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(Ver también el reportaje publicado en el n° 18)
Un petit colloque, Austismelting pot, a eu lieu à Paris, le 13 juin dernier, à lInstitut de Puériculture de Paris, espace propice à poser une question générale sous-jacente : Quest-ce que la puériculture ? C'est-à-dire, quels savoirs sur lenfance sont en jeu actuellement ? À poser dautres questions en marge de ce qui est officiellement admis à propos de l autisme. Car sil faut évoquer les difficultés quotidiennes, difficultés de tous ordres, que rencontrent les enfants, leur famille, ceux qui travaillent avec les enfants dits autistes difficultés quil est impossible de laisser en impasse, comme il est impossible de les solutionner par des réglementations précipitées et extérieures à la singularité du « cas par cas » cela ne suffit pas.
Cest pourquoi le projet de ce colloque a été de prendre ces difficultés avec dautres difficulté s qui, elles, se situent en amont et selon deux axes.
Dabord, il ne sagissait pas de composer, discuter, reformater la clinique des autistes, des enfants dits autistes avec quelque outil que ce soit, mais de composer son envers, cest-à-dire de faire la clinique de lautisme, de faire le diagnostic de lautisme. Pour le dire dans les termes qui ont situé la réflexion dans une perspective tracée par Michel Foucault, il s est agi de questionner lautisme de manière critique, cest à dire précisément, de lire dans lautisme des refus, dy lire des résistances. Pour éclairer et faire saisir l enjeu, il suffit dévoquer brièvement lhystérie : les hystériques de la Salpetrière, pour résister au pouvoir médical, ont opposé au corps neurologique que Charcot leur supposait et leur imposait, un corps sexuel, un corps érotisé ; cest ce que Freud a lu. À quoi lautisme résiste-t-il ? À quel corps supposé et imposé, à quel savoir et à quel pouvoir dominants, à quelle sorte de langage oppose-t-il à son tour dautres formes de subjectivations ? Il sest donc agi de questionner de manière critique ce quon peut appeler, pour linstant, le phénomène autisme, ou lévénement autisme, phénomène qui inclut autant les enfants dits autistes que leurs parents et lentourage scolaire, éducatif, que les psys, les associations, que lÉtat lui-même.
À ce phénomène autisme, et cétait lautre axe qui sous-tendait le colloque, à cette Psychopathia Autista, la psychanalyse doit-elle contribuer ? Une telle contribution de fait peut étonner : comment, sans inquiétude, des psychanalystes se sont-ils glissés dans une entité psychopathologique médicale, lautisme en loccurrence, pour la raffiner psychanalytiquement, si lon peut dire, et emboîter le pas à la pédopsychiatrie et à la psychologie du développement ? Comment na-t-il jamais été question denvisager lautisme comme un discours on a même affirmé quil était « hors-discours » ? Comment lautisme a-t-il été pris par le bout de lindividu, même si cet individu est baptisé « sujet » ? Bref, sest posée la question de dire quelles relations la psychanalyse entretient avec la psychopathologie, question délicate qui avait été lobjet dun précédent colloque de lécole lacanienne de psychanalyse en juin 2006 : Mais où est donc la psychanalyse ? Autismelting pot en était une suite.
Il était aussi la suite, et la fin, dun séminaire de cinq années, intitulé AutismUnLtd., dont quelques points ont été développés laprès-midi. Néanmoins, en fut rappelée lorientation, à savoir repérer les moments initiaux de ce qui devient maintenant une épidémie.
Lorsque Leo Kanner a fait ce geste initial de partager, de distinguer, de lensemble des enfants dits arriérés de lhôpital Harriet Lame Home qui dépendait de lUniversité Johns Hopkins de Baltimore, ceux quil classera sous le syndrome dautisme infantile précoce geste empreint dhumanisme à légard de ces enfants : en effet Kanner les supposait accessibles à des soins, et dhumanisme à son propre égard, Kanner comptant sur ce geste pour acquérir une notoriété, « une petite place dans lédifice psychiatrique » dira-t-il en 19731, lorsquil fait ce geste, donc, que fait-il ?
Question posée de façon radicale, du coup simplifiée : le tableau clinique kannerien est-il une description, ou bien est-il une construction ? Est-il la description dune maladie déjà là en attente dêtre découverte, comme il le dit lui-même : « Mon nom fut associé à une maladie qui navait jamais été décrite jusquici » 2 ; et comme dautres lécrivent à sa suite, par exemple Jacques Hochmann dans sa récente histoire psychiatrique de lautisme : « La position de Kanner est avant tout descriptive » 3 ; dans le tout aussi récent ouvrage collectif sous la direction de J.- Cl. Maleval 4, où les termes « description clinique de lautisme » qui sont repris sans être décalés, supposent une antériorité naturelle à ce qui a été classé « autisme ».
Ou bien, est-ce que le geste de Kanner et le tableau clinique qui lui est concomitant, sont la constitution, la construction, non pas denfants malades qui étaient bien là dans lhôpital, mais de la « maladie » même dont on ne sait plus très bien dailleurs aujourdhui ce quelle est, au point de parler de « spectre autistique », terme dont léquivocité néchappera pas ?
Telle était lalternative : lautisme est-il une maladie donnée telle quelle, « naturelle », avec la série de traits cohérents à cette conception, à savoir innée, biologique (gènes, système nerveux central), déficiente dun certain nombre de choses dont, pour Kanner, dun « signe universel de réponse à la communication » ou bien est-elle construite, constituée par sa nomination ?
Poser un nom dans le champ du savoir, le nom autisme et les premiers avatars par rapport à la notion freudienne dautoérotisme ont été rappelé , a des effets. Pour préciser cela, voici les quelques lignes dun aphorisme de Nietzsche cité par Ian Hacking dans sa Leçon inaugurale au Collège de France en 2001 dont sinspire la suite de ce compte rendu ; Ian Hacking qui fit au printemps 2005 un cours intitulé « Classer les gens » et « Façonner les gens » où il a notamment examiné « Les figures de l autisme » :
58. On ne peut détruire quen tant que créateurs.
Le nom des choses importe infiniment plus que ce quelles sont. La réputation, le nom et lapparence, la valeur, le poids et la mesure habituels dune chose qui à lorigine ne sont que de lerreur, de larbitraire dont la chose se trouve revêtue comme dun vêtement parfaitement étranger à sa nature, et à son épiderme la croyance à tout cela, transmise d une génération à lautre, en a fait peu à peu comme le corps même de la chose ; lapparence du début finit toujours par devenir essence, et agit en tant quessence ! Quelle folie ny aurait-il pas à prétendre quil suffirait de dénoncer cette origine, ce voile nébuleux du délire pour anéantir le monde tenu pour essentiel, la soi-disant « réalité » ! Seuls les créateurs peuvent anéantir ! Mais noublions point ceci : il suffit de créer de nouveaux noms, des appréciations, des vraisemblances nouvelles pour créer à la longue de nouvelles « choses ».5
Il importe bien plus de savoir comment se nomment les choses que ce quelles sont. Comment une chose x s est-elle en effet nommée « autisme » ?
Avec des noms nouveaux, avec des signifiants nouveaux, de nouveaux objets viennent au monde, lentement. Mais nommer « autisme », par exemple ne suffit pas pour créer, pour quémerge et se constitue une entité psychopathologique nouvelle. Nommer occupe des lieux, des sites particuliers et se produit à des moments précis. Ian Hacking : « Pour quun nom puisse commencer son travail de création, il a besoin d autorité. Il lui faut être mis en service au sein dinstitutions. Un nom prend ses fonctions seulement quand une histoire sociale est elle-même à luvre. »
Créer des noms nouveaux a été dépliée la manière dont cela sest fait a des effets, celui entre autres de créer des personnes, leur corps et leurs comportements. Par exemple « gros », « obèse » autre classification que I. Hacking a examiné « nagit pas sur nous de façon inopinée, mais parce quil est encadré par un monde de significations, de médecins, de compagnie dassurance, damants et de régimes amaigrissants ».
Autrement dit le nom autisme, le signifiant autisme ne prend sens que de sinscrire dans un ensemble dagencements matériels, discursifs, lesquels agencements ne forment pas seulement son contexte extérieur contexte dont la psychiatrie naurait pas à tenir compte, quelle pourrait déléguer à une sociologie ou à une histoire mais contribuent à donner au syndrome autisme sa réalisation même, sa signification.
Par ailleurs, les personnes classifiées autistes agissent sur lentité autisme qui induit leur comportement, leurs positions subjectives, car en retour ces personnes confirment et réalisent le diagnostic, la classification. Temple Grandin est un exemple notable de ceux qui se sont pris au jeu, pour sen étant décalée, sen être servie : elle se réjouit de son autisme et elle montre que cet effet en boucle peut être ouvert et mettre en suspens un destin dautiste tout tracé. (On peut se référer, notamment, à un article récent de Delia Steinmann, dans la revue, La petite Girafe, avril 2009).
À partir de là une série de questions peuvent sorganiser : Quels sont les agencements qui encadrent et façonnent lautisme ? Par exemple, le dépistage précoce en est-il un ? (cf. Les bébés à risque autistiques, sous la direction de Pierre Delion, éditions Erès, 1998, 2008). Autre question : comment dit-on « autisme » et « enfant » dans la langue ? Cet enfant est autiste ? Un enfant avec autisme ? Ou encore lambigu « enfant porteur dautisme », comme on dit « porteur de virus » si lon se réfère à la médecine, ou « porteur de signe » si lon se réfère à la conception ternaire stoïcienne du signe : le signifié, le signifiant et le porteur 6 ? Ces points de grammaire, à peine esquissés, ne sont pas indifférents : ils disent le fantasme, les fantasmes, cest-à-dire les constructions dans lesquelles sont pris le nom autiste et le phénomène autisme.
Le projet de diagnostiquer le présent a été de commencer à rendre visible ce qui est visible, cest-à-dire « de faire apparaître ce qui est si proche, si immédiat, ce qui est si intimement lié à nous-mêmes quà cause de cela, nous ne le percevons pas », cest-à-dire de voir ce que nous voyons.7
Un diaporama des couvertures de livres français et américains sur lautisme a mis en évidence un aspect du visible particulièrement médiatique et contagieux. Il y a en effet à sinterroger sur laspect « contagion » remarqué par Kanner lui-même, laspect épidémie, dont la valeur quantitative masque la valeur qualitative. On repère des épidémies virales ou infectieuses, mais on repère aussi des épidémies de suicides, de conversions et de conversions religieuses, bref des « épidémies desprit » comme disait J.-J Rousseau. Quelle est la valeur qualitative de lautismépidémie ? Inversement à ce visible rendu visible, il ny a un visible par IRM. Visible de quoi ? Dun invisible ? Rien nest moins sûr quand on connaît les montages par logiciels .
Enfin, de quelle mutation de la conception du langage, notamment sa valeur quasi exclusive de communication relevée par les travaux du linguiste Sylvain Auroux, lautisme serait-il un symptôme ?
Un dernier mot : aura-t-on trouvé, au cours de ce colloque, le ton juste pour dire les marges qui font le nom autisme ? Difficile de le savoir. Ce que lon sait en revanche, cest quil est peu probable que lon ait trouvé les mots justes, des mots nouveaux pour dire ce nom par lequel sengouffrent des nuds en souffrance, différents, multiples, singuliers, mais qui sont formatés, protocolarisés en Un, Un nom autisme, officiel. Il est de la responsabilité du psychanalyste de ne pas prendre des vessies pour des lanternes, de ne pas réduire ces nuds en souffrance à ce qui en est Un-stitué. Enfin, ces mots justes et nouveaux, peut-être même faut-il se refuser à les trouver et, au fond, les attendre des enfants dits autistes qui veulent bien, par hasard, les lancer à nos oreilles. Ça arrive
Lacan, 17 avril 1977:
Bref il faut quand même soulever la question de savoir si la psychanalyse jvous demande pardon jdemande pardon au moins aux psychanalystes ça nest pas cquon peut appeler un autisme à deux. Ya quand même une chose qui permet de de forcer ce, cet autisme cest justement que, qulalangue est une affaire commune et que cest justement là où je suis c'est-à-dire capable de m faire entendre de tout le monde ici cest là cqui est le garant, cest bien pour ça que jai mis à lordre du jour Transmission dla psychanalyse, cest bien cqui est lgarant que, que la psychanalyse ne boîte pas irréductiblement de cque jai appelé tout à lheure autisme à deux. 8
De quoi modifier le nom autisme ? Peut-être dentrevoir un chemin étroit, très étroit, au milieu de ce qui se dit de lautisme, quand il est plongé dans cette « affaire commune », dans lalangue.
Marie-Claude THOMAS
Notes
1 Leo Kanner, « The birth of early infantil autism », Journal of Autism and Childhood Schizophrenia, 3,2, 1973, p. 93, cité par G. Druel-Salmane dans son article « Lautisme infantile précoce de L. Kanner : de la clinique à la structure » in Lautiste, son double et ses objets, sous la direction de J-Cl. Maleval, Presses Universitaires de Rennes, 2009, p. 16.
2 Idem.
3 J. Hochmann, Histoire de lautisme, De lenfant sauvage aux troubles envahissants du développement, Odile Jacob, 21009, p. 248.
4 Lautisme, son double et ses objets, op. cit.
5 F. Nietzsche, Le Gai Savoir. I. Haching cite laphorisme 58 du Livre deuxième, « On ne peut détruire quen tant que créateurs », dans la traduction dH. Albert revue par M. Saute, Le Livre de Poche, 1993. 58 : « Le nom des choses importe infiniment plus que ce quelles sont. La réputation, le nom, laspect, limportance, la mesure habituelle et le poids dune chose à lorigine le plus souvent une erreur, une qualification arbitraire, jetées sur des choses comme un vêtement, et profondément étrangères à leur esprit, même à leur surface par la croyance que lon avait en tout cela, par son développement de génération en génération, cela sest peu à peu attaché à la chose, sy est identifié, pour devenir son corps propre ; lapparence primitive finit par devenir presque toujours lessence, et fait leffet dêtre lessence. Il faudrait être fou pour simaginer quil suffit dindiquer cette origine et cette enveloppe nébuleuse de lillusion pour détruire ce monde considéré comme essentiel, la fameuse « réalité » ! Mais noublions pas non plus ceci : il suffit de créer des noms nouveaux, des appréciations, et des probabilités nouvelles pour créer à la longue des choses nouvelles. »
Jai préféré la traduction de Pierre Klossowski reprise dans lédition des Oeuvres Philosophiques Complètes de Nietzsche, Gallimard, 1967, sous la responsabilité de G. Deleuze et M. Foucault.6 (cf. Sextus : « Les stoïciens disent quil y a trois choses liées les unes aux autres, le signifié, le signifiant et le porteur, ÿÿÿÿÿÿÿÿ, in J.-B. Gourinat, La dialectique des Stoïciens, Vrin, 2000, p. 111 et 120) que Foucault avait traduit par « conjoncture », il se présente cela ...
7 Dits et écrits, tome III, 1994, p. 594 n° 234. La scène de la philosophie (entretien avec Moriaki Watanabe, avril 78). Citation : « Par le petit geste qui consiste à déplacer le regard, il (le diagnosticien) rend visible ce qui est visible, fait apparaître ce qui est si proche, si immédiat, si intimement lié à nous quà cause de cela nous ne le voyons pas. ». Déjà dans le tome I, p. 772, n° 66 : Michel Foucault explique son dernier livre, À propos de larchéologie du savoir, avril 1969 : « Ce que je cherche, ce ne sont pas des relations qui seraient secrètes, cachées, plus silencieuses ou plus profondes que la conscience des hommes. Jessaie au contraire de définir des relations qui sont à la surface même des discours. Je tente de rendre visible ce qui nest invisible que dêtre trop à la surface des choses. »
8 J. Lacan, séminaire Linsu que sait de lUne-bévue, saile à mourre, 19 avril 1977, in LUnebévue n° 21 Psychanalystes sous la pluie de feu, Paris 2003, p. 117 (je souligne).