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Il est difficile d'identifier la nature exacte de la science, ses caractéristiques principales. Souvent la conception de la science évolue avec la science elle-même; et d'un siècle à l'autre on peut imaginer la science d'une façon très différente. Il reste qu'on peut dire assurément que la science est liée à une certaine conception de la vérité. Il n' y a pas de science sans vérité et, dans les faits, il n'y a pas de vérité sans science. De ces deux formulations la première est sans doute la plus universellement acceptée. La deuxième, il n'y a pas de vérité sans science, est une affirmation un petit peu audacieuse sur laquelle on aura peut-être l'occasion de s'arrêter plus tard. Mais s'il n'y a pas de science sans vérité, où, quand et comment est née cette conception particulière de la vérité?
La vérité s'oppose au mensonge, à l'hallucination, cette idée est d'usage courant. Il est, par contre, très peu usuel de concevoir la vérité comme opposée à la perception. Ce que je me permet d'affirmer ici c'est que la vérité scientifique est un signifiant qui s'oppose à la perception. Rappelons d'abord que perception signifie, par un hasard heureux peut-être, en allemand wahrnehmung, «pris pour vrai». Et quand je dis que la perception s'oppose à la vérité je veux dire que le pris pour vrai s'oppose au vrai, que le pris pour vrai du leurre, de l'illusion, s'oppose à la vérité, au vrai de la science.
Ce n'est un secret pour personne que de dire qu'il ne faut pas se fier au perçu; au contraire ce perçu a toujours besoin d'être expliqué; il y a donc ici une opposition latente entre un perçu qui est de l'ordre de l'image et son explication qui est de l'ordre de la théorie, qui est de l'ordre d'un système de symboles, d'une suite de chiffres et de lettres qui viennent non seulement expliquer le perçu mais surtout le justifier, lui donner un statut en quelque sorte légal. Ainsi on peut dire que l'opposition du pris pour vrai et du vrai recoupe la perception de l'image et de la lettre, l'image est de l'ordre du perçu, la lettre est du coté de l'explication du perçu, elle est du coté du vrai.
Mais la vérité s'oppose aussi à la vérité révélée. Il est de tradition d'opposer ces deux formes de la vérité : la vérité scientifique et la vérité divine. Pourtant il est bien connu que la vérité révélée se base sur la foi et la foi reconnaît en elle-même le doute. Il s'en suit que la vérité révélée n'est pas à proprement parler une vérité. C'est plutôt une décision, réfléchie ou non, spontanée ou non, de prendre pour vrai la révélation éventuellement divine. Vous pourriez me rétorquer que la vérité scientifique depuis Descartes, depuis le doute méthodique de Descartes, est elle aussi basée sur le doute. En ce sens elle avoisinerait beaucoup plus qu'on ne le croit la vérité révélée. Certes la conception moderne de la vérité avoisine la conception qu'on peut avoir de la foi, en particulier de la foi chrétienne, puisque c'est le plus souvent d'elle qu'il s'agit lorsque l'on veut comparer une foi à la science.
En fait il y a réellement une très grande parenté entre la pensée scientifique moderne et la pensée chrétienne dans sa structure et on peut faire des correspondances terme à terme entre les principes fondamentaux de la science moderne et les principes fondamentaux du christianisme. À tel point que j'en viens à me demander quelquefois s'il y a des différences notables entre l'une et l'autre. Mais tel n'est pas mon propos; il est certain que la vérité scientifique diffère de la vérité révélée par un certain nombre d'aspects sur lesquels je ne m'attarderai pas ici. Mon propos est plutôt de parler des origines du concept de vérité car la modernité n'est pas première, n'est pas la première à avoir élaboré, déployé, une démarche scientifique.
La science, vous le savez tous, est bien plus vieille que ça; elle date des anciens Grecs. Les anciens Grecs ont conçu et produit la science et ils ont également élaboré une certaine conception de la vérité.
Le premier auteur qui ait marqué la vérité de son seau pour plus de 24 siècles est certainement Parménide. Parménide est le premier à avoir élaboré la notion de vérité. Il est le premier à avoir dit que la perception est trompeuse. Il est le premier à avoir dit que, quand bien même on verrait se déployer du mouvement devant nous, celui d'Achille, celui de la tortue, celui de la flèche qui traverse le stade, quand bien même donc notre perception nous affirmerait que le mouvement est là, ce mouvement est inexistant, ce mouvement est un leurre, une tromperie de la perception. Pour connaître la vérité de ce mouvement qui se déploie devant nous il faut aller au delà de la perception, il faut imaginer quelque chose d'autre qui n'est pas perçu mais qui est la vérité de ce qu'on perçoit.
Cet au delà du perçu, qui est la vérité de la perception, cet au delà est l'Un. L'Un inamovible, indivisible, et bien sr unique, qui explique par son être, détermine par son être, tout le perçu. Ici se dessine une distinction radicale entre la perception et ce qui sera appelé plus tard l'entendement. L'entendement est ainsi un ensemble de concepts cohérents qui permet d'expliquer la réalité de ce qui est perçu. Ces distinctions se signent d'une formule qui continue d'avoir ses lettres de créance: «l'être est et le non-être n'est pas». L'être source de vérité est, tandis que le monde du perçu, du perceptible, le monde de ce que Parménide appelle la Doxa, n'est pas, n'a pas un statut suffisant pour mériter d'être un étant.
Ici le rapport à la perception est un rapport distancié, médiatisé. L'être qui perçoit n'est pas entièrement pris par sa perception. Sa perception est toujours forcément médiatisée par la vérité, par l'Un. Il y a donc ici une opération de négation de la preception. La perception n'est plus prise pour ce qu'elle est, elle est niée dans son être et n'est récupérée qu'au prix d'un passage par l'Un qui vient la corriger, la recadrer correctement.
Cette définition si ancienne de la vérité, qui date donc des présocratiques, ne nous intéresse pas seulement d'un point de vue épistémologique; en fait elle pourrait également nous intéresser d'un point de vue plus proprement psychologique et en fait psychanalytique. De façon assez étonnante Freud, dans un texte célèbre, «la verneinung» qu'on a traduit par la négation, formule des conceptions tout à fait similaires à celles de Parménide sans qu'on sache vraiment s'il s'inspirait consciemment de lui ou non. Dans «la verneinung» Freud essaye de comrendre un peu plus en quoi consiste le refoulement et il constate que le refoulement est basé sur la négation de quelque chose.
Le petit être qu'est le nourrisson est pris dans la chose, ce qu'il appelle das ding, il est indistinct de cette chose et en jouit sans le savoir. Puis par l'effet du principe de plaisir il se met à distinguer d'entre ses perceptions celles qui lui procurent du plaisir, de celles qui lui procurent du déplaisir. Ces distinctions aboutissent petit à petit à une classification totale de son univers en deux parties: la partie où se trouvent les choses qui lui procurent du plaisir et la partie où se trouvent les choses qui lui procurent du déplaisir. Il peut alors exercer, ce que Freud appellera le jugement d'attribution. Ce jugement d'attribution expulse vers l'extérieur cette moitié de l'univers qui lui procure du déplaisir et conserve à l'intérieur cette autre moitié de son univers qui lui procure du plaisir. Le jugement d'attribution détermine ainsi deux espaces dont l'un sera extérieur et l'autre intérieur.
À partir de ce moment la tâche de l'enfant va se compliquer puisqu'il lui faudra, à chacune de ses perceptions, décider si la source de cette perception est intérieure, c'est à dire correspond à un désir de sa part, ou bien si elle s'impose à lui de l'extérieur depuis la réalité et ne provient donc pas de son désir. Il devra donc s'armer d'un certain nombre de critères qui lui permettront de décider si ses perceptions s'originent dans son désir ou bien dans la réalité. Le jugement qu'il effectue pour en décider, Freud le nommera jugement d'existence puisqu'il décide à partir des perceptions si elles sont soutenues par son désir ou pas. Donc ici l'objet de la perception n'existe que s'il correspond à son désir autrement il n'existe pas.
Les anorexiques en sont le plus bel exemple. Un nourrisson anorexique aura beau avoir un sein à sa disposition, il n'y touchera pas dans la mesure où, pour lui, ce sein n'existe pas puisqu'il ne correspond pas à son désir. Et quand bien même la réalité de ce sein va se faire insistante, quand bien même la mère dans son inquiétude va introduire le sein dans sa bouche, il n'en existera pas plus pour lui; le sein n'est pas là, il n'est pas soutenu par son désir. Ici ce qui constitue la réalité ne compte pas, ce qui compte c'est la réalité du désir de l'enfant. En revanche, lorsque le désir de l'enfant pour le sein sera là et que l'enfant hallucinera le sein c'est à ce moment et à ce moment seluement qu'il sera capable de reconnaître sa présence et éventuellement de reconnaître son absence s'il n'est pas là. Encore qu'il ne soit pas sr que le concept d'absence est disponible pour lui.
Nous voyons donc chez Freud la même bipartition de l'univers entre le vrai et le faux, et le même souci de savoir si la perception qui nous rejoint est vraie ou trompeuse. Cette double conception parménidienne et freudienne n'est donc pas simplement une théorie à partir de laquelle je vais analyser le monde,car pour analyser le monde encore faut-il que celui-ci existe. Il s'agit plustôt d'une conception qui va jusqu'à moduler mes perceptions, jusqu'à dire de mes perceptions celles qui sont vraies de celles qui sont fausses. Il s'agit donc d'une conception qui organise mon univers perceptuel, d'une conception, à proprement parler, métaphysique du monde. Métaphysique étant ce qui, au delà de la physique, organise cette physique et la perception que j'en ai.
Pour bien faire comprendre comment une conception métaphysique organise la perception je vais avoir recours à quelque chose qui vous est peut-être plus familier: ce sont les référentiels de la physique, le référentiel le plus connu étant celui de Newton. Le référentiel de Newton détermine le monde comme un ensemble de points dans l'espace ou plutôt il constitue l'espace comme étant constitué par un ensemble de points tout à fait homogènes et identiques les uns aux autres. Dans cet espace quelque soit le point de vue où je me place je peux avoir la même perception et tirer les mêmes conclusions sur ce que je vois.
Une métaphysique qui s'est consitutée par opposition à la métahpysique newtonienne c'est la métahpysique einsteinienne. Chez Einstein d'abord l'espace n'est pas tridimensionnel mais quadridimensionnel et il est pour ainsi dire impossible de travailler sur des points; et, par conséquent, tout élément de cet espace est un événement et non plus un point de l'espace comme chez Newton. De plus un événement est difficilement repérable indépendamment d'un deuxième événement. Chez Einstein il faut qu'il y ait deux événements pour qu'on puisse travailler sur cet espace. Donc vous voyez comment une métaphysique peut déterminer les perceptions que j'ai de l'univers qu'elle constitue.
Ce cadre métaphysique de l'univers qui nous est donné par Parménide est basé sur une bipartition du monde que Freud a appelé un refoulement. Le refoulement est ce processus par lequel je coupe le monde en deux, d'un coté le monde du désir et de l'autre celui, douteux, de la réalité. Il s'en suit que la vérité et la science ont pour condition préalable le refoulement. Je ne peux pas être un scientifique si je n'accepte pas au préalable de refouler mes perceptions et de les considérer comme fausses. Il faut que mon rapport perceptif étroit au monde soit rompu et médiatisé par les principes généraux de la science.
C'est ici que la formule que j'ai utilisée tout à l'heure en la qualifiant de douteuse prend tout son sens. "Il n'y a pas de vérité sans science" signifie qu'à partir du moment où j'insstaure le principe de vérité, à partir du moment où je décide que le monde se divise en deux parties, celui des perceptions et celui des principes premiers, à partir du moment où je doute de mes perceptions, et ce que je sois un savant ou un enfant, je finis par être obligé de justifier chacune de mes perceptions au nom de ces principes premiers. Il me faut donc sans cesse avoir ecours à des principes premiers pour expliquer ce que je vois ou ce que j'entends. Ce comportement ne me paraît pas très loin d'un comportement scientifique.
Par conséquent, à paritir du moment où l'enfant opère le refolement originaire dont nous parle Freud, il est tenu d'expliquer sans cesse ses perceptions. C'est pour cette raison qu'il faut expliquer aux enfants ce qui leur arrive et ce qui arrive autour d'eux. Ça fait partie de leur démarche que d'expliquer les choses et nous les aidons grandement en mettant des mots explicatifs là où ils n'en trouvent souvent pas.
Et les moment traumatiques pour un enfant sont ceux qu'il ne parvient pas à expliquer, à soutenir avec des mots. Un enfant est un scientifique qui quelquefois faillit à la tâche d'expliquer ce qu'il perçoit. c'est là que le traumatisme et le symptôme entrent en jeu.
Tout ceci peut sembler extrêmement abstrait. Effectivement quand on travaille essentiellement au niveau des principes premiers, on atteint des niveaux d'abstractions extrêmement élevés. Pour préciser les choses je vais vous présenter pour qu'on travaille dessus un des paradoxes de Zénon d'Élée. Vous savez que Zénon d'Élée était un disciple de Parménide et qu'il a en quelque sorte poursuivi sa pensée jusqu'à son extrême limite. C'est lui qui a déployé à son maximum l'idée selon laquelle la perception la plus évidente du monde pouvait être trompeuse et à cet effet il a construit un certain nombre de paradoxes dont le plus parlant est celui d'Achille et de la tortue.
En quoi consiste ce paradoxe? Admettons qu'Achille, le célèbre demi dieu, ait à se mesurer dans une course avec une tortue. Comme la différence de rapidité entre les deux protagonistes est manifeste, on va accorder à la tortue une certaine avance sur Achille pour compenser cette différence. La tâche d'Achille sera donc en premier lieu de rejoindre la tortue avant de la dépasser. Mais pendant le temps qu'Achille mettra pour rejoindre la tortue, celle-ci aura effectué un certain parcours. Au moment où Achille parvindra au point où la tortue était située au départ celle-ci aura avancé et sera donc en avant de lui et il lui faudra a nouveau parcourir une certaine distance pour la rejoindre. Et de la même façon pendant le temps qu'il prendra pour rejoindre la tortue, celle-ci aura encore une fois avancé et il se retrouvera dans le cas précédent et ainsi de suite jusqu'à l'infini.
Il suit du paradoxe de Zénon, qu'Achille ne rejoindra jamais la tortue et que, par voie de conséquence, le mouvement d'Achille, aussi évident soit-il, n'existe pas. Le phénomène du mouvement est donc un phénomène trompeur et pourtant il est là. Nos yeus nous le disent; alors comment corriger cette perception fausse? Comment arriver à une certaine vérité concernant ce mouvement qui n'existe pas? Pour comprendre cela il faut se référer à ce que nous dit Parménide à ce sujet. Il nous dit que seule l'Un existe. La doxa, cad la perception de la réalité et en particulier la perception du mouvement n'existe pas, n'est pas, dit-il, le non-être n'est pas. Donc si on veut expliquer ce qui n'est pas il faut l'expliquer a partir de ce qui est, cad de l'Un. Or il se trouve que l'Un ne peut connaître le mouvement. Car s'il connaissait le mouvement il ne serait plus l'Un; il serait l'un et l'autre; il serait l'objet en mouvement et l'objet par rapport auquel on repère ce déplacement. Donc l'Un ne peut accepter le mouvement..
On en arrive à une sorte d'opposition entre une immobilité de principe et un mouvement apparent, un non mouvement qui n'est pas visible et un mouvement qui est visible mais trompeur. Un niveau de réalité où on voit le mouvement qui n'est pas, et un niveau d'abstraction, un univers abstrait ou règne inamovible et indivisible l'Un mais qui n'est pas perceptible ou en tout cas qui n'est pas perceptible de la même façon que la réalité. Cette opposition semble irréductible, elle nous semble irréductible dans la mesure où nous savons peu de choses des travaux de Parménide; nous ne disposons que de quelques bribes d'un poème qui n'est pas souvent explicite. Pour mieux comprendre cette conception, il faut se référer à un prédécesseur de Parménide, Héraclite pour lequel également, l'Un était le principe suprême. Pour Héraclite tout être comportait des contradictions et nourrissait son être de ces contradictions. La lumière était aussi bien claire qu'obscure, puisqu'elle pouvait produire de l'ombre, toute chose pouvait être et ne pas être en même temps. Tout était donc pris dans des flux contradictoires oppositionnels.
Dans cet univers héraclitéen, qui nous est décrit par Heidegger notamment, le statut de la perception est assez particulier; dans cet univers il n'y a pas de perception disctincte de l'objet il ne peut y avoir qu'une mise en présence intuitive de l'objet. Car si j'admet que la lumière est en même temps obscurité je ne peux avoir de cette lumière qu'une vision intuitive puisqu'à chaque fois que la lumière m'apparait dans sa clarté elle est également obscurcie par son obscurité; donc ces appapritions et ces disparitions ne me permettent que des perceptions intuitives.
Par ailleurs puisque l'Un ne permet pas le mouvement, il ne permet pas plus l'écoulement du temps. Dans l'écoulement du temps il y a une continuité qui n'est pas autorisée par l'Un. Il s'en suit que le temps est discret. Il est fait d'instants d'une longueur indéterminée et qui, aussi longs soient-ils, demeureront de brefs instants. Par suite, si je suis en présence d'un objet dans cet univers, la perception que j'en aurais sera grevée, non seulement du fait qu'il porte en lui son propre contradictoire, mais aussi du fait qu'il ne m'apparaitra qu'un seul instant.
Quelle que soit la longueur de cet instant, l'objet aura apparu et disparu à jamais instantanément. Deux raisons suffisantes pour rendre la perception extrêmement précaire dans l'univers héraclitéen. L'intuition est la meilleure façon de rendre cette forme de la perception. L'intuition étant de l'ordre du sentiment d'une présence, sans que ce sentiment soit garanti par une perception assurée.
La conjonction des contradictions qui est nécessaire à la théorie de l'Un, qui stipule que l'Un est précisément issu des contradictoires, me donne par conséquent une perception intuitive du monde. Par ailleurs, logiquement parlant, l'idée de l'Un, comme Zénon l'a démontré, exclut le mouvement. Comment, dès lors, résoudre chez Héraclite le fait que néanmoins le mouvement est permis? Héraclite le résoud en disant qu'à chaque instant l'objet en mouvement est différent de lui-même. Il résoud la contradiction en niant le principe d'identité. Le soleil n'est jamais le même d'un instant à l'autre, on ne se baigne jamais dans le même fleuve. Donc un fleuve d'un instant à l'autre n'est jamais le même, le soleil est à chaque instant différent de lui-même. Par conséquent, chaque jour, il y aura une infinité de soleil. Il y aura autant de soleils qu'il y aura d'instants dans une journée. La négation du principe d'identité permet à Héraclite de rendre son univers cohérent et le mode privilégié de perception dans cet univers est l'intuition de la chose, intuition fugace puisque cette chose est différente d'un instant à l'autre.
On a déduit logiquement des prémisses d'Héraclite le statut de l'objet contenu dans son univers, ainsi que la perception que l'on a de l'objet dans cet univers là. Heidegger a dit que cette perception était intuitive, était une mise en présence; on peut dire qu'elle est, en quelque sorte, pulsatile et que l'objet a une présence pour ainsi dire instantanée. On a déduit également que, d'un instant à l'autre, l'objet n'est pas le même. Ce sont des déductions logiques.
Mais peut on trouver dans la réalité clinique des phénomènes qui correspondent à ces déductions? Oui, dans la mesure où l'enfant à un stade particulier de son évolution, en particulier quand il est nourrisson, a une intuition de la chose sans en avoir une vision claire; il ressent chaque mode de la présence maternelle comme étant extrêmement différent, il ne la reconnaît pas. Il n'est pas en mesure, dans un premier temps de sa vie, de reconnaître l'objet cad de comparer l'objet à un instant t à l'objet à un instant t-1.
Donc si, à un niveau phénoménologique, la perception chez le nourrisson est comparable à la perception que l'on devrait avoir dans l'univers logique d'Héraclite, on peut également supposer que les principes logiques de la perception chez l'enfant sont également les mêmes que ceux d'Héraclite et que, par conséquent, la théorie héraclitéenne, au même titre du reste que la théorie parménidienne, est une conception métaphysique qui détermine certaines formes ou certaines modalités de la perception. C'est une conception qui définit un univers ontologique, c'est à dire un univers qui détermine la nature des êtres qu'il contient.
Parménide est parti du même principe qu'Héraclite qui est l'Un. Sauf que, concernant le mouvement, il n'a pas voulu adopter la même technique qu'Héraclite pour résoudre la contradiction. Il a préféré procéder, en ce point précis, à une mise en exception, si je puis dire, du principe de la conjonction des contadictoires.
Il décide que l'être et le non être ne peuvent pas être conjoints et que l'être est et le non-être n'est pas. Ce faisant il crée un univers exceptionnel où la conjonction des contradictions ne tient pas: c'est le monde de la doxa qui s'oppose radicalement et sans intersection au monde de l'Un.
Voyons à présent comment armé de ces nouvelles prémisses, Parménide va régler la question du mouvement qui est au fond la seule épine dans le pied de la théorie de l'Un. Parménide, ou plutôt son disciple Zénon d'Élée, va découper le mouvement d'Achille en une infinité de micro-mouvements. Jusqu'à présent la technique est la même que celle d'Héraclite; Héraclite avait lui aussi découpé le mouvement du soleil en une infinité de micro-soleils tous différents les uns des autres. À la différence d'Héraclite, cependant, Zénon ne va pas dire qu'Achille, qui poursuit la tortue, va êre différent d'un instant à l'autre, il va plutôt dire que le mouvement n'existe pas parce qu'Achille doit effectuer une infinité de micro-mouvements pour rejoindre la tortue.
Donc Zénon va discréditer le mouvement en disant qu'il n'existe pas parce qu'il est infini, alors qu'Héraclite avait discrédité le mouvement en disant que chacun des micro-soleils était différent l'un de l'autre. La technique est ressemblante, la division infinie du mouvement, mais le résultat est différent. Parménide, ou plutôt Zénon son disciple, ont donc découpé le mouvement en une série discrète de micro-mouvements en une série infinie et discrète d'instantanés du mouvement identiques les uns aux autres et non pas différents comme c'était le cas pour Héraclite.
Ce qu'il est intéressant ici de remarquer c'est que la perception du mouvement précède l'image. Je veux dire par là que l'image est une déduction d'un raisonnement qui s'effectue sur le mouvement. Zénon déduit de la preception erronnée du mouvement l'idée de l'instantanéité de l'image. Donc ici la perception de l'image est une déduction et non pas un donné premier. Le donné premier c'est l'Un qui travaille sur le perçu du mouvement, et le résultat de ce travail c'est l'image instantanée. Donc nous voyons naître avec Parménide une nouvelle forme de la perception qui est très différente de celle qu'on pourrait avoir chez Héraclite. Chez Héraclite il y avait bien de l'instantanéité mais il n'y avait pas d'image il n'y avait que de l'intuition de la présence parce que la conjonction des contradictoires était donnée par hypothèse. L'élimination de la conjonction de contradictoires par Parménide permet de trransformetr cette perception intuitive et pulsatile en une perception imaginaire, et de plus ce qui est bien important nous voyons appraitre une série infinie et discrète de termes identiques qui se réfèrent les uns aux autres. Donc cette image cet instantané produit en série par notre raisonnment parménidien peut constituer pour la première fois une trace mémoire puisque si la série des termes est identique on peut considérer qu'il y a un premier terme et que les termes suivant ne sont qu'un rappel du terme premier. Donc en même temps que nous avons un surgissement de l'image comme déduction nous avoins aussi le surgissement de la possiblité logique de la mémoire.
Dans cet univers de la doxa, comme la conjonctions des contradictoires n'existe pas, la perception se transforme. Elle n'est plus intuitive; elle devient imaginaire, elle devient nette, essentiellement basée sur l'image. Il y a donc un certain gain perceptif puisqu'on perçoit les choses avec plus de netteté, mais ce gain est compensé par une perte; une perte du rapport précédemment intuitif à la réalité. Le rapport à la réalité devient essentiellement imaginaire et cete réalité constitue une sorte de cavité exceptionnelle dans un univers qui continue, par ailleurs, à être gouverné par l'Un comme principe fondamental. Ce rapport perceptif imaginaire à la réaltié est également trompeur puisqu'il donne l'illusion de l'existence du mouvement et donc il doit être corrigé par une référence à l'Un qui est précisément celui dont il est issu par voie d'expulsion. Pour restaurer la vérité de cette tromperie perceptuelle imaginaire, il faut remonter aux origines de cet univers cad désigner l'Un dont il est issu.
Donc ici une succession de formes perceptives différentes chacune étant déterminée par des principes logiques. Ces principes logiques sont donc métaphysiques. La première métaphysique étant la métaphysique intuitive qui rend la perceptiton éminemment intuitive et la deuxième étant celle qui rend la perception éssentiellement imaginaire.
Depuis Parménide jusqu'à Einstein la science a continué à travailler sur l'aspect imaginaire du monde et, si la notion de vérité s'est transformée avec Descartes, ceci n'a pas pour autant remis en question cette dimension essentiellement imaginaire de la réalité.
Il semble cependant que cette conception du monde ait atteint une certaine limite ou, en tous cas, n'est plus suffisante pour rendre compte d'un certain nombre de phénomènes en physique quantique ou en psychanalyse pour ne parler que d'eux. Depuis les années 30 il semble se dégager une forme nouvelle de la science qui va puiser ses sources chez Héraclite plutôt que chez Parménide.
Ce qui bouscule la science classique cest l'effet de surprise, celui de la particule qui doit atteindre le capteur de particules en un lieu tout à fait imprévisible, ou celui du lapsus, de l,acte manqué qui surgit inopinément.
Pour rendre compte de ces phénomènes pour ainsi dire pulsatiles, la particule qui apparaît et disparait aussitôt, le lapsus qui adopte la même instantanéité de survenue, la science, à la suite de la philosophie a du recourir à un univers ontologique héraclitéen qui autorise ce genre de comportement.