord, tout comme le transfert, il fut considéré comme dangereux, indésirable, mais malgré tout inévitable. De nos jours, il est même respectable

Mais j’ai le sentiment qu’il devrait être beaucoup plus. Nous ne connaissons pas assez ce que sont nos réponses à nos patients, et nous avons mis (en toute sagesse) beaucoup de prudence à en faire usage. Mais, qu’on

le veuille ou non, elles contiennent une très grande quantité d’énergie psychique, et Si nous voulons tirer le meilleur bénéfice de cette énergie, il nous faudra bien en faire l’expérience, et même prendre certains risques.

Je suis certaine qu’une telle expérimentation, conduite par des analystes formés et compétents, est capitale pour la diffusion et le développement de la psychanalyse, mais il est indispensable de l’appuyer sur un fond de responsabilité, de reconnaître le contre-transfert, et de l’accepter volontairement.

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Revista de Psicoanálisis y Cultura
Número 8 - Diciembre 1998
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