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Il n y a de droite que décriture, comme darpentage que venu du ciel. Mais comment loublierions-nous quand notre science nest opérante que dun ruissellement de petites lettres et de graphiques combinés ?
J. Lacan « Litturaterre »
Le dispositif du colloque qui nous rassemble fait du séminaire XI de Jacques Lacan ; « les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse » la cible à laquelle nous allons confronter, mesurer et peut-être accorderons-nous les lectures sur quelques visées, en tout cas lancer une dialectique que Lacan qualifie de dialectique du tir à l'arc puisque ce dispositif est dispositif de la pulsion. En tournant autour de l'objet, nous allons tenter d'apercevoir la fente qui se referme aussitôt selon sa pulsation temporelle et qui constitue la dimension caractéristique de la découverte et de l'expérience analytique. À la fin de ce séminaire il y a une postface de Lacan, il nous rappelle que ce séminaire n'est pas un écrit, et que, de ce fait, il ne le postfacerait pas, néanmoins il accepte d'être transcrit. «Vous ne comprenez pas stécriture. Tant mieux, ce vous sera raison de l'expliquer.». Voilà notre tâche, expliquer en raison cette écriture, renouveler la cristallisation tranchante et décisive dans laquelle Freud trouve la raison d'aller au-delà de l'expérience immédiate, ce que lon appelle aujourdhui la raison freudienne.
Expliquer en termes de raison une écriture, cest faire appel à ce que l'on nomme la raison graphique. Il y a en effet une raison graphique à l'uvre dans la raison freudienne. Les analystes d'enfants le démontrent tous les jours. Ceci doit être rappelé car c'est une évidence qui s évanouit dans loubli.
Comment considérer le fait que Freud, et bien plus encore Lacan, aient eut recours à des opérations graphiques pour tracer le mouvement de leur pensée ? J'entends par graphique ce qui se représente par des lignes, des figures, des points, des dessins dans une surface. Notre définition est proche de celle de Kandinsky.
Si on considère l'oeuvre que Freud sur le plan de ses constructions graphiques, on ne peut pas manquer de sétonner lorsque l'on réalise qu'elles se laissent classer en deux genres. Les unes ont une structure en arbre (ex. : lEsquisse, le schéma perception-conscience de la lettre 52 les schémas de la Traumdeutung) ; ces formations graphiques témoignent toujours de leffort de Freud pour saisir la structure, elles sont linéaires. Les autres ont une structure en boucle comme le schéma du manuscrit M qui montre le travail analytique à accomplir sur la structure hystérique, travail qui consiste en un nombre de boucles (Schleifen) et le schéma dit « sexuel » du manuscrit G où il montre le fonctionnement circulaire le la tension sexuelle qui lui permet de distinguer la mélancolie de la neurasthénie et la névrose dangoisse.
La raison freudienne dans sa dimension graphique met en jeu la structure linéaire du signifiant et la structure circulaire de la pulsion. Nous allons tâcher de mettre en lumière le rapport entre ces deux structures.
Je dis « en lumière » à dessein, puisque Freud nous indique dans la Trauduntung que son schéma perception-conscience procède de quelque chose danalogue à la lumière dont la réfraction changerait de couche en couche.
Nous voudrions subvertir la métaphore optique de Freud, si chère à la méthodologie dun Descartes qui en fit un traité, et qui répond chez Freud à limage quil se fait du processus daccumulation et de stratification des données dont relève le phénomène. Nous voudrions avancer une autre façon déclairer la lecture de ce schéma perception-conscience et de le nouer à la pulsion. Comment passer de la métaphore optique à la logique du signifiant ? La lumière a ceci de commun avec le signifiant qu'elle se transmet sur un mode linéaire dans une temporalité donnée.
Nous voudrions montrer que ce graphe élémentaire peut être utilisé de telle façon qu'il puisse identifier la pertinence des deux opérations graphiques que Lacan nous lègue « clefs en main », puisque nous ne savons rien des principes qui ont gouverné le montage des schémas L et R. Nous devons y chercher la logique qui commande le montage. Nous voudrions aussi montrer que le pliage que nous allons faire subir au graphe perception-conscience de Freud permet darriver à donner une représentation graphique de la pulsation de linconscient en utilisant lastuce et la trouvaille de mon ami Jean-Michel Vappereau1. Car Lacan séchine tout au long de son séminaire à appuyer sans cesse cette notion de pulsation temporelle de linconscient ; elle se traduit par la rencontre de ce qui un instant apparaît dans louverture de la fente, la schize et qui sévanouit à linstant même en une fermeture.
Ce qui distingue le graphe de Freud et les deux graphes de Lacan est que le premier est un graphe ouvert, ses deux extrémités sont libres alors que les deux schémas de Lacan sont des graphes fermés.
En décembre 1896, qui date la conception de son schéma, Freud n'a évidemment pas les moyens de produire autre chose qu'un graphe ouvert. Quelques années plus tard, dans la Trumdeutung, il reprend, concernant le travail du rêve, l'idée de la lettre 52. À regarder attentivement les schémas modifiés qui en résultent, on aperçoit deux flèches aux extrémités. Des flèches qui sont une véritable invitation - pour peu que lanalyste soit animé du désir du topologue - à mettre en continuité les deux extrémités du graphe ouvert. Mais comment passer de la linéarité à la circularité ?
Lorsque Freud sest littéralement imposé dinventer le concept de pulsion il se trouve confronté à un tel passage. Il se lest imposé comme une nécessité. Il décide demblée, à ses risques, de le construire comme un concept fondamental de la psychanalyse. Il reconnaît se fonder sur une idée abstraite aux contours flous qui ne relève pas seulement de lexpérience de la cure. Il faut dabord deviner lidée - écrit-il - avant même de pouvoir en avoir la connaissance et en fournir la preuve. Il accepte avec une assurance remarquable l'empirisme de sa position et reconnaît la place qu'occupe l'intuition dans la genèse de ce concept. La nécessité d'inventer ce concept tient au fait que l'inconscient comme phénomène se manifeste d'abord dans sa pratique essentiellement sous la forme dune discontinuité que Freud va interroger comme personne ne l'a jamais fait avant lui. Partant de l'intuition du concept de la pulsion il pose sa fiction comme une convention, Freud se propose de lui donner un contenu en soumettant ce dernier au matériel de l'expérience analytique.
Ce n'est pas l'expérience qui fait le concept, c'est le concept qui est vérifié par l'expérience analytique.
Telle est la méthodologie que Freud nous propose. Cette méthode a pour but de surmonter la difficulté dans laquelle il se trouve pour forger le concept de l'inconscient dont il doit extraire le savoir. La méthode freudienne à ceci de remarquable qu'elle va réaliser à partir de ce qui n'est pas encore. Elle doit toujours réaliser le concept qui manque, cest le prix du maintient de louverture de linconscient, cest lépreuve de la théorie qui se présente à la pensée de Freud avec une audace, une certitude qui impressionne encore. Il cherche un point dappui et une limite. Le point dappui est celui qui permettrait de séparer avec efficacité un dedans et un dehors. Et où le trouve-t-il ?, dans la décharge motrice que motive la fuite de la source dexcitation. La limite, cest la somato-psychique quil trouve dans les zones érogènes. Et il énonce lessence de la pulsion : elle prend son origine à lintérieur de lorganisme, elle est un concept limite entre le psychique et le somatique, elle se manifeste par une poussée constante, la fuite nen vient jamais à bout. Le terme de pulsion recouvre une fiction du vivant qui ne peut se concevoir dans sa nature que comme biologique ; elle sattache à un mode dénergie psychique spécifique, lénergie sexuelle, la libido. Elle se distingue de tous modes dexcitation extrinsèques, agissant sur le mode dun impact unique qui ne pouvant être supprimé quà se soustraire de façon appropriée par la fuite motrice.
Le texte de Freud est décidé, ingénieux. Il lève le voile et jette une lumière inédite sur lombre que la faille laisse entre-aperçevoir doù il extirpe lobjet quil expose avec clarté et cest dailleurs ce qui pose un certain nombres de difficultés au lecteur daujourdhui. Cela cest ouvert et cela cest refermé. Il faut ré-ouvrir le texte qui, bien loin dépuiser pour autant les questions en pose dautres. Prenons par exemple le terme de libido, est-elle une où est-elle deux ? On pourrait répondre hâtivement que Freud la fait deux ; celle qui se fixe sur les objets et celle qui se fixe sur le moi. Cette réponse nest pas fausse, mais elle nest pas tout à fait juste non plus. Avec le concept de libido que la raison freudienne déploie, on assiste à lémergence dune dimension paradoxale si nous répondons que la libido est une et deux à la fois. Mais comment cela est-il possible ? La libido à une structure moebienne. En effet, la bande bilatére à qui on fait subir une torsion et dont on raboute les extrémités montre quavec du deux, on peut faire du un. Et bien la libido cest cela et bien plus encore lorsque Lacan sur les traces de la caverne de Platon forgera en samusant du «un mythique», le mythe de la lamelle2 où il montrera que son domaine est bien plus étendu que celui du corps propre bien que sa source est intrinsèque à lorganisme.
Freud enfonce le clou en énonçant les quatre caractéristiques de la pulsion : poussée, but, objet, source. Il trace assurément sa voie dans le réel à la force de son désir. Le concept tourne déjà et il peut maintenant un moment sapaiser ; il a trouvé ce quil cherchait depuis longtemps, un concept dont la source est interne qui sappareille avec un objet qui la plupart du temps lui est extérieur. Une dialectique nouvelle sinstaure selon une dynamique daller et retour, de circularité entre le dedans et le dehors, le somatique et le psychique ; elle répond de la raison freudienne, et pour longtemps.
Comment passer de la ligne ou circuit ? Comment boucler le schéma perception-conscience de la lettre 52 ?
Il faut avoir lesprit du topologue pour saffranchir de lorthodoxie que la ligne droite impose à nos yeux, élémentaire comme la « forme la plus concise de linfinité des possibilités de mouvement ». Elle nous capture comme en témoigne cette définition de Kandinsky. La ligne droite et le trait qui la signifie exerce son pouvoir séparateur au point de nous faire oublier que lon peut la déformer. Cest ce que nous allons faire.
Prenons le schéma de Freud :
Nous le considérons comme un graphe élémentaire ouvert mais dont les extrémités sont rendues indisponibles du fait que linstance de la perception linaugure et celui de la conscience lachève.
Il faut donc transformer ce graphe. Cela est rendu possible grâce à une opération que lon appelle « line-graph », qui consiste simplement à remplacer les points dintersection par un segment et les segments du schéma de Freud par des points dintersection.
Bien quétant identifiable une à une, la distribution des lettres apparaît différente de ce que la raison graphique de Freud opère.
Comme vous le constatez, les extrémités du graphe sont libérées, elles acceptent le raboutage.
Il ne reste plus quà subvertir la ligne du graphe en la brisant dune certaine manière pour obtenir ce que nous cherchons.
Pliage du graphe de Freud | Schèma F de Vappereau |
Le schéma F auquel nous parvenons à la même structure que le schéma R de Lacan. Il sy applique directement se laisse orienter et distribue ainsi toutes les instances quil représente et reçoit celles du schéma de Lacan.
Application du schéma F dans le shéma R
Ce graphe que nous nommerons application de F dans R mérite dêtre médité car il sanime de façon nouvelle : il peut lui-même se déplier, revenir à la ligne avec les nouvelles données quil importe, et permet de sentraîner à saisir ce que lon appelle une identification littérale. Il rend compte du schéma de 1896, vérifie et assure sa pertinence.
Mais il va bien au-delà de cela puisquil nous permet de donner une représentation de la pulsation de linconscient. Et pour ne pas tomber bêtement sur la métaphore de lhuître à perle, de quelque chose qui souvre et qui se ferme, nous avancerons avec force que la pulsation de linconscient, cest la structure du langage lui-même.
On constate que le graphe F dans R est ouvert. Perception et conscience sont disjoints, ça ne passe pas, le circuit est ouvert comme on le dit de la lumière lorsquelle est éteinte. Si nous rabattons le segment conscience sur celui de la perception, cest le raboutage des extrémités du schéma de Freud, cest aussi le schéma L de Lacan, nous établissons la boucle, nous trouvons la circularité, ça passe, Lux est, le circuit est fermé comme on le dit quand la lumière est allumée.
Voilà donc une représentation graphique de la pulsation de linconscient. Elle est la pulsation du langage même, battements incessants à létat de veille. Ce mode de représentation est, pour la raison attenante à sa lecture, déployé sur un mode linéaire. Son efficacité est de montrer la pulsation. Nous pourrions nous y laisser enfermer, mais nous allons, une deuxième fois nous affranchir de la capture du linéaire en introduisant dans lappareil une dimension nouvelle.
Cette dernière est verticale et il suffit de bien lire « litturaterre » pour lapercevoir. Cette verticalité est agie dans lécriture japonaise telle quelle sécrit et se lit sur les kakemono qui fascinent tant Lacan, où lon devine à bien les regarder, le ruissellement de lencre qui vient mouiller le papier, la pluie, voire laverse didéogrammes qui viennent troubler la blancheur du papier. « Dentre les nuages », cest de lavion qui le transporte au retour du Japon avec ce que lui laisse « ce petit trop » de la langue japonaise qui laffecte encore, que le ruissellement invinciblement - ceci nest pas rien insiste-t-il - lui apparaît.
En bas, la surface terre scintille de mille reflets, réfléchis à la surface de leau, sirradiant en dimmenses bouquets. De leau (et de la libido aussi bien) qui rempli ce qui, du ravinement a fait le lit dont elle suit le parcours dans le territoire.
Vu du ciel chargé de nuages, le spectacle vient à prendre un tour météorologique. Cest la notion dUmwelt (environnement, milieu, ambiance) qui en commande le mouvement. Des nuages doù saperçoit le ruissellement se trouve être la source en suspension de la surface doù lui parviennent les reflets du signifiant. Cest en crevant les nuages que Lacan précipite le bouclage du cycle de leau, parvient à établir la rayure qui vient du ciel telle quelle se montre sur les estampes dHiroshigé, les traits figurant la pluie comme autant de rayures qui unissent le ciel et la terre. Il établit une circularité. Celle-ci se prête bien à lachèvement de lappareil de Vappereau telle que notre lecture le saisit.
Schéma de lappareil psychique selon le principe de linvolution du signifiant
La pulsation de linconscient est la pulsation du langage même, battements incessants à létat de veille. Comment en rendre compte sur le plan clinique ? Pour être repérée comme telle, pour devenir significative cliniquement il faut une rupture déquilibre de lUmwelt. Elle signale la pulsation, soit la rupture de lordre établi du semblant. Cette rupture est coupure, scansion occasionnée par le surgissement dun événement dans la vie psychique de lanalysant. Lévénement convoque le sujet dans une procédure de vérité qui envahi la conscience et cest du langage quil occasionne quil simpose au parlêtre comme obligation de le penser. Il sest passé quelque chose de réductible à une inscription et cest à lanalysant de la retracer. Ce travail nest pas aisé car tout saisit dans sa conscience de lévénement qui lhabite, il sexpose au flux décuplé des perceptions tel que laffect le signale. Dés lors, cest le registre imaginaire qui se décompose et prend de lenflure en un discours qui présente alors une grande perméabilité aux formations du fantasme.
Lévénement produit ses effets dans le signifiant. Il y a élévation de la perméabilité de la barre de résistance qui sépare le signifiant du signifié. Cest ce qui déclenche le ruissellement, « conjonction du trait premier et de ce qui lefface ».
Vascillation des amarres de lêtre, régime de la jouissance modifié, avec ses effets de relâchement et de perte dinertie du discours, ruissellement de paroles et de larmes parfois, doù saperçoit que lorganique ruisselle bien aussi.
Ce ruissellement des signifiants ne saisit pas lobjet dans sa consistance pas plus quil ne se laisse par lui attraper, et pourtant cest dans sa chute quil remanie le signifié, cest cela le ravinement dont nous parlons et cest paradoxalement ce qui assure à la langue dêtre vivante.
Rupture de semblent, ruissellement du signifiant, ravinement du signifié, il ne manque que le dernier temps où le processus involutif sachève.
Cest le ravissement, le temps de lidentification où se restaure le semblant sur lécran du fantasme. Cest ici que ressurgit la dimension du symbolique en son pouvoir séparateur, ses fonctions de médiation et de régulation telles quelles opèrent dans la parole, lécriture et la lecture.
Notes
1 On doit à Jean-Michel Vappereau la trouvaille du pliage du schéma de la lettre 52 (1988 Etoffe édition TEE) qui lui sert à développer le concept dinvolution signifiante de Lacan. Il est étonnant que les psychanalystes naient pas remarqué limportance de cette conception de lappareil psychique qui répond de la théorie des graphes, des surfaces, et des nuds tel que Lacan les met en jeu.
2 Lacan sort de son chapeau le mythe de la lamelle en réponse à Loewenstein qui la interpelé lors de la Xeme rencontre des psychanalystes de langue française: Monsieur Lacan attaque le biologisme; on ne peut pas s'en passer, c'est une chose inévitable, on ne doit même pas s'en passer. Ignacio Garate Martinez «Re-susciter le théorique théorique en psychanalyse» Boletín de la Institución Libre de Enseñanza N°3, Madrid 1987