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En son temps, la formule de Lacan : lanalyste ne sautorise que de lui-même et de quelques autres, est venue donner un coup de pied dans la fourmilière. Il était question alors non seulement de rappeler que le psychanalyste et sa formation reposaient avant tout sur lanalyse de son désir inconscient, mais de plus que lanalyste ne pouvait pas faire dans sa pratique léconomie de son désir. Ce qui déjà était une façon de le distinguer des psychothérapeutes.
Mais pourtant le psychanalyste de lépoque de Lacan sétait trouvé en regard de cette formule face à un certain forçage, pris quil était dans le paradoxe suivant: cette formule rappelait que lanalyste dun côté nattendait pas de titre mais quil se lappropriait sous la forme dun certain type de passage à lacte (mise en acte de son désir) et de lautre (ce qui a été le plus souvent oublié) que ce titre, né de ce passage à lacte, navait aucune valeur tant quil nétait pas reconnu par quelques autres, ce qui faisait de linstitution analytique un point incontournable (qui demeure aujourdhui encore vrai puisquen dépit du fait que certains croient pouvoir se former sans sengager dans une institution ils ne peuvent soutenir cette question que parce que justement il y a des institutions qui assurent des enseignements et une formation).
Mais cela faisait aussi la difficulté des institutions analytiques car supprimer le titre cétait supprimer le narcissisme qui organise le monde et donc retirer au sujet tout espoir de satisfaction narcissique.
Si lon reprend cette formule si controversée « lanalyste ne sautorise que de lui-même et de quelques autres » qui fondait lénonciation de léthique propre à la psychanalyse, cest-à-dire une éthique du désir, cest bien là que les ennuis commencent car on peut dire à la fois que lanalyste na pas de conception du monde à défendre ; en effet, il ne peut situer son acte ni dans le religieux ni dans larmée ni dans le politique de la cité et en même temps se demander si une éthique dans laquelle le désir ferait loi ne reviendrait finalement pas à une sorte de nouvelle conception du monde dans laquelle lanalyste se trouverait exempté des lois morales et des lois sociales qui régissent létat.
Il semble que ce soit tout à fait le débat auquel nous invite à nouveau à réfléchir la poussée de la demande du gouvernement à ce que la psychothérapie rentre dans une définition, définition quon ne peut énoncer sérieusement quà partir de son point déthique. Je crois quil faut rappeler que lacte analytique selon la méthode freudienne (résolution prise à Convergencia) permet aux patients de traiter leurs symptômes sans aucune volonté dadaptation à quelque modèle préétabli que ce soit. En ce sens, la psychanalyse ne saurait être considérée comme sous-ensemble des psychothérapies. Mais on ne sen tire pas pour autant en prétendant que lanalyste nest ni médecin ni psychologue, ni éducateur ni psychothérapeute car si lanalyste ne sautorise que de son désir et que son éthique nest fondée que de par la loi du désir, on peut se demander si à certains moments il ne risque pas dêtre un peu complice dune forme de perversion à force de penser quil nest pas un citoyen comme les autres et quil naurait pas à se soumettre aux lois comme tout citoyen sous prétexte quil na pas de conception du monde à faire valoir ?
Cest sur ce point que lintervention de lEtat force à nouveau lanalyste à définir et préciser le champ de son éthique.
Peut-on soutenir pour autant que dès lors lanalyste ne sautoriserait que de létat, de lui-même et de quelques autres ? On saperçoit assez vite de labsurdité de cette proposition puisque cette nouvelle définition supposerait alors un diplôme objectivement reconnu par létat et par conséquent mettant de fait lanalyste sur le marché de ce quil est lui-même censé dénoncer, à savoir la jouissance du fétichisme de la marchandise. En effet, léthique dont se recommande lanalyste est une éthique de la déliaison, une éthique qui justement a pour fonction de mettre en relief le fétichisme de la jouissance de la marchandise, une éthique qui ne laisse plus le maître ignorer la dimension sexuelle de son acte. Mais il est un fait que les analystes sont les premiers à cultiver la résistance à la psychanalyse dans la mesure où la résistance prend toujours la forme du non dévoilement de lordre sexuel.
Mais revenons un peu sur le diplôme détat de psychanalyste qui supposerait donc que nous disposions dune formation standard et que lon puisse par conséquent attribuer à chaque analyste une reconnaissance garantie par létat de par le standard de sa formation quelque soit linstitut, lécole ou lassociation dont il est issu. Il faut se rendre à lévidence: cest impossible, non pas seulement de par la différence des formations délivrées par chacune de ces spécificités, mais parce que Lacan a laissé le « que faire » en suspens puisquil a préféré laisser léthique répondre à cette question du « que faire » dans une cure et non pas la technique. Le « que faire » a trouvé comme réponse lirréductible singularité de lacte analytique et il a donc estimé que les conditions «standard » de la conduite de la cure oublieraient assurément quil y avait des enjeux dacte ! Cest ce quil rappelait dans son séminaire.
«La fonction analytique est rapprochée de quelque chose qui est du registre de lacte » et « lacte analytique est dune certaine façon assez conforme à la structure du refoulement, une sorte de position à côté ».
Lanalyste a donc pour définition une position à côté.
En ce point, on retrouve une logique qui différencie lanalyste du psychothérapeute en les situant dans deux champs et deux objets parfaitement hétérogènes, lun du côté psychothérapeute introduit un objet qui est censé satisfaire la demande que sous-tend tout discours de la maladie grâce à la manipulation et à la suggestion - qui induit la croyance en lobjet thérapeutique introduit par exemple comme plante, pierre, animal ou partie du corps et qui ainsi construit le fantasme de guérison.
De lautre côté le psychanalyste dont lobjet nest quun artefact introduit par le supposé savoir de lanalyste qui «guérit» en traitant la relation à cet objet comme fantasme. La psychanalyse a donc cette spécificité de nêtre thérapeutique que de par la mise en cause du fantasme même qui en fonde la possibilité.
Je rappellerai ici une définition de cette différence par cette boutade de Lacan : « Une psychothérapie est un tripotage réussi au lieu que la psychanalyse cest une opération dans son essence vouée au ratage et cest ça qui est sa réussite » .
Ainsi cest bien lacte et seulement lacte analytique qui répond de la tâche accomplie ou non dune psychanalyse.
Lacan na jamais cessé de soutenir cette position « à côté » de lanalyste de par son acte et un peu plus de vingt années après son séminaire sur lacte analytique, il conclura encore la dissolution de sa propre école avec c rappel « ce dont le psychanalyste a horreur cest de son acte ».
Il paraît alors clair quaucun diplôme ne saurait répondre à la nécessité de la garantie de lacte analytique. En revanche, les institutions analytiques qui prétendent former des analystes sont les seules à disposer de dispositifs spécifiques de repérage de lacte et du désir danalyste selon les modalités et les formes quelles se sont donné chacune pour y parvenir. Par conséquent, la qualification de psychanalyste - si elle savérait nécessaire - ne peut que relever de leur autorité. Il y a une question urgente à ne pas rater. Cest un choix éthique : faut-il soutenir l idéologie psychanalytique contre le discours analytique pour entrer dans le social, car on voit bien comment le post modernisme en panne didéologies nouvelles a du mal à se reconnaître autrement que dans le discours de la science à laquelle évidemment la psychanalyse a tendance à vouloir répondre mais justement la reconnaissance par létat ne précipiterait-elle pas lanalyse vers une nouvelle idéologie scientifique objectivable ?
De fait, le discours scientifique nie le sujet de linconscient et na pas besoin déthique pour se développer et néanmoins la psychanalyse dans sa spécificité qui concerne le rapport du psychique au réel ne peut ignorer léthique sur et à partir de laquelle elle se fonde dans la relation du sujet de linconscient au désir, ce qui ne peut en aucun cas sappuyer sur la suggestion.
(Trabajo presentado en el Lacanoamericano de Recife, septiembre 2001)
Voir aussi le reportaje a Robert Lévy